Search

Aucun homme ni dieu · William Giraldi

Keelut, un bled perdu aux confins de l’Alaska. Là, le froid paralyse, la neige s’empile, les nuits sont interminables, les cabanes clairsemées.Là, il n’y a ni routes ni panneauxde signalisation. Aucun GPS ne répertorie ce village au nord du monde, ce grand Nord en marge de toute civilisation, où les repères et les certitudes vacillent.

Cette année-là, le froid est plus implacable que jamais. Les bottes fourrées, l’alcool et le ragoût de lynx ne peuvent rien contre le froid persistant. Les caribous se sont enfuis, en quête de nourriture. Une rumeur prétend que les loups affamés sont descendus des montagnes et ont enlevé trois enfants du village. Bailey, le fils de Medora Slone, est le troisième à disparaître. Medora n’espère pas retrouver son fils vivant, elle sait bien qu’il est mort. Elle écrit à Russell Core, un écrivain de nature writing, auteur d’un livre sur les loups gris. Elle l’implore de venir l’aider à retrouver les ossements de son fils et de tuer le loup meurtrier. Core accepte, sans trop savoir pourquoi.

Core a soixante ans, mais il en paraît quatre-vingts. Il laisse derrière lui sa femme clouée dans un lit depuis treize mois par une attaque qui l’a privé de la moitié de son cerveau et de sa lucidité. Il laisse aussi sa fille, professeur d’histoire à l’université d’Anchorage. Core est persuadé que les loups ne sont pas les seuls coupables et que les habitants de ce bled isolé en savent plus qu’ils ne le prétendent, à l’image de cette vieille femme croisée au hasard d’une rue. Cette femme qui l’invite à se détourner de la toundra glacée pour rejoindre le cœur du village, là où résiderait la clé de l’énigme. La pureté immaculée du paysage dissimule bien des noirceurs…

À des milliers de kilomètres de là, Vernon Slone, le mari de Medora, combat dans un désert brûlant, en Afghanistan ou en Irak. Il s’est enrôlé pour échapper à la crise économique qui touche ce coin de l’Alaska. Slone rentre au pays, blessé. La mauvaise surprise qui l’attend réveille ses instincts meurtriers. L’heure de la vengeance vient de sonner. Il se lance dans une traque implacable, semant terreur et morts sur son chemin. Core et Mariam, le flic local, sont sur une piste, eux aussi. Personne n’en sortira indemne…

William Giraldi a chaussé ses bottes d’aventurier pour aller sculpter dans la neige une histoire qui tient à la fois du polar et du roman d’aventures. La force de son roman tient dans le rythme obsédant qu’il dégage: celui du marcheur entêté, mi-homme, mi-bête, qui fait face à une nature sans pitié.

Aucun homme ni dieu tranche avec les intrigues routinières de certains romans sur le grand Nord. Il présente quelques familiarités avec le Sukkwan Island de David Vann: une intrigue envoûtante et brutale. Un roman d’une rare intensité, servi par une écriture tout en retenue, aride, sèche. La traduction de Mathilde Bach rend perceptible l’atmosphère sombre et obsédante qui sourd du texte de Giraldi. Aucun homme ni dieu montre à quel point la limite entre humanité et sauvagerie peut être ténue. Quand l’homme devient un loup pour l’homme…

Il était pourtant allé très loin dans les profondeurs du Montana, du Minnesota, du Wyoming, du Saskatchewan, mais il ne parvenait pas à se souvenir d’un seul autre lieu aussi étranger, aussi inconnu que celui-ci. Une colonie à la frontière de la Nature, à la fois familière du monde sauvage, et lui résistant.

Il se souvenait d’avoir lu des récits d’hommes saisis par le gel dans l’Arctique: d’abord venait la fatigue, puis les idées troubles, la mémoire embrouillée, et enfin, juste avant de mourir, on ne sentait plus le froid, une vague de chaleur affluait dans le sang, et tout s’éteignait. Tant qu’on sent le froid, on ne risque pas de mourir. Core ne se souvenait pas avoir jamais eu aussi froid.

Aucun homme ni dieu, William Giraldi, trad. Mathilde Bach, Autrement, 2015, 320 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Jonathan Wheeler

Close
Close