C’est par hasard que j’ai mis la main sur Dérive sanglante dans une librairie d’occasion.Un roman publié chez Gallmeister, je suis toujours preneuse. Une lecture de circonstance pour terminer mes vacances au milieu des bois: le Maine, un homme et son chien, la pêche à la mouche et, accessoirement, une petite enquête. Je suis tombée amoureuse. Un coup de foudre littéraire pour Stoney Calhoun. Un personnage comme je les adore: solitaire, mystérieux, droit et terriblement séduisant.

La mémoire de Calhoun s’est effacée le jour où il a été frappé par la foudre. Il s’est réveillé à l’hôpital, sans mémoire, avec pour seul souvenir une grosse cicatrice dans le dos. Des fantômes se rappellent parfois à lui, des images trop fugaces pour qu’il puisse les retenir. C’était il y a cinq ans.
À sa sortie de l’hôpital, les poches pleine d’argent, Calhoun a décidé de refaire sa vie dans le Maine. Il s’est construit une cabane au cœur des bois. Il y vit avec son chien Ralph, un épagneul breton. Il coule des jours paisibles: il pêche, fabrique ses mouches, se balade avec son chien, lit une anthologie de la littérature américaine et boit du Coca (il ne supporte pas l’alcool), en écoutant Mozart. Il s’est trouvé un boulot dans le magasin d’articles de pêche tenu par la jolie Kate, qui ne tardera pas à devenir sa maîtresse. Il sert les clients, fabrique des mouches et joue au guide de pêche. Lyle McMahan, son collègue passionné par la pêche, la chasse et les femmes, est devenu son meilleur ami. Cette vie, Calhoun l’a gagnée de haute lutte, et il entend bien la préserver, à coups de fusil au besoin.
Le caillou dans l’engrange de sa quiétude vient de l’homme qui débarque dans la boutique de Kate un matin de juin. Ce qu’il veut, c’est engager un guide pour la journée et trouver des recoins secrets pour pêcher la truite. Calhoun aurait dû accompagner l’homme. C’était à son tour. Mais il a préféré refiler le boulot à Lyle. Mal lui en a pris: Lyle disparaît. Le client, lui, s’est volatilisé. Quand la camionnette de Lyle est retrouvée quelques jours plus tard sur le parking d’une école, Stoney se lance sur sa piste. Rongé par la culpabilité, il va tout faire pour retrouver sa trace. Au fil de ses trouvailles, il se découvre d’étonnants talents d’enquêteur qui vont le confronter aux fantômes de son passé.
Il faut un immense talent pour arriver à captiver avec la description d’une partie de pêche quand on n’aime pas pêcher! William G. Tapply le fait haut-la-main, avec un naturel désarmant. Loin des grandes villes déglinguées pourvoyeuses de tueries, Tapply magnifie les grands espaces, la relation de l’homme à son environnement.L’enquête, ici, est accessoire. Le charme se situe ailleurs. Les vrais héros du roman sont ses personnages et le lieu où ils évoluent: le Maine. Tapply fait vivre les mots. J’ai entendu le bruit de la rivière, j’ai vu la lumière filtrer à travers les branches, j’ai aperçu la biche et son petit!
Le rythme lent et la pureté de l’écriture font de Dérive sanglante un roman qui donne furieusement envie de tout lâcher, d’attraper sa canne à pêche pour foncer taquiner le poisson au fin fond du Mainte. Et Dieu sait que la pêche et moi, ce n’est pas gagné d’avance.
Dérive sanglante, William G. Tapply, trad. Camille Fort-Cantoni, Gallmeister, «Totem», 2012, 304 p.
© unsplash | Vidar Kristiansen