L'été des charognes · Simon Johannin
vendredi, mars 10, 2017
La Fourrière, un trou perdu au milieu de nulle part.
Le jeune narrateur passe son été avec son copain Jonas. Un été comme les autres, à aider le père à faire la besogne: traire les vaches, ramasser leurs bouses, tuer le
cochon, éventrer les agneaux. Une
fois la besogne terminée, place au désoeuvrement, mais aussi à la liberté. Celle
d’aller jouer autour des carcasses
d’animaux, de compléter la collection d’os d’animaux (ou d’humains), de lapider un
chien. Celle d'aller regarder la télé chez la vieille Didi. De faire un détour à la
caravane de Marcel, histoire d’avoir des bonbons et des madeleines et de
recueillir quelques blagues de cul.
Les
divertissements sont rares, les raisons de fêter aussi. Il y a bien la fête des châtaignes ou l’abattage du cochon, mieux, la
sortie de prison de Tonton Mo. Les gueux de passage, en quête de travail,
amènent un autre air. Les
beuveries se terminent sur les genoux. Les enfants conduisent le vieux bazou pour ramener les parents trop saouls à
la maison.
L’été fini, il y a l’école. «Ça ressemblait plus à un chenil qu’autre chose là où on
allait s’éduquer, un chenil rempli de merdeux et de petits bâtards.» La
différence de ces ruraux apparaît. Mais ils s’en foutent un peu.
Le temps que je me fasse au pli on m’avait déjà mis
plusieurs fois la tête dans les chiottes, fait des poteaux roses et vidé le sac
par la fenêtre du bus. J’avais pas prévu le coup moi, je savais pas, j’avais
pas acheté les Nike à Zidane, de toute façon j’étais pas le genre à acheter ce
genre de merde ils pouvaient bien aller se faire foutre. […] D’un côté les cent
vingt qui avaient les pompes Zidane et de l’autre côté le reste, nous quoi, les
bouseux, on était un peu moins de vingt.
Le
gamin, devenu ado, part pour ailleurs. La ville, l’alcool, les filles, les
raves.
La nature s’était éloignée par étapes, elle
s’enfonçait maintenant dans le béton et derrière les haies. Des animaux il ne
restait que les rats qui traversaient les rues en courant et les chiens de la
Police nationale qui nous reniflaient le cul plusieurs fois par semaine.
Une
autre sorte de sauvagerie. Pas forcément plus douce…
Ce
roman, je l’ai lu cul-sec. La
faute Jérôme et à son billet tentateur. Ce n’est pas un roman que je
conseillerai à tout le monde. Cœurs sensibles ou malaucoeureux s’abstenir. Le sang
gicle, ça pue, c’est sale. Il y a des mouches partout, des asticots dans le
fromage, des bouses de vaches, des carcasses d’animaux. Un enfer
déconnecté du monde. Leur monde à eux, ce sont les bêtes et la terre. Les
pères lèvent la main, surtout lorsqu’ils ont bu. Les femmes sont pour ainsi
dire invisibles. Les enfants livrés à eux-mêmes. Le décor
est rude et sauvage, les rapports humains rugueux, silencieux. Pas trop le temps de s’aimer
et de s’épancher, il y a trop à faire. De toute façon, saurait-on s'y prendre?
Un roman sombre, noir. Une description implacable d’un
monde rural isolé. Aucune fatalité ici. La misère n’est pas condamnée ou critiquée. Pas regardée de haut. Elle
est juste constatée et ça fesse d’autant plus. Simon
Johannin se démarque par sa tonalité poétique et crue, par sa
façon de parler d’une enfance rurale, du passage de l’enfance à
l’adolescence. Ses descriptions, d’un réalisme
saisissant, fascinent et répugnent à la fois. Il s'empare des mots de
façon unique. La langue
est ciselée, flamboyante et fiévreuse. J’ai dévoré ce roman, fascinée par sa
dureté, son réalisme implacable. J’ai surtout été ensorcelé par les mots qui défilent. Un premier roman
magistral. Pour lecteurs avertis!
L’été des charognes, Simon Johannin, Allia, 114 pages, 2017.
★★★★★
@ Simon Johannin.
31 commentaires
je passe mon tour, tu t'en doutais ! Je reste dubitative mais je sais qu'il y a un lectorat, toi la première.
