
Elle est toute jeune. Son univers est… étrange. Les douze nouvelles qui composent ce recueil sont à la fois effrayantes et addictives. Dans un climat glaçant, le malaise est omniprésent et la folie jamais loin. L’étrangeté surgit du quotidien le plus banal.Pour chacune de ces nouvelles, j’étais à l’affût de ce moment où le banal glisserait dans l’étrange. L’étrangeté est à l’honneur dans Un enfant sale, où une jeune femme s’inquiète pour un enfant de la rue délaissé par sa mère junkie. Toute aussi étrange, cette nouvelle où une gamine et son amie décident de glisser des chorizos dans les matelas de l’hôtel où son père travaillait, pour se venger de son licenciement (L’hôtel). Sans parler de cette jeune anorexique obsédée par un crâne trouvé dans la rue (Pas de chair sur nous). L’horreur monte d’un cran avec Patio du voisin.Une femme est convaincue que son voisin garde un enfant enchaîné dans son appartement. L’enfant se révèle une créature sauvage sanguinaire et affamée de chat. Réalité ou hallucination? Deux nouvelles m’ont particulièrement chamboulée. La maison d’Adela, dans laquelle une gamine amputée d’un bras partage sa fascination pour les films d’horreur et est avalée par le mur d’une maison abandonnée. Et Fin des classes, dans laquelle une adolescente s’arrache les ongles et les cheveux devant ses camarades de classe.
Le Buenos Aires de Mariana Enriquez est un labyrinthe terrifiant: des quartiers sombres, des rues tortueuses peuplées de toxicomanes, d’enfants des rues, d’adolescentes en quête d’aventures fortes. Les fantômes de la dictature rôdent, la pauvreté se fait sentir. Ici, les femmes occupent le premier-plan. Des adolescentes torturées aux femmes de carrière, les personnages féminins de Mariana Enriquez sont complexes et… troublants. Les enfants passent un mauvais quart d’heure. Les hommes ont tous le mauvais rôle: violents, contrôlants, fainéants. Ils ne font pas long feu et sont rapidement expulsés. Les mots de Mariana Enriquez sont pesés, adroitement enfilés les uns à la suite des autres pour emprisonner son lecteur. Un univers singulier, glauque, puissant. Un recueil déroutant et hautement original.
Ce que nous avons perdu dans le feu, Mariana Enriquez, trad. Anne Plantagenet, Éditions du Sous-Sol, 2017, 240 p.
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