Une mère vient de mourir, sans crier gare. Elle laisse derrière elle son mari et ses deux petits garçons. Une fois la famille et les amis retournés à leur vie, le père se retrouve «aussi vidé qu’un pendu», hagard.
Elle n’utilisera plus jamais (son maquillage, le curcuma, sa brosse à cheveux, le dictionnaire).
Elle ne terminera jamais (son roman de Patricia Highsmith, le beurre de cacahouètes, le baume à lèvres).
Et je n’irai plus lui dénicher des livres pour son anniversaire.
J’arrêterai de trouver ses cheveux.
J’arrêterai de l’entendre respirer.
Ils sont où les pompiers? Ils sont où le bazar et le boucan d’un événement comme ça? Ils sont où les inconnus qui viennent nous aider, qui crient et qui nous lancent des trucs de secours fluorescents pour essayer de nous calmer et de nous sauver?
Un soir, on sonne à la porte de l’appartement londonien où vit la famille effondrée. Un immense corbeau, doté de parole, se présente au père et lui déclame, sans ambages: «Je ne partirai pas tant que tu auras besoin de moi.» Il vient voler au secours du père et de ses fils. Il vient les aider à faire leur deuil. Sa mission ne sera accomplie qu’une fois la douleur apaisée et le goût de vivre revenu.
Dans ce roman choral, les voix du père, des gamins (une seule voix pour les deux) et du corbeau prennent la parole à tour de rôle. Ce choix narratif allège la lourdeur du propos et apporte un grand dynamisme au texte.
La présence du corbeau déstabilise, c’est vrai. Mais cette présence amène dans son sillon un humour ravageur et contagieux. À la fois insolant, tyran, psychologue et fou du roi, le corbeau empêche les personnages – et le lecteur – de sombrer dans une tristesse sans fond.
J’aime les romans qui bousculent, qui sortent des sentiers battus. Mais au départ, j’avoue avoir eu du mal avec les chapitres qui mettent en scène le corbeau. C’est à la deuxième lecture (oui, dès la dernière page tournée, j’ai recommencé à le lire!) que j’ai pu apprécier toute sa verve et m’imprégner de sa voix unique, chantante.
Très romantique, notre première fois. Gros malpoli. Croche-piège. Deux chambres à l’étage, duplette, petite erreur effilée, faufile facile dans le mur direction grenier pour voir les deux petits cotonneux dormir sans bruit, ronron enivrant des enfants innocents, ouate, attaque, crac-tac-plac, toute la chambre étouffait sous le deuil, chaque surface Maman morte, chaque feutre, tracteur, manteau, botte, tout couvert d’une pellicule de douleur. On redescend l’escalier de Maman morte, tacatacatac chuchotent mes serres, vers la chambre de Papa depuis peu sans Maman. […] Le voici K.O. Tout blanc soûl.
Le style de Max Porter est vif, gorgé de poésie. Il secoue la langue, la malaxe comme de la pâte à modeler. À ce titre, la traduction de Charles Recourséest un véritable tour de force. Rien de larmoyant entre ces pages, rien qui remue les tripes. Ça se passe à un tout autre niveau.
Un roman? Une fable moderne? Un long poème en prose? Tout ça à la fois. Un roman déroutant, audacieux, aussi poignant qu’hilarant. Un roman salutaire, qui apporte un regard différent sur le deuil: un regard frais et revigorant. Ça, ça se prend toujours bien.
La douleur porte un costume de plumes, Max Porter, Seuil, 2016, 128 p.
C'est fort intrigant. Si j'ai l'occasion, je le lirai volontiers.
Je me laisserais bien tenter par cet étrange roman.
128 pages.. ce n'est pas l'incursion du corbeau qui me questionne mais pas la prose (le style de l'auteur). J'ai eu plusieurs lectures ardues ces temps-ci aussi, je passe monte. Si j'ai l'occasion dans un futur loin, peut-être me lancerais-je 😉
Il m'attend… Je suis plus que curieuse de cette lecture…!
