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911 · Shannon Burke

Un jeudi soir sur la 20, entre Montréal et Québec. Une ambulance me double, gyrophares allumés. Les lumières à l’intérieur. Un ambulancier s’active à faire un massage cardiaque. Je me dis qu’il est temps de lire 911.

911 braque les projecteurs sur Ollie Cross, 23 ans. Ollie veut devenir médecin. Comme il a échoué le concours d’entrée en médecine, il se retrouve ambulancier stagiaire à Harlem, en attendant de repasser l’examen. Il vit dans un petit studio, étudie dès qu’il le peut son manuel de médecine et sort avec Carla, qui fait médecine.

La station 18 est la station la plus débordée, la plus difficile de l’ensemble des services d’urgence de New York. Ollie travaille en binôme avec le misanthrope et secret Rutkovsky. Parmi ses collègues, Verdis le gentil, LaFontaine le redoutable, Hatsuru le profil bas, et Marmol.

Sous la canicule comme par grand froid, Ollie défile dans ce quartier de New York où les rues sales sont livrées aux rats, aux gangs, à la prostitution et à la drogue, où les ados agonisent une balle dans le ventre ou dans la tête, où les femmes toxicos, encore sous l’emprise de leur dernière dose, accouchent de bébés mort-nés, où les vieux meurent dans l’indifférence. Face à cette ado qui se taillade «vie de merde» sur le ventre avant de sauter du quinzième étage ou cette obèse diabétique dont les orteils noirs tombent lorsqu’on lui enlève son bas, Ollie se découvre courageux. Il se sent vivant. Puis, au fil des pages, son enthousiasme s’émousse. Il se forge une épaisse carapace.

Loin de la simple énumération des horreurs quotidiennes, Shannon Burke s’interroge sur les limites du détachement face à l’insoutenable. Feindre l’indifférence: un blindage essentiel dans ce travail, mais qui peut se révéler dangereux quand la carapace finit par étouffer ce qu’elle devrait protéger. Comment garder son humanité sans être affecté par l’indifférence?

Shannon Burke, qui a été lui-même ambulancier, présente une galerie de personnages abimés par l’horreur et la détresse. On retrouve à chaque coin de page le malaise urbain. Sans réelle intrigue, 911 est un récit brut, viscéral, un exercice de haute voltige. Un roman rugueux, cru, d’une force évocatrice impressionnante, empreint d’une grande d’humanité.

911 est un roman éprouvant, qui prend à la gorge de la première à la dernière page. On suffoque, on tremble, on a la nausée. Une écriture sans concessions, tour à tour dépouillée et glaciale. À coups de phrases urgentes, Shannon Burke nous entraîne dans un univers dont la noirceur est sans égale et nous immerge au cœur de l’horreur. Un voyage hallucinant au bout de la nuit new-yorkaise.

J’avais horreur des saloperies auxquelles j’assistais, de celles dont je me souvenais, qui formaient toutes une boule en travers de ma gorge: des intestins bleu gris sur un volant rouge, des bouches mortes emplies de blattes vivantes, la chaussette souillée d’une diabétique obèse, les orteils noirs qui en tombent pour rouler par terre comme des calots, jusque sous la télévision, et elle qui nous demande si c’est grave, c’est pas grave, hein, c’est pas la peine d’aller à l’hôpital, hein?

Le patient restait étendu, les yeux grands ouverts, vides, comme un aveugle. Je lui avais parlé une minute avant. À présent, ce n’était plus qu’un tas de chair inerte. Il était mort. J’ai continué les compressions thoraciques. J’ai fait comme si c’était normal de voir quelqu’un mourir, juste là, sous mes yeux.

Le sordide incessant et l’horreur banale du boulot nous procuraient le sentiment étrange d’être à l’aise dans ces circonstances, détachés, et même de nous sentir bien dans le monde parallèle des urgence médicales, des blessures graves et des morts subites. Je me souviens d’avoir défoncé une porte verrouillée et mis la tête d’une vieille femme entre mes jambes pour lui enfiler un laryngoscope de treize centimètres dans la gorge, sous les yeux de sa famille qui devait se dire qu’il s’agissait d’une pratique tout à fait normale.

911, Shannon Burke, trad. Diniz Galhos, 10/18, 2016, 216 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Benjamin Voros

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