Ballade pour Leroy · Willy Vlautin
lundi, avril 18, 2016
Leroy Kervin
a vingt-quatre ans. Poussé par son patron, il s'engage dans la National Guard et,
peu de temps après, est envoyé en Irak. Six mois plus tard, une bombe
artisanale détruit le véhicule dans lequel il se trouve. Leroy se
réveille à l'hôpital, en Allemagne, avec les deux bras cassés et un grave
traumatisme crânien. Il ne sait plus ni parler ni marcher. «La vie qu'il avait
connue n'existait plus. Ce Leroy Kervin-là n'existait plus.»
Il est rapatrié
aux États-Unis et, comme sa mère n'a pas les moyens de le placer ailleurs, il
se retrouve dans un foyer pour handicapés mentaux dans une ville de l'État de
Washington. S'il marche à nouveau, il a toujours du mal à parler et à gérer ses
émotions.
Leroy se
réveille un soir, la lucidité de retour. Il mesure toute l'ampleur de sa condition, le
caractère irrémédiable de son état. Il ne souhaite qu'une chose: en finir. Mais
il rate son coup. Il se réveille à l'hôpital avec une sonde enfoncée dans la
gorge et des drains thoraciques.
Leroy se mit à broyer du noir. Il y aurait d'autres hôpitaux
et, cette fois-ci, c'était sa faute à lui. Il avait raté son suicide et ne
pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Il y avait cette chambre puis il y en
aurait une autre et encore une autre et enfin, s'il était chanceux, il retournerait
là où tout avait commencé: dans ce foyer où il se retrouverait définitivement
pris au piège. […]
La douleur semblait suspendre le temps.
Attendait-il depuis des minutes, des heures, des jours ou des semaines? C'était
trop difficile à supporter il en avait vraiment assez de souffrir. Alors il
décida d'abandonner, d'emmener son esprit le plus loin possible. Il allait se
perdre en lui-même. Disparaître de la scène du monde.
Leroy se laissera dériver, broyé par ses cauchemars délirants.
Sa mère Darla,
caissière au Safeway, est à son chevet dès qu'elle le peut. Elle lit à son fils
unique les romans de science-fiction qu'il apprécie tant. Elle a éloigné Jeanette, la
petite amie de Lorey, parce qu'elle mérite mieux et n'a pas à vivre ça. Mais
Jeanette ne restera jamais trop loin, du moins en esprit, parce qu'elle l'aime,
son Leroy.
Autour de Leroy
gravite Pauline, l'infirmière célibataire. Sa vie
se résume à visiter et à prendre soin de son «enfoiré de père» dépressif. Elle veille
sur ses patients comme sur les enfants qu'elle n'a jamais eus. À commencer par Mr.
Flory, atteint d'un cancer de l'estomac. Quand elle rencontre Jo, hospitalisée
pour des ulcères aux jambes, elle se prend d'affection pour elle. Elle veut
sauver la vie de cette jeune fugueuse, abandonnée par sa famille
ultra-religieuse, qui vit dans un squat avec trois méchants garçons.
Autre
personne à graviter autour de Leroy: Freddie, le gardien de nuit qui
travaille au foyer pour handicapés où résidait Leroy. Ce père de famille travaille dans une quincaillerie le jour, et au foyer pour handicapés la nuit.
Même avec deux boulots, il n'arrive
pas à joindre les deux bouts. Soixante-quinze
mille dollars de dettes, ça use son homme...
Comme chaque semaine, Freddie tenta de trouver le moyen de se
sortir du pétrin mais, en fin de compte, c'était impossible. Il ne gagnait pas
suffisamment d'argent, voilà tout. Il ferait mieux de se déclarer en faillite,
mais il ne le voulait pas.
N'en pouvant
plus d'être invisible aux yeux de son mari, sa femme est partie un matin à Las
Vegas avec ses filles et s'est mise en ménage avec un autre homme. Lorsque Lowell
Price, un Indien Yakama, propose à Freddie un plan pour faire un gros coup d'argent,
ce dernier hésite. Mais au fond, a-t-il le choix?
· · · · · · · · ·
Ballade
pour Leroy, c'est du réalisme social à
l'état pur. Rien de spectaculaire ici, que les misères, petites et grandes, du
quotidien. Le portrait des maux
qui rongent notre société est sans concession: solitude, séparation, maladie mentale, marginalité, surendettement, itinérance.
