Attaché(e) de presse littéraire: cet obscur métier...
dimanche, mai 15, 2016Parmi les métiers du livre, celui d'éditeur, de libraire ou de bibliothécaire nous sont plutôt familiers. Mais il y a des métiers plus «obscurs», dont celui d'attaché(e) de presse littéraire. Je suis allée à la pêche auprès de M., attachée de presse pour un important diffuseur, afin d'en apprendre davantage sur cet intriguant métier.
Comment devient-on attaché(e) de
presse?
À vrai dire, il n'existe pas de formation type. Certains auront
étudié en communications, d'autres (souvent) en littérature. Quelques-uns
auront travaillé en communications, mais dans la musique, l'évènementiel, etc. Depuis
quelques années, il existe un programme d'édition à l’université de Sherbrooke;
je ne serais pas étonnée que les futur(e)s attaché(e)s de presse oeuvrant dans
le milieu du livre viennent également de ce parcours.
Pour ma part, après un bac en sciences sociales, j'ai poursuivi
un programme «métiers du livre» en France. J'ai une maîtrise en communications,
spécialité Livre. Mais tous les étudiants diplômés de ce cursus ne deviennent
pas attaché(e) de presse; certains seront représentant, libraire, éditeur, ou
feront tout autre chose! La formation nous enseigne les rudiments de chaque
secteur (marketing, fabrication, édition, numérique, cessions de droits, etc.),
mais je pense que c'est bien plus les stages qui, ensuite, nous spécialisent.
Quel est le rôle du service de presse?
Derrière chaque livre publié, il y a un(e) auteur(e) qui y a consacré du temps et de l'espoir. Après que son texte ait été
retenu par une maison d'édition, celui-ci passe par plusieurs phases
(retravail, révision, correction, mise en page, impression, etc.). Le service
de presse reçoit l'ouvrage en bout de ligne et va faire en sorte de le mettre
en lumière afin que les lecteurs soient informés de son existence et de son
intérêt.
Il s'agira de le présenter aux journalistes
et aux influenceurs, de le défendre, d'obtenir de la visibilité pour l'ouvrage
et parfois pour son auteur. Il se publie des milliers de nouveautés chaque
année, nous travaillons, dans l'ombre, à ce que les livres dont nous faisons la
promotion se distinguent.
Raconte-moi la journée type d'un(e) attaché(e) de presse.
Il n'y en a pas vraiment, car chaque ouvrage est différent et
chaque maison d'édition ou structure de diffusion aussi. Travaillons-nous avec
un auteur vivant? Québécois? Francophone? Anglophone? Est-il disponible pour
des entrevues? Est-il même d'accord pour en accorder? Par exemple, un auteur
québécois publié par une maison d'ici ne sera pas «travaillé» de la même façon
qu'un auteur slovaque traduit par une petite maison d'édition européenne.
Néanmoins, chaque jour je vais avoir à proposer différents livres
à des journalistes, recherchistes et influenceurs, tant de la presse écrite que
radio, télévision ou sur Internet. Faire des suivis sur ceux précédemment
proposés également. Je vais planifier des entrevues, préparer des communiqués,
réaliser des envois et m'assurer que les ouvrages sont bien arrivés. Je prends
le temps de suivre les critiques publiées ou diffusées également; j'en informe
les auteurs et monte des dossiers de presse. Et plein d'autres choses!
Quels sont les aspects du métier que tu préfères?
Il y en a plusieurs!
Chaque rentrée littéraire est une surprise! Quels auteurs reviennent? Quelles
découvertes vais-je faire? Quel titre va se démarquer? Pourquoi?
Rien n'est jamais
acquis d'avance en promotion, même pour un auteur connu. Parvenir à obtenir de
bonnes critiques et des entrevues auprès des médias qui me semblent le plus
correspondre à un ouvrage donné est chaque fois une petite victoire.
Il y a aussi les
coups de cœur pour un auteur peu (voire pas du tout) connu: participer à sa
découverte, faire que d'autres le lisent et te disent qu'ils l'ont également
aimé. J'aime partager mes lectures, participer à révéler de petites pépites.
Et puis, il y a les
échanges avec les auteurs et les journalistes, qui peuvent donner lieu à de
belles rencontres.
D'un point de vue
plus personnel, j'ai accès à une foule de livres! Des livres dont je n'aurais
peut-être jamais entendu parler autrement. À l'inverse, je lis parfois des
titres pour mon travail, vers lesquels je n'aurais pas été portée à aller;
cela me contraint à sortir de ma zone de confort (de lecture). Et comme j'assure
le service de presse tant de romans (en tous genres), que de bandes dessinées et
de littérature jeunesse, cette diversité me permet de découvrir des ouvrages
variés, mais également de travailler avec des interlocuteurs différents.
