
Le dernier roman de Lionel Shriver raconte l’histoire de Pandora, la quarantaine, qui vit dans l’Iowa avec Fletcher, son mari accro au vélo et à la nourriture santé, et les deux ados de ce dernier. Femme d’affaires accomplie à qui tout sourit, Pandora a grandi dans l’ombre de son frère Edison, devenu un jazzman adulé. La vie de Pandora, réussie mais monotone, est chamboulée par la venue d’Edison qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans. En fait, Edison est dans une mauvaise passe et se trouve presque à la rue. Pandora accepte d’héberger son frère, au grand désespoir de son mari. Deux mois, pas plus. Mais pauvre Pandora… Elle est loin de se douter qu’elle vient de mettre le doigt dans un engrenage qui chambardera sa vie. À l’aéroport, c’est le choc. Elle peine à reconnaître son frère dans la montagne de graisse de 400 livres en fauteuil roulant qui vient vers elle. Passé les retrouvailles, s’installe entre le frère et la soeur un climat de non-dits. Edison continue de s’empiffrer en pérorant sur ses succès de jazzman. De son côté, Pandora ne veut pas blesser l’orgueil de son frère tout en cherchant un moyen de lui venir en aide. Peu à peu l’atmosphère devient très tendue à la maison. Entre Fletcher et Edison, les tensions sont vives, et c’est Pandora qui va en faire les frais. Jusqu’à devoir choisir entre son mari et son frère. C’est une décision radicale qu’elle prend: elle quitte le nid familial pour s’isoler dans un appartement avec Edison, le met au régime sec et en profite pour perdre les quelques kilos qu’elle a en trop. Et ça marche! Jusqu’à ce que Lionel Shriver opère un retournement percutant.
Depuis qu’Edison m’en a fourni le motif, je me suis lancée dans l’étude suivante: celle de la hiérarchie des éléments pris en compte lorsqu’on pose les yeux sur quelqu’un. Lorsqu’au loin émerge une forme qui n’est pas un lampadaire mais un être humain, nous enregistrons: (1) le genre, (2) la corpulence. L’ordre dans lequel s’effectue cette reconnaissance est peut-être généralisé dans ma partie du monde, même si je doute que la corpulence ait toujours figuré en seconde place. Pourtant, aujourd’hui, j’ai tendance à remarquer qu’une silhouette est mince ou grosse avant de prendre conscience, une nanoseconde plus tard, que cette personne est un Blanc, un Hispano-Américain ou un Noir. Si cette personne est plutôt corpulente, la plupart d’entre nous remarquons probablement d’abord «plutôt corpulent» que son sexe.
Je veux qu’il comprenne que la vie ne nous est pas uniquement donnée, mais qu’on se doit aussi de la façonner. Mais aujourd’hui, à l’école, on dit aux enfants qu’ils sont des petits anges, qu’ils sont merveilleux du simple fait qu’ils sont en vie, et ils le croient. Et ils vont dans le monde et s’attendent à ce que tout un chacun s’incline devant eux. C’est dangereux, Pandora. Cette façon de penser qu’ils sont la huitième merveille du monde, ça les rend stupides et ça fait d’eux des proies.
Big Brother, Lionel Shriver, Belfond, 2014, 448 p.