Le témoin solitaire · L'herbe de fer
dimanche, février 03, 2019
J’ai découvert William Boyle avec le remarquable Gravesend. La lecture de Tout est brisé, son deuxième roman, m’avait
légèrement moins emballée, versant un tantinet trop à mon goût dans le
misérabilisme. Avec Le témoin solitaire, me v’la qui tombe de haut. Ce roman aura au moins eu le mérite de m’amener à lire enfin L’herbe de fer de William Kennedy.
LE TÉMOIN SOLITAIRE – WILLIAM BOYLE
Amy Falconetti, mi-trentaine, s’est bien assagie depuis qu’elle a cessé de travailler dans un bar et de faire la fête. Elle s’est
rangée, et pas rien qu’un peu. Elle vit dans un petit appartement au coeur de Gravesend,
un quartier de Brooklyn. Bénévole pour la paroisse locale, elle apporte la
communion à des personnes âgées incapables de se rendre à l’église. Elle est
aussi seule que les vieillards qu’elle visite. La résurgence de sa
foi semble l’avoir sortie d’un puits sans fond.
Regrettant d’avoir passé l’essentiel de sa vie à des préoccupations égoïstes
et vaines, Amy a eu envie de faire preuve d’altruisme. Sans se prendre pour une
sainte, elle pouvait tout de même apporter un peu de lumière dans la vie des
gens.
Lorsqu’Amy apporte la communion à Mme
Epifanio, elle croise Vincent, le fils d’une amie. La vieille dame se plaint que le fils de Diane ait été fouiller dans sa chambre, comme s’il cherchait quelque chose à voler. Cette confidence
inquiète Amy. Est-il arrivé quelque
chose à Diane? Et que cherchait son fils? Amy part en filature, suivant Vincent à
la trace, comme elle avait déjà suivi un meurtrier dans son adolescence. Mauvaise idée...
Dans la même poignée de jours, le père d’Amy, disparu depuis l’enfance de sa fille, refait soudainement surface, mielleux et repentant. Alessandra, l’ex-petite amie, partie à Los Angeles jouer à l’actrice, revient faire un tour en ville et fait un bond dans le présent d’Amy. Alors qu’Amy tente de mettre de l’ordre dans sa vie, les fantômes de son passé sont plus présents que jamais.
Dans la même poignée de jours, le père d’Amy, disparu depuis l’enfance de sa fille, refait soudainement surface, mielleux et repentant. Alessandra, l’ex-petite amie, partie à Los Angeles jouer à l’actrice, revient faire un tour en ville et fait un bond dans le présent d’Amy. Alors qu’Amy tente de mettre de l’ordre dans sa vie, les fantômes de son passé sont plus présents que jamais.
Pour une déception, c’en est toute une. Cuisante, même.
Le témoin solitaire ou l’art de
courir après le trouble!
Dans
sa jeunesse, Amy a subi un incident traumatisant. Elle a été témoin d’un
meurtre et a développer un mélange de terreur et de fascination pour le
meurtrier. À nouveau témoin d’un meurtre, que fait Amy? Elle appelle la police? Eh ben
non! Elle accourt vers la victime, ignorant si le meurtrier est encore
dans les parages. Elle le laisse crever et prend la fuite avec l’arme du crime. Pire, elle ira par la suite confronter l’assassin. Étonnamment, Amy n’est pas
suicidaire et a bien toute sa tête. Ses décisions et ses choix douteux m’ont
exaspérée. Si au moins elle était sympathique. Mais non! Des motivations inexpliquées, des coïncidences improbables, une fin complètement loufoque, de sorte qu’au final, l’intrigue perd de sa
cohérence, voire de son sens.
William Boyle connaît extrêmement bien Brooklyn.
Son roman est à
ce point détaillé que j’avais l’impression de lire une intrigue avec Google Map
en fond de page. Les noms de rues et les lieux sont nommés comme dans un guide touristique. Trop, c ’est comme pas assez!
Le style et la construction du roman de Boyle me sont apparus beaucoup
plus traditionnels que dans ses romans précédents. Disons que j’ai pu apprécier
une chose: retrouver Alessandra,
personnage de passage dans Gravesend.