Et ceux que tu aimes le moins?
Il faut se le dire:
on n'aime pas tous les livres que l'on promeut; il faut pourtant les travailler
aussi bien que les autres. C'est un beau défi également.
Et il y a les
annulations: tu peux avoir passé du temps à organiser une entrevue pour un auteur,
et le jour et l'heure J, l'actualité est telle que tout tombe à l'eau. L’entrevue
n'est pas reportée, mais annulée. Cela fait partie des aléas de notre métier,
mais c'est parfois un peu frustrant.
Y a-t-il, selon toi, une grande différence entre le métier
pratiqué au Québec et celui pratiqué en France?
Dans les façons
d'être attaché(e) de presse, je ne pense pas; par contre, il y a assurément une
différence quant au nombre d'interlocuteurs. La France étant plus peuplée, le
bassin de lecteurs potentiel est plus grand; et il y a davantage de médias
couvrant les livres, tant du côté de la presse magazine, qu'en nombre de journaux
ayant des cahiers livres ou en émissions radio et de télévision. Il me semble
également que davantage d'émissions, sans être spécialisées livre ou même culture, ont des segments prévus pour recevoir des auteurs,
discuter d'une nouveauté. Et puis, avec des voisins belges et suisses parlant
en partie français, la promotion dépasse parfois les frontières de l'Hexagone.
Selon toi, quel rôle jouent
aujourd'hui les blogues littéraires dans la diffusion de la littérature?
Je pense que certains tendent à devenir de plus en plus des
influenceurs. Pour certains lecteurs, les blogues vont être des compléments
d'informations (tel journaliste et tel blogueur en ont parlé en bien, cela
devrait me plaire); pour d'autres, au contraire, il y aura un rejet de la
critique littéraire médiatique et l'avis d'un blogueur sera perçu comme plus
honnête.
Par le style d'écriture des billets et par les échanges que ceux-ci
créent (par l'usage des commentaires, ou par le biais de références à d'autres
blogues, en créant des communautés), je pense qu'on tend à se sentir plus en
relation avec le blogueur. S'il a aimé (ou, au contraire, si cela l'a laissé de
marbre) tel et tel livre et qu'il en fut de même pour moi, il est possible que
j'aime également ses prochains coups de cœur.
Pour ma part, je pense que les blogues littéraires sont
complémentaires aux canaux de promotion du livre habituels. Pour autant, tout
blogue ne devient pas un influenceur: cela prend du temps, des lecteurs
fidèles et une façon de se distinguer de la foule d'autres blogues existants
déjà.
Comment choisis-tu tes
lectures?
Je suis souvent sur plusieurs lectures en même temps. J'essaye
de ne lire qu'un roman à la fois, mais quand un livre «plus important »
nous parvient, je mets ma lecture en attente pour me consacrer à celui-ci. Je
vais donc d'abord lire les ouvrages sur lesquels va se concentrer mon travail,
puis ceux peut-être moins attendus (des premiers romans, des traductions de
pays moins représentés, etc.), mais dont je suis curieuse. On essaye aussi,
entre collègues, de se repartir les titres, pour avoir des avis de lectures sur
le plus de livres possibles. Mais si un coup de cœur se dessine pour l'un de
nous, il n'est pas rare que les autres vont le lire également!
Je m'assure également de me garder des moments pour lire autre
chose que ce sur quoi je travaille. Il se fait de bien belles choses un peu
partout et j'aime toujours aller en librairie me faire un cadeau ou me faire
offrir par des proches les livres qui, pour eux, ont été des coups de cœur.
Quels sont tes derniers coups
de cœur littéraires?
Au cours des derniers mois, j'ai été très touchée par la Douleur porte un costume de plumes, de
Max Porter, aux Éditions du Seuil. Un récit en prose sur le deuil, raconté par
un père, ses deux jeunes fils, et un corbeau qui s'est installé dans leur
maison. Il peut se lire en continu comme se picorer, tellement ses courtes
phrases, d'apparence anodines, sont fortes. Je pense que c'est un petit livre
vers lequel je retournerai au fil des ans.
Dans un tout autre genre, Illska,
de l'Islandais Eirikur Orn Nordhall aux éditions Métailié, continue de
m'accompagner. J'aime déjà les romans choraux, mais la construction de celui-ci
m'a emportée! L'auteur réussi à nous entrainer sur plusieurs pays et époques,
mais aussi à interpeler le lecteur et à le faire se poser des questions sur sa
propre compréhension du monde. Je suis d'autant plus curieuse de découvrir ce
qu'il pourra écrire après cela.