Les personnages de Willy Vlautin se démènent, ils en bavent pour vivre. La vie leur est tombé dessus, les a mis sur le flanc. Mais ils se relèvent, avancent du mieux qu'ils peuvent. Parce qu'ils croient, encore et malgré tout. Peut-être à pas grand-chose. Mais presque rien, c'est déjà mieux que rien.
Chaque personnage est habité par une bonté, une bienveillance et un dévouement infinis, et ce, malgré la merde dans laquelle ils pataugent. Ces personnages, j'ai vraiment eu l'impression de les connaître, de les reconnaître. Ici, la compassion fait contrepoids à
la noirceur quotidienne. Un simple geste, un regard, une main tendue, et c'est un monde
qui s'ouvre.
Les mots de Willy
Vlautin sont ciselés, puissants. Les phrases gonflent lentement, avant
d'éclater en morceaux. J'en ai versé, des larmes. Comme ça m'arrive rarement. J'ai dû m'y
reprendre à deux fois pour lire certains passages, le cœur noué, les yeux
remplis d'eau.
Un roman bouleversant, pétri d'une grande humanité. Ces personnages m'habiteront longtemps, très longtemps.
Ballade pour Leroy, Willy Vlautin, trad. Hélène Fournier, Albin Michel, 292 pages, 2016.
★★★★★
21 commentaires
J'étais sûre que tu allais aimer !! Il est tellement bien :)
RépondreSupprimerMaintenant, je me retiens de ne pas lire les deux autres Willy Vlautin qui dorment dans ma PÀL depuis belle lurette. Je suis au moins assurée de passer un excellent moment. Ça promet!
SupprimerIl ne faut pas se retenir !! :D
SupprimerJ'étais complètement passée à côté de ce livre, mais tu m'intrigues!
RépondreSupprimerIl faut faire marche arrière et s'arrêter dessus. Vraiment. Il vaut plus qu'un détour...
SupprimerAh je le veux. Il est vrai que j'ai Plein Nord du même auteur dans ma PÀL mais je veux y ajouter celui-ci également. Très beau billet Marie-Claude.
RépondreSupprimerMerci encore, Suzanne. J'ai aussi "Plein Nord" dans ma PÀL, mais aussi "Motel Life" et le plus rare "Cheyenne en automne". Que du bonheur (et sans doutes quelques larmes) en perspective!
SupprimerOh tu as pleuré ! Je le guette depuis longtemps (vu chez pas mal d'internautes) mais mon budget est serré ces temps-ci; j'espère le trouver en librairie un jour (pas encore arrivé).
RépondreSupprimerJ'te l'dis: celui-là, tu ne peux absolument pas passer à côté. Suis mon conseil!
SupprimerEncore un bon avis sur ce livre!
RépondreSupprimerJusqu'à maintenant, je n'ai lu aucun commentaire négatif sur ce roman. Et je comprends pourquoi!
SupprimerCe livre a l'air bouleversant.
RépondreSupprimerC'est le cas, et c'est si bien rendu: sans guimauves ni dentelle... J'ai ADORÉ!
SupprimerJ'avais beaucoup aimé son premier roman "Motel Life", c'est un auteur que j'ai très envie de retrouver !
RépondreSupprimerMaintenant, je suis tentée de lire tout Vlautin drette-là! "Motel Life" est passé sur le dessus de ma PÀL!
SupprimerEt bien, difficile de ne pas noter après ton billet. Je t'avoue quand même craindre le côté très émotionnel tire-larmes pas trop ma tasse de thé généralement. Et au niveau du rythme, ce n'est pas trop lent?
RépondreSupprimerLe côté «tire-larmes» ne concerne que moi! C'est mon côté sensible (oui, oui, j'en ai un!) qui a été interpellé. Mais ce n'est pas écrit dans le but de tirer les larmes. Pas de lourdeur ni de lenteur. À cause de la diversité des points de vue, pas de temps morts.
Supprimerje suis mordue ..... il me le faut .... ha ha ha .....
RépondreSupprimerAh! Chanceuse, toi qui découvrira cet excellent roman...
Supprimerj'aime tellement ce genre de roman et de littérature. Terre d'Amérique est de toute façon une très belle collection. Je note ce roman immédiatement.
RépondreSupprimerAlbin Michel (et sa collection Terre d'Amérique) publie de vraies pépites. Celle-ci est à ne pas rater lorsqu'on raffole de la littérature américaine. Bonne lecture, Indira!
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