Les étoiles s'éteignent à l'aube · Richard Wagamese
dimanche, mai 22, 2016
Le premier auteur canadien d'origine autochtone qui me vient en tête est Joseph Boyden. Mais dorénavant, il ne sera plus le seul! Je viens d'en découvrir un autre. Et
c'est du gros calibre! Richard Wagamese, le prolifique, compte sept
romans à son actif. Les étoiles s'éteignent à l'aube est, à ce jour, le seul à avoir été traduit en français. Si j'en
crois mon troisième oeil (et si je prends mes désirs pour la réalité), ses
autres romans ne devraient pas tarder à être traduits.
Franklin
Starlight grandit sur une ferme en Colombie-Britannique. Auprès de Bunky,
le vieil
homme qui l'a élevé, il mène une vie paisible. À seize ans, il a quitté l'école dès qu'il a atteint l'âge légal. La routine sur la ferme, les chevaux et quelques
longues escapades en forêt suffisent à le rendre heureux.
Il trouvait son
bonheur dans le travail de la ferme et sa joie dans les chevaux ainsi que dans
les étendues infinies des pays d'en haut. […] Il ne s'intéressait pas aux livres et là où
il passait le plus clair de son temps libre, nul besoin de grandes idées,
théories ou paroles, et s'il était taciturne, cela lui convenait. Il entendait
les symphonies du vent sur les crêtes, et les cris stridents des faucons et des
aigles étaient pour lui des arias; le grognement des grizzlys et le hurlement
perçant d'un loup contrastaient avec l'œil impassible de la lune. Il était
indien. Le vieil homme lui avait dit que c'était sa nature et il l'avait
toujours cru. [...] Le vieil homme lui
avait fait don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s'en
souvenir, et il lui avait montré comment la traiter, l'honorer.
Eldon se pointe à la ferme, à l'occasion. Frank le voit pour la
première fois lorsqu'il a cinq ans. Il apprend que cet homme est en fait son
père deux ans plus tard. Eldon est un alcoolique fini. Lorsque Frank est assez
grand pour rendre visite à son père, en ville, leurs rencontres sont
plus catastrophiques les unes que les autres.
Lorsque Eldon
fait venir Frank à son chevet, dans sa petite chambre miteuse, pour lui demander un immense
service, il ne lui reste plus longtemps à vivre. Son foie est bousillé, fini.
Ses jours sont comptés. Son dernier souhait, c'est que son fils l'amène sur une
crête de montagne et, une fois mort, l'enterre assis, face à l'est, comme un
guerrier.
À contrecoeur, Frank finit par accepter. Père et
fils se mettent en route. La progression est périlleuse. Le froid, la pluie, les grizzlys rôdent. À mesure qu'il
progresse, assis de peine et de misère sur la jument de Frank, Eldon s'affaiblit.
Ce
chemin de croix est l'occasion, pour Eldon, de se raconter à son fils, de
s'expliquer, de se repentir. Au gré de leurs pas, les
souvenirs remontent à la surface. Et c'est là que toute la magie du roman opère.
D'homme lamentable, exécrable, Eldon se transforme en Homme. L'avalanche d'épreuves qui s'est abattue sur lui l'a détruit. Il
a bu pour oublier. Pour survivre. C'est toute sa culpabilité et sa lâcheté qu'il a noyées dans
la gnôle. Pour
Frank, c'est une partie de sa propre histoire qui lui est révélée. Et c'est aussi le seul héritage
que lui lègue son père.
Il réfléchit à tout ce qui lui avait été dit. C'était terrible,
mais il en avait eu plus qu'il n’en avait eu jusque-là. Ça lui paraissait
étranger, comme s'il avait écouté l'histoire d'un autre. L'homme squelettique
qui dormait devant lui semblait n'avoir rien de commun avec l'homme qui avait
évolué dans l'histoire qu'il avait racontée. Il se demanda comment le temps
agissait sur un être. Il se demanda à quoi il ressemblerait dans quelques
années et quel effet cette histoire aurait sur lui. Il espérait qu'elle aurait
comblé le vide en lui, mais tout ce qu'il ressentait c'était la vacuité et la
peur qu'il n'y ait rien pour combler cette béance.
Je
n'avais aucune attente en ouvrant Les
étoiles s'éteignent à l'aube. Et, au final, c'est un très grand roman que j'ai
lu, de ceux qui vous virent à l'envers, vous font réfléchir et remettent en
questions vos a priori.
Richard
Wagamese est un conteur extrêmement doué. Il manie l'art de la nuance avec un
doigté d'orfèvre. Aucun manichéisme à l'œuvre entre ces pages (du genre bon fils-mauvais
père), aucun apitoiement. Les
portraits d'hommes sont riches et complexes, profondément humains. Wagamese ne prend jamais parti. Il est impossible de condamner Eldon,
aussi exécrable et lamentable soit-il. Bunky, le vieil homme, se révèle aussi un personnage fascinant.