J’ai également aimé la manière dont Boyle rendait tangible l’insondable profondeur de la solitude des
personnages âgées. Mais aussi bien le dire, ça ne pèse pas lourd dans une balance. Mais c’est déjà ça!
Le témoin solitaire, William Boyle, trad. Simon Baril, Gallmeister, 304 pages,
2018.
★★★★★
· · · · · · · · ·
L'HERBE DE FER – WILLIAM KENNEDY
C’est
en lisant la postface du roman de Boyle, où il affirme que L’herbe de fer est son roman préféré, que je me suis dit qu’il était
temps de plonger. J’ai ouvert délicatement la vieille édition jaunie 10-18 que
j’ai réussi à trouver – la couverture de la collection «Vintage» de Belfond ne
m’inspirant pas du tout – et je suis partie à la rencontre de Francis Phelan, LE personnage qui a brisé le
coeur de Jérôme en 2018.
Ça se passe à Albany, dans l’État de New-York, à la fin des année 1930. Les traces de
la Grande Dépression ne se sont pas encore effacées. Francis Phelan, cinquante-huit
ans, a besoin d’argent. Il accepte de remplir de
terre les tombes fraîchement creusées pour une petite poignée d’argent. Accompagné
de Rudy, rongé par un cancer, Francis parcourt le cimetière, la pelle à la
main. Les morts, au demeurant forts occupés à tresser des pissenlits et à fumer des racines, se font entendre.
Francis est un homme éteint. La culpabilité l’étouffe, les remords aussi. Après un tragique accident, il a pris la fuite, abandonnant derrière lui sa femme Annie. Au moment où débute le roman, il y a plusieurs années que Francis n’a pas mis les pieds à Albany. Il a roulé sa bosse, traîné sur les routes, dormi dans des ruelles sombres. Il a rencontré Helen, sa compagne d’infortune. Ensemble, ils ont survécu, tant bien que mal. Son retour réveille les morts. Même l’alcool ne parvient pas à faire taire leur voix.
Francis est un homme éteint. La culpabilité l’étouffe, les remords aussi. Après un tragique accident, il a pris la fuite, abandonnant derrière lui sa femme Annie. Au moment où débute le roman, il y a plusieurs années que Francis n’a pas mis les pieds à Albany. Il a roulé sa bosse, traîné sur les routes, dormi dans des ruelles sombres. Il a rencontré Helen, sa compagne d’infortune. Ensemble, ils ont survécu, tant bien que mal. Son retour réveille les morts. Même l’alcool ne parvient pas à faire taire leur voix.
L’intrigue de L’herbe
de fer tient à un fil. Plutôt que de me faire raconter une histoire, j’ai eu l’impression de faire un bout de chemin aux côtés de Francis et Helen. Un petit quarante-huit heures bouleversant.
La scène d’ouverture, au cimetière, est un
morceau d’anthologie. C’est l’une des
plus belles mises en bouche que j’aie lu depuis longtemps. Que les morts prennent la parole peut
paraître inusité. Ça l’est. Mais William
Kennedy parvient à élever cette cocasserie au rang de grand art, à glisser de l’humour au coeur du désespoir. Parce qu’il n’y a pas que la misère ici. Il y a aussi de la dignité, de la tendresse, de l’amour. C’est
à la fois tragique, cruel et... drôle.
La grande force du roman vient de ce que Kennedy enrobe ses personnages d’une aura d’humanité. Ces hommes et ces femmes à la dérive n’ont pas toujours fréquenté les soupes populaires et les refuges pour sans-abris. Francis a été un joueur de baseball talentueux, Helen a été une musicienne prodige. Un mauvais tour du destin les a fait vaciller et c’est tout leur avenir qui a cessé de leur sourire. Comme quoi personne n’est à l’abri. On peut tous perdre pied, un jour ou l’autre.
Un roman frémissant de sensibilité, sans une once
de misérabilisme. Un roman de la compassion, au sens le plus noble.
L’herbe de fer, William Kennedy,
trad. Marie-Claire Pasquier,
10-18, 244 pages, 1993.
★★★★★
23 commentaires
J'ai eu le même ressenti que toi pour les noms de rues dans "le témoin solitaire" cela m'a passablement agacé. J'ai largement préféré Tout est brisé. J'avais noté aussi le william kennedy, tu me donne encore plus envie de le lire
RépondreSupprimerJe comprends que tu aies préféré "Tout est brisé". Reste que pour moi, il n'arrive pas à la cheville de "Gravesend"!