J’ai également été convaincue par Sangs d’Audrée Wilhelmy chez Leméac et Royaume Scotch-tape, le recueil de poésie de Chloé Savoie-Bernard,
aux éditions l’Hexagone. Ce sont deux jeunes auteures que je vais assurément
suivre.
Que lis-tu en ce moment?
En ce moment, je termine Les
Pêcheurs, premier roman (qui a figuré sur la liste du Man Booker prize) de Chigozie
Obioma. Un drame familial qui résonne comme une tragédie grecque, mais prenant
place au Nigeria. L'histoire nous est contée par un jeune garçon dont la
famille vole en éclat après qu'un fou ait prédis que le fils aîné serait tué
par un de ses frères. L'auteur a une plume magnifique, des images fortes
(chaque personnage, par sa façon d'agir, se voit associé à un animal) et rend
admirablement le délitement, puis le désarroi, qui s'emparent de la famille. Il
mêle l'anglais et les dialectes yorouba et igbo en fonction des émotions, et
cela fonctionne, fait sens. C'est tout un premier roman.
Et comme j'ai toujours, malgré tout, des livres en attente en
même temps, je compte poursuivre ma lecture de Vladimir M., le nouveau roman de Robert Littell; Guerre et Térébenthine de Stefan Hertmans,
qu'on m’a offert; et sur ma table de chevet repose le collectif Femmes rapaillées, dont je vais lire
quelques pages quand le soir je n'ai pas le temps – autant que souhaité – de me
plonger dans un roman.
Quand aux livres sur la «pile à lire», imaginez… elle est sans
fin!
Et finalement, c'est un très beau mot de conclusion, que
d'imaginer tous ces livres qu'il nous reste à découvrir.
20 commentaires
très très intéressant et instructif; merci! Tu penses bien qu'on connait (via mails) quelques attachées de presse (y'a des hommes?) et c'est chouette de connaître un peu mieux leur métier;..
RépondreSupprimerUn entretien très instructif, en effet. M. est une perle dans ce métier. Elle me propose des lectures en fonction de mes goûts et intérêts. C'est une véritable passionnée. Et je t'avoue qu'elles ne sont pas légion! Les hommes semblent très rares dans ce métier...
SupprimerJe veux faire ce métier !!!! Méchante Marie-Claude !! et moi je lis en anglais et en français et même en espagnol, y a du boulot pour moi ?? Merci pour cette très joli interview !!
RépondreSupprimerBon dimanche ma belle !
On est jalouse, hein?!
SupprimerTes chances sont bonnes. Excellentes, même!
Bon dimanche aussi.
Tu es une vraie touche à tout. Décidément, j'adore, ton blog!
RépondreSupprimerJe suis d'abord et avant tout une insatiable curieuse!
SupprimerTrès sympa de faire découvrir ce métier. J'en fréquente évidemment, mais tu permets de mieux percevoir de quoi est précisément fait leur quotidien ! En tout cas, elle a l'air très sympa ton attachée de presse ;-)
RépondreSupprimerJ'étais curieuse d'en connaître davantage sur ce métier. Et M. a gentiment accepté de répondre à mes questions. C'est une perle, cette fille!
SupprimerQuelle belle et intéressante entrevue. Un métier ''méconnu'' mais au combien important. Merci Marie-Claude.
RépondreSupprimerC'est vrai que ce métier est trop «méconnu». Maintenant, on en sait un plus sur ce métier passionnant.
SupprimerMerci pour ce billet très intéressent ! le métier de rêve en fait...
RépondreSupprimerDe rien, Chinouk. Tout le plaisir est pour moi!
SupprimerOui, le métier de rêve, entouré de livres...
Merci de prendre la peine de nous parler de ces personnes qui oeuvrent souvent dans l'ombre.
RépondreSupprimerEn tout cas, on dirait que je suis la seule à ne pas avoir aimé le livre de Max Porter ��
J'ai deux autres «portraits» en tête... À suivre!
SupprimerRassure-toi, tu n'es pas la seule à ne pas avoir aimé le roman de Max Porter! J'ai lu d'autres avis mitigés, voir des abandons.
j'adore cet article "carrière" et je serais ravie d'en lire d'autres...à bon entendeur... :D
RépondreSupprimerJ'en ai deux autres dans ma mire. Reste à voir si les personnes accepteront de répondre à mes questions!
SupprimerTrès intéressante ton interview et une bonne occasion d'en apprendre plus sur un chouette métier ! Bonne idée ;o)
RépondreSupprimerMerci, Virginie! J'étais curieuse d'en apprendre davantage et je constate que je n'étais pas la seule!
SupprimerPassionnant! Je me régale à explorer ton blog et lorsque je tombe sur des entrevues comme celle-ci, je me délecte :-)
RépondreSupprimerAh! Ça fait plaisir. Je me délecte aussi à fouiner chez toi!
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