J’ignorais dans quel bateau je m’embarquais en entamant La fille sans qualités de Juli Zeh. Pour ma première participation au challenge Les feuilles allemandes, j’ai eu les yeux plus gros que la panse. C’est qu’il est costaud, ce roman. Très ambitieux, surtout. Il est minuit moins une. Je me demandais si j’allais m’en sortir à temps pour le challenge. Mission accomplie, mais non sans quelques égratignures. Juli Zeh déroule une histoire complexe, à couches multiples, sur plus de 650 pages. Je suis arrivée à me frayer un chemin à travers ces pages, je me suis enfargée à maintes reprises.

Le préambule titille. La juge, la « froide Sophie », a rendu son jugement. Qu’est-ce qui a bien pu se passer? Sur quoi porte ce jugement? Qui est impliqué? Voilà un bel hameçon auquel m’accrocher. Retour dans le passé dès le premier chapitre. Allemagne, début des années 2000. Ada, quatorze ans, entre au lycée Ernst-Bloch en classe de seconde. Ce lycée privé est le lieu de la dernière chance pour ces jeunes à problèmes dont les parents ont les sous pour acheter un diplôme. Ada est entourée de jeunes biches sans ambition. Elle incarne l’exact contraire de ce troupeau de princesses.
Depuis l’époque où Ada, alors âgé de douze ans, avait découvert toute seule que la quête du sens n’était qu’un sous-produit de la capacité de penser, elle passait pour une surdouée à l’éducation difficile.
Ada a sauté deux classes. Plutôt que de perdre son temps avec les princesses, elle préfère lire Nietzsche et faire une intoxication balzacienne. L’arrivée au lycée d’un nouvel étudiant va rebrasser les cartes. Alev El Qamar, dix-huit ans, charismatique et séduisant, fait de l’effet à tout le monde. Il fascine par son intelligence et sa profondeur. Ada s’approche, s’accroche.
La quête du sens est pur narcissisme. […] La quête du sens est comparable à une grille de mots croisés où on aurait porté pour commencer un mot délibérément faux. […] On peut y jouer pour passer le temps. On peut aussi laisser tomber.
Quand la quête du sens de la vie devient une pure perte de temps, que reste-t-il? Le jeu. Alev va rapidement convaincre Ada de prendre part à un jeu dangereux. Ils mettent en place, sur l’échiquier, toutes les pièces pour faire chanter un de leur prof. Les êtres deviennent alors des figurines qu’ils se plaisent à manipuler. Voilà exactement le roman que j’aurais aimé lire à la fin de mon adolescence. Entre Nietzche, Musil, Dostoïevski et Cioran, il aurait eu une place de choix. Je me serais abreuvée des joutes intellectuelles d’Ada et d’Alev. Leur désenchantement aurait nourri le mien. Ada et Alev ne croient en rien, ni au bien ni au mal. Ils sont de purs nihilistes: l’existence est dépourvue de sens, la morale et la vérité sont inexistantes. Mais voilà, le gouffre de mon adolescence avait un fond. Je l’ai atteint. Il est maintenant loin derrière. Aujourd’hui, les acrobaties cérébrales et la gymnastique intellectuelle me font bâiller. Ce roman de Juli Zeh a de grandes qualités: des personnages fascinants, une intrigue bien tissée, une prose fort bien tournée et des réflexions saisissantes. Mais les bras de fer intellectuels m’ennuient et le roman en est plein. Quand le cérébral étouffe l’émotion, je me tourne les pouces. C’est que qu’on appelle un mauvais timing!
La fille sans qualités, Juli Zeh, trad. Brigitte Hébert, Actes Sud, Babel, 2008, 672 p.
