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Homesman · Glendon Swarthout

Il avait envie de lui dire, bon sang, gamine, ne grimpe pas dans un chariot pour aller vivre dans une maison en terre, faire une portée de marmots et vieillir avant ton heure, perdre la boule et obliger quelqu’un à t’attacher dans un autre chariot pour te ramener à ton papa et à ta maman qui seront morts et enterrés d’ici là. Mais il ne dit rien, ne put rien dire.

Au milieu du 19e siècle, la vie des pionniers est d’une rudesse inconcevable. La maladie détruit les troupeaux, les enfants meurent de la diphtérie, la faim creuse les ventres, le froid engourdit les membres, les loups affamés rôdent autour des maisons de terre. En partant avec leur mari vers l’Ouest sauvage, à la conquête d’un Territoire au milieu des Grandes Plaines, les femmes attendent beaucoup de la vie. Nées dans l’Est civilisé, elles ont suivi leur mari en vertu du Homestead Act, qui offrait des terres aux familles désireuses de les exploiter. Ce qu’elles ont trouvé, c’est la survie dans des conditions extrêmes, la promesse déçue d’un avenir meilleur. Certaines ont courbé l’échine et se sont accrochées au peu qu’il leur restait. D’autres, telles Theoline, Hedda, Gro et Arabella, ont basculé dans la folie. C’en était trop pour elles. Comme il n’y a pas d’asile dans l’Ouest, le révérend Dowd propose de mettre en place le même procédé que l’hiver précédent: escorter ces femmes vers l’est, jusqu’en Iowa, les ramener dans leur famille. Si la folie n’est pas contagieuse, elle est crainte comme la peste. Personne ne veut la côtoyer, ni de près ni de loin. Dépassés, démunis, les maris de ces femmes acceptent de se séparer d’elles – les uns avec soulagement, les autres avec désespoir. Mary Bee Cuddy vit seule – elle voudrait bien un mari, mais les hommes la trouvent aussi quelconque qu’un vieux sceau en étain. Elle cultive ses terres, supporte la solitude et la rudesse de sa vie avec stoïcisme. Lorsqu’elle apprend que Vester, le mari d’une des femmes qui a perdu la boule, refuse de participer au tirage au sort qui déterminera qui, des quatre époux concernés, se chargera du rapatriement, elle se porte volontaire pour le remplacer. La veille du départ, les doutes et la peur la font chanceler.


Seule, sans personne, elle ne pourrait jamais mener un chariot et un attelage, nourrir, soigner, protéger et réconforter quatre cas aussi difficiles jusqu’au Missouri, pas toute seule, pas sans quelqu’un.


Quelqu’un croisera sa route: George Briggs, un voleur de concession sans foi ni loi. Elle lui sauve la vie. En échange, il doit l’accompagner. C’est dans un étrange charriot, pieds et poings liés, que les quatre femmes partent aux côtés de Cuddy et de Briggsvers la civilisation où de bonnes âmes vont se charger d’elles. Ensemble, ils vont parcourir des paysages désertiques qui hébergent des bandits, des Indiens et des arnaqueurs. L’épuisement, la faim et la folie gangrènent tout. Cuddy et Briggs s’apprivoisent, tout en gardant un œil sur leurs protégées. Dans la dernière partie du roman, un revirement inattendu survient. Tout un revirement… L’histoire en devient carrément poignante.

Homesman est un roman rude, âpre. Glendon Swarthout sort le western des sentiers battus en mettant l’accent sur le sort des femmes des pionniers. Ici, ce n’est pas l’Amérique des cowboys héroïques, des méchants indiens, des duels et des saloons. Non. C’est la conquête de L’Ouest en sens inverse. Glendon Swarthout joue à la fois sur les mythes (celui de la frontière, des pionniers) et sur l’histoire intime (celle d’une femme indépendante et pieuse, celle d’un grincheux taciturne, celle de familles qui partent en vrille). Un roman magistral, époustouflant. 
Homesman est paru en 1988 aux États-Unis. Une première traduction, épuisée depuis belle lurette, a été publiée en 1992 sous le titre Le chariot des damnées. En 2014, Gallmeister publie une nouvelle édition avec un nouveau titre et une nouvelle traduction. Une pépite de plus à accorder au crédit d’Olivier Gallmeister et de sa fabuleuse équipe. L’adaptation de Tommy Lee Jones est à voir, pour le jeu des acteurs, pour les paysages d’une beauté étourdissante. L’âpreté de la vie et l’omniprésence de la peur y sont admirablement bien traduites.

Homesman, Glendon Swarthout, Gallmeister, 2014, 288 p.

Rating: 5 out of 5.

© unsplash / Taylor Brandon

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