SupprimerLe roman de Kennedy fait partie d'une série. Pour ma part, j'ai bien envie d'aller investiguer de ce côté...
je pense lire Gravesend bientôt, je pensais le lire après "le témoin solitaire" mai j'ai eu peur de retrouver l'effet "google map" :) que je n'aurai pas supporté une seconde fois
SupprimerJe te rassure, pas de Google map avec "Gravesend". C'est définitivement son meilleur des trois, sans commune mesure avec les deux autres!
Supprimerl'herbe de fer a récemment rejoint mes étagères, suite à l'avis élogieux de Jérôme. Je me réjouis de le lire, mais j'attendrai un peu, je suis déjà plongée dans le récit bien glauque et bien triste de la pathétique épopée de deux misérables (Dandy, de Richard Krawiec). Boyle, je ne connais pas, il était pourtant l'un des auteurs présents au dernier salon Lire en poche de Gradignan (près de Bordeaux), mais je n'ai pas été vraiment tentée. A tort, si j'en crois le début de ton billet, je note Gravesend, alors.
RépondreSupprimerTu lis "Dandy"??? J'en garde un profond et vibrant souvenir. J'avais été fortement marqué par ce roman... Glauque? Je ne sais pas. Mais triste, absolument.
SupprimerPour moi, le seul roman de Boyle qui vaut vraiment la peine d'être lu, c'est "Gravesend". Je ne pense pas lire ses prochains romans, mais je compte relire un jour "Gravesend"!
Gravesend était vraiment génial! Cette découverte m'avait vraiment marquée. Puis il y a eu un autre livre, puis un autre et je ne les ai finalement jamais lu.
RépondreSupprimerJe ne sais pas si je vais essayer un jour, mais je garde en tout cas un excellent souvenir de son premier roman.
"Gravesend" était un fort bon roman. Ses suivants m'ont plutôt déçue, comme s'il étirait la sauce...
SupprimerL'herbe de fer, encore une fois, me tente assez. Il reste dans la liste de mes envies.
RépondreSupprimerPourtant, je ne suis pas certaine qu'il te plairait, celui-là. Tu peux le mettre dans le bas de ta liste d'envies!!!
SupprimerAh, un problème de style peut-être?
RépondreSupprimerLe style, notamment. Mais surtout un manque d'affinités avec les personnages. Je pourrais me tromper, remarque!
SupprimerOK, de toute façon, il est vrai que j'en ai encore tellement à lire!
SupprimerJe passe cette fois ci :-)
RépondreSupprimerEt je ne t'en tiendrais pas rigueur. Du moins, pas cette fois-ci!!!
SupprimerJ'ai cru relire mon billet en lisant le tien ! oui, je me demandais sans arrêt mais pourquoi prend-elle l'arme ? pourquoi fait-elle ci et ça ? pourquoi ? ..j'aurais préféré repartir avec Alessandra ...
RépondreSupprimersinon, je note le William Kennedy, du coup c'est une série et ma BM a le premier livre donc je vais commencer par là ;-)
trop bien de te retrouver le lundi !!!
Pour Kennedy... Encore une fois, tu feras les choses à l'endroit, dans le bon ordre, contrairement à moi!
SupprimerJe suis immensément déçue par le roman de Boyle. Au point que je pense en rester là avec lui. Je me conterai de relire "Gravesend"!
Ouf ! j'ai bien fait de te lire avant de me laisser tenter par "Témoin solitaire", je passe mon tour ! Par contre, le second a l'ai plutôt pas mal !
RépondreSupprimer"Le témoin solitaire" m'a fait enrager! Tout ça pour ça? Passe ton tour sans regret! Il y a 1000 fois mieux à lire!
SupprimerDécouvrir William Boyle avec un autre titre peut-être et L'herbe de fer me tente fort !
RépondreSupprimerDécouvrir William Boyle avec "Gravesend", nul autre!
SupprimerJe savais que tu te régalerais avec l'herbe de fer, c'est un roman magistral !
RépondreSupprimerTu avais vu juste! Magistral, oui!
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