Little · David Treuer
dimanche, août 11, 2019
Pour ma
troisième incursion dans l’œuvre de David Treuer, j’ai plongé dans Little, son premier roman. Après Comme un frère et Indian Roads, la magie a une fois encore opéré.
Même une fois le trou comblé, la tombe que nous avions creusée pour mon
frère Little est restée vide. Et personne ne voulait l’admettre. Tout le monde
dans le lotissement qu’on appelait Pauvreté évitait la vérité nue, la tombe
vide. À pauvreté, enfouie au fond des bois, il n’y avait personne qui puisse
surveiller ce qui se passait et, puisque nous n’étions que sept à habiter dans
les deux seules maisons qui n’aient pas été éventrées ou démolies, nous
n’avions d’explications à donner à personne. Personne à qui exposer les faits.
Donc, même si le corps n’était pas là, ça ne changeait rien.
D’entrée de jeu, la table est mise. Le
cercueil de Little restera vide. Reste à savoir pourquoi. Et d’abord, comment
est-il mort? C’est sur cette assise que s’échafaude l’intrigue du roman de David
Treuer.
Aux confins du Minnesota, dans une petite réserve, une
poignée d’Indiens Chippewas s’accrochent à la vie. Parce qu’elle est d’une
rudesse impitoyable, cette vie: poussiéreuse, intransigeante, sans pitié. Cette
poignée de gens qui vit à Pauvreté est soudée serrée, solidaire, résistante face à l’adversité. Il y a
les vieux: Jeannette, évadée de sa maison de retraite; les jumeaux septuagénaires Duke et Ellis, qui vivent dans leur vieille Pontiac Catalina; il y a
les adultes, dont Stan, un vétéran
du Vietnam et sa sœur Violet. Et il y a les jeunes: la petite
Jackie qui n’a pas froid aux yeux; Little, le gamin aux doigts comme des pinces, qui refuse de parler sinon pour
assener des «Toi» à tous vents. Et il y a Donovan, recueilli par Duke et Ellis dans une voiture accidentée pendant une journée de tempête. Une belle brochette de personnages, riche, étoffée, auquel je me suis très vite attachée.
Dans ce roman choral, chaque personnage prend la parole à tour de
rôle, déroulant le fil de son histoire, mettant
ainsi à nu des secrets de famille profondément enfouis. Comme souvent chez Treuer, la chronologie est
disloquée, les décennies sont brassées
et l’arbre généalogique secoué. La tension
est forte. D’autant plus que ce n’est qu’à la toute fin que les circonstances
de la mort de Little sont révélées. Comme dans Comme un frère, les
liens et ramifications ne sont pas des plus limpides, ne coulant pas de source.
Il faut faire un petit effort pour ne pas se perdre. David Treuer suture les mots, coud ensemble les vies de ses personnages, prend soin d’eux. Ici, jamais il n’y a lieu de pleurnicher ou de s’appesantir. La nature, malgré sa rudesse et sa sauvagerie, est toujours magnifiée.
Un petit bémol: un personnage, celui d’un prêtre tourmenté, m’a semble hors de propos. Quelques chapitres que j’ai eu envie d’enjamber.
Pour tout le reste, je reste sous un charme hypnotique.
Little, David Treuer, trad. Marie-Claire Pasquier, Albin
Michel, «Terres d’Amérique», 336 pages, 1998.
★★★★★
10 commentaires
du coup je ne te lis qu'en diagonale car je dois le lire (et dans l'ordre !) je reviendrai bien évidemment dès que je l'ai lu (et le suivant)
RépondreSupprimerJe me demande encore ce que tu attends pour découvrir les fictions de Treuer. Du bonbon à la fois doux et acidulé...
SupprimerTrès tentant! En plus j'aime beaucoup les romans chorale. Pour le moment, tu as un préféré chez Treuer?
RépondreSupprimerComme toi, j'adore les les romans chorale (en passant, je n'ai jamais su comment accorder «choral» accolé à roman!).
SupprimerMa préférence, pour le moment, va à "Comme un frère". Le début m'a coupé le souffle (une image magnifique)... Ça commençais bien!
Bon bon bon... il faut que je m'en procure au moins un !
RépondreSupprimerAu moins un, certainement!
SupprimerBeaucoup aimé Little et Comme un frère.
RépondreSupprimerEt moi de même! Tu as lu son essai "Indian Roads"? Étonnamment, j'hésite à lire ses plus récents romans...
SupprimerEt bien je prends cette chronique comme une piqûre de rappel... Je dois dire que celui-ci a un titre qui me parle beaucoup : tant de poids dans un mot si simple. J'ai hâte de découvrir ce qui s'y cache.
RépondreSupprimerJ'espère que cette «piqûre de rappel» n'a pas été trop douloureuse! Je t'encourage plus que vivement à te découvrir l'univers de David Treuer. Si, comme moi, tu accroches, ce sera le début d'une grande aventure!
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