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Happy fucking Christmas, dear Janet! · Lucie Britsch

J’ai terminé l’année avec un roman de circonstance, dans lequel la période de Noël et la frénésie qui l’entoure sont à l’honneur. Et j’ai lu le plus mauvais roman de mon année. Un très mauvais premier roman.

Janet est amorphe. C’est son état normal. Pessimiste, désillusionnée et triste aussi. Elle vit avec son copain. Heureux, lui. Elle rompt et coupe aussi les ponts pour un temps avec sa mère. Sa liberté retrouvée, elle mange au lit sans culpabiliser. Elle travaille dans un refuge pour chiens, au fond des bois. Elle préfère être entourée de chiens que d’humains. Elle résiste aux antidépresseurs. Quasiment tout le monde, ici, en consomme et ne s’en porte que mieux. Quelques mois avant Noël, la pression commence à monter. Janet devrait trépigner de hâte et d’impatience. Bien au contraire, elle est « incapable de s’exciter pour le père Noël » et angoisse déjà d’être déprimée à Noël. Un nouvel antidépresseur vient d’être mis sur le marché, un de ceux pour bien se mettre dans l’esprit des Fêtes. Malgré ses réticences, Janet accepte la prescription de son médecin et commence le traitement, qui vient avec une thérapie de groupe obligatoire. Son entourage est aux aguets, à l’affût de signes encourageants de mieux-être. Au final, Janet passera à travers le tourbillon des Fêtes, un peu plus joyeuse qu’à son habitude et ce, même si elle n’a pris aucun antidépresseur. Parce que Janet, elle a seulement fait semblant de les prendre.

C’est bien connu, une personne normale aime Noël, ses rassemblements bien arrosés, son orgie de cadeaux. L’injonction au bonheur est impitoyable. Comme s’il n’y avait qu’une seule façon juste et saine d’être. C’est cette obligation à être heureux, cette positivité toxique que Lucie Britsch remet en question. Le milieu pharmaceutique et l’industrie du mieux-être en prennent ainsi pour leur grade. On parle d’un roman provocateur. Je me demande en quoi il l’est. À cause de la crudité de certaines formules? Tant qu’à moi, il en faut plus pour être provocant. À contre-courant de la bien-pensance, je veux bien. Mais c’est tellement bâclé que le message se dissout de lui-même. Ce roman a des allures de pastille effervescente. Ce n’est pas un compliment. C’est dommage, parce que les réflexions qui le portent sont passionnantes. La manie de faire des généralisations me fait grincer des dents. « Les gens pensent que » et le « on » inclusif, ce n’est pas ce qui manque, ici.

Je sors beaucoup sans mon téléphone. La liberté doit ressembler à ça. Les gens pensent que leur téléphone les relie aux autres, le mien est une chaîne à mon cou.

Le corps a des capacités de guérison impressionnantes, alors que l’esprit est une plaie béante qu’on ne peut pas s’empêcher de tripoter jusqu’à ce qu’elle s’infecte.

Janet pense souvent, très souvent à la masturbation. Avec un plaisir évident. Je me demande donc pourquoi elle ne s’accorde un plaisir solitaire qu’une seule fois dans le roman. Let’s go, fille. Si tes séances de branlette te font à ce point du bien, qu’est-ce que t’attends pour récidiver? Bref, beaucoup de bruit pour pas grand-chose. J’espérais, avec ce roman, retrouver la même ironie, la même fraîcheur qu’avec les romans d’Ottessa Moshfegh (Mon année de repos et de détente) et de Melissa Broder (Sous le signe des poissons). On en est bien loin. Je me demande si Lucie Britsch n’aspire pas à être une stand-up comique. Elle abuse des formules qui se veulent drôles. Pour un peu, il y aurait eu des petites flèches, dans la marge, pour spécifier: « Éclatez de rire, ici. C’est drôle. » La traduction trop franchouillarde m’a horripilée. Je n’ai pas de problème avec les « va te faire foutre », les « naze », « pécho », « mec » – et j’en passe – dans un roman français. Mais dans un roman traduit, je tique à chaque fois. Quant à la profusion de « type » et de « truc », ils dénotent, à mon sens, une pauvreté de vocabulaire. Et si c’est pour « faire genre », ce n’est pas un genre qui me rejoint. Ce n’est pas par masochisme que je me suis rendue à la dernière page. Mine de rien, j’étais assez curieuse pour vouloir connaître le fin mot de l’histoire. C’est maintenant chose faite. 

Happy fucking Christmas, dear Janet!, Lucie Britsch, trad. Karine Lalechère, Cherche midi, 2021, 300 p.