Quel rôle joue-il dans la vie des Starlight? Pourquoi a-t-il accepté de s'occuper du
bébé d'Eldon et de l'élever comme son propre fils? Bien que non
autochtone, le vieil homme a toujours tenu à enseigner à Frank les coutumes et
traditions des Ojibwés.
Le
style de Richard Wagamese, traduit par Christine Raguet, est
fluide, puissant. L'arrière-pays de la
Colombie-Britannique, grandiose et sauvage, est admirablement décrit.
Finalement, la petite histoire d'Eldon rejoint la grande Histoire des peuples autochtones: déchéance sociale, ostracisme, pauvreté. Perte de repères, coupure de racines. Et avec Frank - et les jeunes générations -, c'est l'espoir d'un équilibre retrouvé qui jaillit.
Un roman d'une émouvante beauté. J'en suis encore sans voix.
Les étoiles s'éteignent à l'aube,
Richard Wagamese, Zoé, 288 pages, 2016.
★★★★★
24 commentaires
Comme une furieuse envie de le lire. Hop, sur ma liste de livres à trouver!
RépondreSupprimerOh oui. Celui-ci, il ne fait pas le manquer! Tu m'en redonneras des nouvelles.
SupprimerComme j'aime ces histoires de beaux textes qui sortent (enfin!) un jour de l'oubli grâce à l'oeil affûté d'un éditeur bienveillant. Richard Wagamese a publié so premier roman il y a tout juste 20 ans et voilà seulement aujourd'hui qu'on se décide à traduire en français le dernier en date (2014). Ce que tu en dis me donne une furieuse envie de le découvrir, tout comme la maison d'édition qui l'a signé en français (et tu vas être encore plus heureuse de savoir que ce n'est pas 7 mais 11 romans que Wagamese a publié !!! ;-) )
RépondreSupprimer11 romans? C'est décidé: si fin 2017, aucune nouvelle traduction n'est publiée, je m'inscris à un cours d'anglais accéléré pour pouvoir lire son oeuvre en anglais!
SupprimerEt chapeau aux éditions Zoé pour l'initiative.
Déjà repéré, j'ai de plus en plus envie de le lire !
RépondreSupprimerOui, précipite-toi sans aucune hésitation!
SupprimerOk ! Je vais me précipiter sur ses romans. Et celui-là on ira l'acheter ensemble !! Très beau billet et tu sais que le sujet me parle vraiment !!
RépondreSupprimerTu vas adorer, j'en mettrais ma main au feu!
SupprimerCe roman est vraiment très beau :)
RépondreSupprimerN'est-ce pas? Une merveilleuse découverte, en ce qui me concerne. J'espère que le reste de son oeuvre sera aussi traduite.
SupprimerIl sera dans ma valise au retour !
RépondreSupprimerJ'y compte bien!
SupprimerUn écrit qui m'intéresse doublement.
RépondreSupprimerJe dirais même triplement! Tu vas adoré ce roman, Suzanne. J'en suis certaine!
SupprimerJ' irai découvrir ce roman, il a l'air si beau. Et les éditions Zoé sont une précieuse maison. Merci pour ton billet
RépondreSupprimerC'est le premier roman que je lis publié chez Zoé. Après ce coup de coeur, je compte bien découvrir leur catalogue...
Supprimervéritable coup de cœur pour moi aussi ..... conseillé par mon libraire .....
RépondreSupprimerHeureuse de l'apprendre et de partager ce coup de coeur.
SupprimerTon libraire est de très bon conseil!
Pour une plongée en Colombie-Britannique, c'est le livre qu'il me faut. Ça se dit comment crisse de calisse en autochtone :D ?
RépondreSupprimerAh, Bison, je sens que cette plongée dans les montagnes de la Colombie-Britannique te plairait en estie, et ce, même si la gnôle n'est pas de première qualité! Ça ressemble plus à de la robine qu'à un grand cru. Mais pour l'histoire, ça chavire, fort, ça, c'est garanti.
SupprimerPour le crisse de calisse en autochtone... Maudite bonne question, ça!
J'aime beaucoup les éditions Zoé mais j'avais complètement zappé ce titre. D'habitude je suis plutôt branchée sur leurs traductions de romans sud-africains où il y a aussi de vraies pépites, mais le Canada, pourquoi pas. Vu ton billet, je vais devoir réparer cette erreur, surtout s'il y a un coco (même en arrière plan) dans l'histoire.
RépondreSupprimerDe mon côté, c'est une première incursion dans le catalogue des éditions Zoé.
SupprimerJe suis aussi friande de littérature sud-africaine. Un titre à me conseiller dans leur catalogue?
Dernièrement, j'avais bien aimé Ninive d'Henrietta Rose-Innes (http://unmomentpourlire.blogspot.ch/2014/07/ninive-dhenrietta-rose-innes.html). Et sinon, j'aime beaucoup les livres de Max Lobe, africain établi à Genève.
SupprimerJe suis allée lire ton billet. Il me semble très bien, ce roman. Je note "Ninive".
SupprimerJe vais allée voir plus loin pour Max Lobe. Merci pour ces conseils, Zarline. J'apprécie!