Moi j'aime bien les livres un peu bizarre. J'ai commencé à lire avec du fantastique et de la science-fiction alors les incursions étranges comme ici avec le corbeau me plaisent assez. Sauf que le style de l'auteur dans les extraits que tu mets ne me donne pas envie du tout. Seul le premier, qui parle de l'absence, vient me chercher.Je pense que je vais passer.
Ca m'intrigue !
Ce n'est pas le premier billet que je lis, mais je n'arrive pas à être attirée par ce roman…
Déstabilisant, surtout! Mais au final, un roman d'une grande force.
Pour le thème du deuil, traité différemment, et pour l'expérience de lecture déstabilisante, il vaut le détour!
Les passages où parlent le père et ses fils sont tout simplement sublimes. Pour ceux du corbeau, il faut une certaine adaptation – et deux lectures ne furent pas de trop! Mais une fois qu'on a apprivoisé son langage, ça passe mieux!
Yé! J'ai très hâte de lire ce que tu en as pensé.
Surtout par ces temps d'instabilité livresque qui courent, ce n'est pas un roman tout indiqué pour toi!
Si les romans atypiques te tentent, fonce!
Je l'ai feuilleté (j'avais d'abord très envie de l'acheter) mais il me fait un peu peur, à cause de cette narration qui a l'air étrange..je tenterai sans doute quand même ;o)
C'est très court mais très intense, un livre d'une grande originalité qui transcende les genres littéraires 🙂
Les avis sont assez partagés. Si tu ne le sens pas, il y a aucun problème à passer ton tour. Il y a tant et tant à lire!
Tu peux toujours attendre la sortie en poche! Note que seuls sont étranges et déstabilisants les passages avec le Corbeau. Pour le reste, c'est assez classique. Et les images sont d'une grande puissance.
Oui, un roman atypique, d'une très grande intensité. J'ai apprécié cette façon de revisiter le deuil avec une touche d'humour et de légèreté.
Intrigant car si ça se passe pas au niveau des tripes, ça se passe où ? En tout cas, j'ai été pris à l'hameçon et cette histoire de corbeau noir me fait bien envie.
Tsé quoi? Je ne mettrai pas ma main au feu, mais je gage que ça peut te plaire – et ce, même si les femmes sont absentes du roman!
J'aime aussi les livres atypiques et je l'avais déjà repéré, donc, il fera partie de mes prochaines lectures. Je viens de découvrir ce blog et je pense que je vais le mettre dans ma boite à outils !
Tu viens de découvrir mon blogue et, par le fait même, je viens de découvrir le tien! Une belle découverte. Je sens que je vais aller m'y promener souvent!Je suis curieuse de te lire sur ce roman. Avec un peu de recul, il me revient une foule d'images, ce qui est bon signe.
Il m'attend, m'attire et je le redoute à la fois … Je sais déjà que j'auri du mal avec le corbeau, que le thème du deuil sera difficile, mais j'en ai lu tellement de bien' que je m'y plongerai une fois ma brique terminée (les fiancés de l'hiver 2)
J'ai aussi eu du mal, au début, avec le corbeau. Y'a de quoi, faut dire! Le thème du deuil, quand à lui, est traité d'une manière si originale… aucun pathos entre ces pages.Si tu en es au 2e tome du roman de Christelle Dabos, c'est que le premier tome t'a vraiment plu? Ils m'intrigues, ces romans…
Oui, oui, le premier m'a plu, malgré quelques longueurs. Il paraît que le second est meilleur … C'est de la bone littérature d'évasion à la Harry Potter …
Merci de l'info! Je vais aller voir ça de plus près.
Bon, j'aurai essayé mais c'est un abandon pour moi. Beaucoup trop sombre. Ce n'est pas du tout ce dont j'ai envie en ce moment.
Combien de fois je suis tombée sur un roman qui n'était pas pour moi, ou qui n'arrivait pas à un bon moment? Bravo d'avoir essayé! Ce roman ne se laisse pas facilement apprivoiser.