Rating: 1 out of 5.

© unsplash | Isabel Vittrup

25 comments

  1. Je me demandais pourquoi tu avais été jusqu’au bout….. Moi dans ce cas là je ne suis pas masochiste et j’abandonne…. Mais tu as répondu à ma question à la fin de la chronique….. Et j’ai l’impression que la réponse a fait pshitttttt…… Et bien une fin d’année désolante livresquement parlant mais le positif c’est que 2022 ne pourra être mieux en évitant ce gene de trappes…….. 🙂

    1. J’étais assez intriguée pour poursuivre. La narratrice avait des réflexions intéressantes. C’est le rendu qui gâche la sauce.
      pshitttttt, c’est bien le cas!

      J’entame l’année avec un roman captivant. L’année part fort et je m’en réjouis. J’espère que ça se passe bien pour toi avec Anne Tyler… Tu me diras quels romans tu as abandonnés?

    1. En temps normal, moi aussi, j’aurais abandonné. Mais la réflexion derrière les mots me retenait.

      Autant ce roman a eu un très beau succès en anglais, autant je ne le vois nulle part en français…

    1. J’avais commandé le livre. Après, je suis allée lire un extrait. Malheur à moi. Il était rendu trop tard pour décommander le roman.
      J’ai commencé ma lecture et, mine de rien, les pages défilaient. Les réflexions m’ont retenue. Mais le nombre de fois où j’ai failli abandonné est incalculable.

      Je suis bien ferrée avec ma première lecture de l’année. Un pur régal.

  2. J’aime pas Noël.
    (on parlait de commentaires pertinents ?)

    ah les traductions horripilantes ! ça m’arrive de temps en temps de racheter un livre en v.o. juste à cause de ça.

    1. C’est un commentaire capital, donc très pertinent! On est au moins deux à ne pas aimer Noël!

      C’est la chance que tu as de pouvoir lire en v.o. Je suis admirative…

      1. À chaque fois, moi aussi, c’est un échec. Une exception, un essai: En marge, lu il y a plusieurs années.
        Depuis, je sais que Jim et moi, ça ne fonctionne pas.

  3. alors là j’ai bien envie de lancer un commentaire, étrangement moi qui lis énormément en anglais le titre ne me dit rien (le nom un peu plus) et j’adore le whippet en couverture LOL sinon, ben zut alors pour finir l’année, un grand pschiiiitttt … entre les généralités et les trucs bidules, je compatis ! bon je vois que tu es en bonne compagnie à nouveau, tant mieux !

    1. La couverture est craquante, tant en anglais qu’en français d’ailleurs. Le résumé l’était tout aussi.

      J’ai déjà tiqué pour le titre. Pourquoi avoir conservé l’anglais?

      Je suis un brin étonnée… tu ne l’as pas vu passer sur les réseaux anglophones?

  4. Zut, Krol m’a piqué mon commentaire…
    Dis, éclaire ma lanterne : toi qui as fait des efforts admirables pour dégraisser ta PAL, comment en es-tu venue à lire ce truc ?!

    1. Méchante Krol!

      J’en suis venue à lire ce « truc » par envie de continuer à lire quelques romans fraîchement sortis du four. Tu comprendras qu’une telle lecture me renforce dans mon idée de revenir vers les vieux livres! J’excepte mes auteurs chouchous dont j’attends les nouvelles parutions avec impatience…

  5. Évidemment que je continuerai de partager mes montées de lait livresques! Elles sont aussi importantes que mes coups de coeur! Mine de rien, elles tracent un parcours de lectrice!

    Je suis sur une bonne lancée, les excellentes lectures déboulent. À quand la prochaine montée de lait?!

  6. Il ne faut pas avoir peur! Il faut juste avoir l’envie.

    Si mon billet t’a fait rire, c’est déjà très bien. D’autant plus que je n’ai pas comme ambition de devenir stand-up comique!

  7. De toutes évidences oui, sur la même ligne de ressentis livresques! Pour Antonio, il est qualifié d’auteur obscur et très difficile d’accès. En fait, ça passe ou ça casse. Il a ses aficionados, dont je fais partie. Pour tenter le coup, je te recommande Explication des oiseaux ou Mémoire d’éléphant. Ils sont plus accessibles. Presque tous ses livres sont disponibles chez Points. C’est déjà pas mal! Il faut savoir que lire un de ses romans, c’est s’immerger dans un monde.

    1. Merci pour ces deux titres…. Ils sont entrés dans ma liste d’envies et je pense que Mémoire d’éléphant par le sujet sera le premier et je verrai si lui et moi on s’accorde 🙂

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