Ifemelu grandit à Lagos, au Nigeria, dans un milieu modeste de petits bourgeois plutôt bien lotis. En tant qu’étudiante, elle est confrontée aux grèves incessantes qui paralysent la ville, freinant son éducation. C’est poussée par la curiosité qu’elle part aux États-Unis rejoindre sa tante Uju et son fils Dike. Elle laisse derrière elle Obinze, son amour de jeunesse et éternel admirateur de l’Amérique, qui compte la rejoindre.
La nouvelle vie d’Ifemelu n’est pas de tout repos. Difficile de trouver un travail, difficile de se découvrir noire dans un pays où les Blancs sont au haut de l’échelle sociale. C’est en mettant les pieds sur le sol américain qu’elle prend conscience de sa couleur. À partir de ce moment, elle ne cesse de redéfinir son identité, transformée par le regard des autres.
Les années passent. Ifemelu s’adapte du mieux qu’elle peut. Elle obtient une bourse, poursuit ses études, fait de belles (et moins belles) rencontres et crée un blog: Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non-américaine. Très vite, il cartonne, lui assurant une vie de plus en plus confortable. De réussites en défaites, elle tente de trouver sa voie. Après quinze ans d’exil, Ifemelu décide de revenir sur ses pas: elle rentre au Nigeria. Le retour au pays n’est pas facile. Les enjeux et réalités qui l’attendent sont plus déstabilisant que ce à quoi elle s’attendait.
Sur un chemin de travers, Obinze tente d’obtenir son visa pour rejoindre Ifemelu. Sans succès. Il se retrouve sans papiers au Royaume-Uni, passant d’un univers cultivé en Afrique aux bas-fonds de Londres. Il travaille sous un faux nom et tente de contracter un mariage arrangé. Il est arrêté sur le chemin de la cérémonie et est expulsé du pays. Retour à la case départ. Une fois revenu à Lagos, Obinze devient un riche promoteur immobilier, se marie et a un enfant. Il n’est pas heureux pour autant. «Depuis quelques mois, il avait l’impression d’être surchargé par tout ce qu’il avait acquis – la famille, les maisons, les voitures, les comptes en banque – être pris, de temps en temps, de l’envie de crever cette bulle avec une épingle, de tout faire dégonfler, pour être libre. Il ne savait plus avec certitude, il ne l’avait jamais su en réalité, s’il aimait vraiment cette existence ou s’il l’aimait parce qu’il était censé l’aimer.» Sa vie sera chamboulée par le retour d’Ifemelu.
Difficile de résumer ces chassés-croisés entre présent et passé, émigrants et natifs restés à Lagos. Impossible de lâcher ces aventures hautes en couleurs de vernis à ongles, couleurs d’extensions réalisées par des coiffeuses à la peau blanchies. Chimamanda Ngozi Adichie partage sa vie entre Chicago et Lagos. Partie à dix-huit ans aux États-Unis, elle parle d’expérience, elle parle de ce qu’elle connaît: des Africains de la classe moyenne, de ceux qui émigrent, quittent leur pays, non parce qu’ils sont pauvres, mais parce qu’ils attendent d’avantage de la vie. Trop souvent, on s’attend à ce que les romans africains soient misérabilistes, parlent de pauvreté, de guerre, de sida ou d’Ebola. Rien de cela ici. Ifemelu, Obinze et les personnages qui gravitent autour d’eux représentent un nouveau type d’immigrants. Ils ne fuient pas la guerre ou la famine, mais partent parce qu’ils en ont envie.
Chimamanda Ngozi Adichie met le racisme, la discrimination et le statut d’immigrant sous son microscope. Et ce, sur trois continents à la fois: l’Amérique, l’Afrique et l’Europe. Pour un tour de force, c’en est tout un! Elle épingle les stéréotypes négatifs véhiculés sur l’Afrique tout en brossant un portrait mordant des minorités noires des États-Unis. Elle se moque malicieusement de notre incapacité à faire la différence entre le Congo, le Sénégal ou le Nigeria parce que, soit-disant, l’Afrique est un seul et grand pays.
Lire Americanah, c’est plonger dans le frottement des cultures et des modes de pensées. Une lecture captivante, pleine de souffle, décoiffante. De ces lectures qui surprennent, qui ouvrent les yeux et font passer du sourire aux larmes. Oh! En passant, c’est aussi une très belle histoire d’amour!
Ne dis pas: «Oh, le racisme c’est fini, l’esclavage c’était il y a belle lurette.» Nous parlons de problème des années 1960, pas de 1860. Si tu rencontres un vieux Noir originaire de l’Alabama, il se souvient sans doute du temps où il devait descendre du trottoir parce qu’un Blanc passait au même moment. J’ai acheté une robe vintage sur eBay l’autre jour, datant de 1960, en parfait état et que je mets souvent. Quand sa propriétaire la portait, les Noirs américains n’avaient pas le droit de vote parce qu’ils étaient noirs. […] Pour finir, ne prends pas un ton «Soyons objectifs» en disant: «Les Noirs sont racistes eux aussi.» Car il est vrai que nous avons tous des préjugés (il m’arrive même de détester certains membres de ma famille, des gens avides, égoïstes), mais le racisme est lié au pouvoir d’un groupe et en Amérique ce sont les Blancs qui ont ce pouvoir. Comment? Eh bien, les Blancs ne sont pas traités comme de la merde par les classes supérieures afro-américaines, les Blancs ne se voient pas refuser des prêts bancaires ou des hypothèques uniquement parce qu’ils sont blancs, les jurys noirs n’appliquent pas aux criminels blancs des peines plus lourdes qu’aux criminels noirs pour des crimes identiques, les policiers noirs n’arrêtent pas les Blancs au volant de leur voiture, les entreprises noires ne refusent pas d’engager quelqu’un parce que son nom a une consonance blanche, les enseignants noirs ne disent pas aux écoliers blancs qu’ils ne sont pas assez intelligents pour devenir médecin. […] Alors, après cette série de choses à ne pas faire, quelles sont les choses à faire? Je n’en sais rien. Essaye d’écouter, peut-être. Écoute ce qui est dit.
Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie, trad. Anne Damour, Gallimard, 2015, 528 p.
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