RépondreSupprimerOui, je m'en doutais bien! Je suis bien arrivée à te faire lire un roman post-apocalyptique (Station Eleven), mais là, j'avoue que j'aurais fort à faire pour te convaincre, hein!
SupprimerVendu ! j'aime beaucoup la façon dont tu en parles ! et je me mets en quête illico ;o)
RépondreSupprimerJe ne pensais pas parvenir à le vendre! Tu es prévenue. Pour lectrice avertie, ce que tu es maintenant!
Supprimerje le note, merci.
RépondreSupprimerCommençant à connaître tes goûts, je parie fort qu'il va te plaire. Et je serais curieuse de te lire sur ce roman...
SupprimerDur dur... Il faut être dans le mouv pour...
RépondreSupprimerCarrément, oui. Pour moi, ça a marché à fond. J'ai embarqué les yeux fermés (et le coeur bien accroché!)
SupprimerCes fameux romans qu'on lit cul-sec...! Je me demande si j'aimerais celui-là...
RépondreSupprimerJ'ai comme un gros doute... Lis l'avis de Jérôme, si ce n'est déjà fait.
SupprimerÇa a l'air d'être quelque chose... Mais ce n'est certainement pas pour moi, je me reconnais dans ces "malaucoeureux" malheureusement.
RépondreSupprimerIl n'est pas pour tout le monde, je le précise bien. La dureté et la violence, quoique justifiées de par l'univers rural dans lequel ce roman baigne, est à souvent dur avaler. Mais quel style...
SupprimerEt un auteur très intéressant à écouter.
RépondreSupprimerTu as des pistes? Tu sais que j'habite loin...! S'il y a une émission sur le net ou un podcast, je suis preneuse.
SupprimerOh la la, coriace ce livre et je ne pense pas que ce soit mon genre du tout. Ouf ! Ça l'air très dur !
RépondreSupprimerOui, je ne te le cache pas, c'est dur. Mais c'est aussi ça, la vie! Faut dire que j'ai la couenne dure! Ici, le style m'a complètement envoûtée.
SupprimerQu'est-ce qui vous plaît tant dans toute cette horreur ? Pourquoi aimez-vous à ce point cette atmosphère glauque ? Je ne juge pas, je souhaiterais simplement comprendre. Merci. Pierre
RépondreSupprimerCe roman me permet de «côtoyer» une réalité qui m'est totalement inconnue. Étant une citadine, la réalité du monde rural ne m'est pas familière. Je lis d'abord pour m'ouvrir sur le monde. Dans le cas de ce roman, l'«horreur» n'est pas gratuite et est tout à fait réaliste. Je ne dirais pas, par contre, que c'est glauque. Pour moi, ce serait porter un jugement de valeur sur le monde rural. Et je ne suis pas forte sur les jugements. Par ailleurs, le style de l'auteur pèse pour beaucoup dans mon appréciation de son roman. Ça vous aide à mieux comprendre?
SupprimerJ'aime beaucoup cette critique ! Et ce livre me tente énormément. Je le note illico.
RépondreSupprimerJ'espère qu'il te plaira autant qu'il m'a plu. Un auteur (très jeune - début vingtaine) à suivre de près, en tout cas.
SupprimerUn extraordinaire premier roman. Tu fais bien de rappeler que l'horreur n'y est pas gratuite. L'auteur ne porte à aucun moment un jugement de valeur sur l'environnement de son enfance, même devenu adulte. Et on est d'accord, au-delà du fond il y a l'écriture qui d'une puissance assez stupéfiante.
RépondreSupprimerMerci tellement! C'est grâce à toi que ce roman a croisé mon chemin.
SupprimerJ'espère qu'il fera du bruit. Il le mérite.
Pas pour moi c'est certain.
RépondreSupprimerTu me fais rire!
SupprimerEuh et pourquoi donc?! ;-)
SupprimerTa façon de le dire, tout simplement. Comme ton Sirop me fait agréablement sourire à chaque fois, douce dame. xx
Supprimer;-)
SupprimerMmouais, le noir ne me dérange pas, mais là, j'hésite parce que je n'aime pas trop quand c'est pour de vrai ...
RépondreSupprimerAlors là, tu passes! On est dans l'hyperréalisme, miss. Rien de plus vrai.
SupprimerJ'en ai envie ! Pour l'histoire et pour la couverture qui est splendide !
RépondreSupprimerLe style te plaira (ou non). Une lecture éprouvante pour ce premier roman très réussi.
SupprimerDe fait, la couverture est très belle...