© unspash | Steve Johnson
J’admire ta témérité ….. Moi je m’y refuse désormais mais avec parfois la pensée que ce n’est pas le bon moment et que le reprendrai plus tard (je le corne à l’endroit où je l’abandonne) mais je suis d’accord avec ta remarque : quand l’intellect prend le pas sur le roman, cela devient vite étouffant et soporifique 🙂
Si ce n’avait été du challenge, je l’aurais sans doute abandonné. Je n’ai pas eu envie de l’abandonner avant la moitié. Ce qui est tout de même pas mal! Le style m’a retenue. En somme, je suis contente de m’être rendue au bout. C’est un excellent roman « dans son genre ». C’est juste que « ce genre » a tendance à maintenant m’ennuyer.
Et dis-moi, t’arrive-t-il de reprendre ta lecture? Si oui, tu vas au bout ou tu cornes à nouveau plus loin?
Tu t’en souviendras de cette première participation aux feuilles allemandes… Hmmm j’espère que ce ne sera pas la dernière… Merci beaucoup en tous cas pour ta participation qui est d’autant plus appréciée que tu as tenu sur 650 pages, chapeau!
Oh non, ce ne sera pas ma dernière participation! J’ai déjà deux livres en banque pour la prochaine édition. Au final, je ne regrette aucunement ma lecture. Elle était dense et exigeante. Le style de Juli Zeh m’a retenue. Je suis capable de reconnaître, et je dois reconnaître, qu’il s’agit d’un excellent roman, brillant et profond. Il cadre juste mal avec la lectrice que je suis aujourd’hui.
Très chouette billet, une fois encore ! Je me retrouve complètement dans ta conclusion : pendant mes années lycée, j’ai été friande de textes torturés et tortueux qui ne m’attirent plus du tout, pas envie de prises de tête, du moins pas de cette nature !
Ah, ces textes torturés et tortueux… Et dire qu’on en redemandait!
Ce roman est particulièrement ambitieux et exigeant. Trop pour moi. Elle écrit à mon goût et c’est admirablement bien traduit. C’est pourquoi je me suis rendue au bout du bout. Je ne regrette aucunement de l’avoir lu. J’ai aussi mis la main sur Nouvel an. Quel titre as-tu noté, de ton côté?
« Mais voilà, le gouffre de mon adolescence avait un fond. Je l’ai atteint. Il est maintenant loin derrière. » : j’adore ton sens de la formule ! Je te rejoins là dessus aussi, semble-t-il.
je note néanmoins cette auteure, je la tenterai avec un autre titre peut-être – plus court -, vu ce que tu dis de ce roman, elle semble valoir le détour.
Je pense sincèrement qu’elle vaut le détour. Tu devrais aller y voir de plus près…
Je peux reconnaître que c’était un très bon roman. Ici, c’est la lectrice qui était défaillante! Elle est brillante, la dame! J’ai un roman plus court à lire d’elle. Il semble plus «simple»!
Je ne saurais mieux dire!
Par ailleurs, t’arrive-t-il d’avoir aimé un livre, de le relire, et de ne plus l’aimer? Justement parce que l’âge ou la maturité…
ah je me suis dit, pas possible elle publie non stop ! c’était pour le challenge – j’ai aussi participé et le dernier jour LOL
pour ce livre, ça me rappelle La physique des catastrophes que j’ai beaucoup aimé mais pareil, ça peut être prenant ces conversations intellectuelles mais je le garde car je pense le relire (là c’était entre une ado et son père prof) et après elle a écrit Intérieur Nuit que j’ai beaucoup aimé
Oui, deux challenges et un bilan mensuel, ça fait beaucoup de billets dans la même semaine. Je vais freiner ma cadence, là!
Je m’étais cassée les dents sur La physique des catastrophes, que j’avais abandonné après une trentaine de pages. J’ai essayé deux fois, hé!
Bah je croyais que j’avais commenté sur cet article. Je perds la boule. Je l’avais lu et m’étais enfuie très vite… aucune envie de découvrir ce roman…
Ça tombe bien, je n’aurais pas eu l’intention de te le recommander!
Nouvel-An moi aussi!
Tiens! Une LC à l’horizon pour le printemps?
Je l’ai lu au lycée, et j’ai adoré ! mais pas relu depuis, même si l’envie me titille régulièrement… la peur sans doute d’avoir évolué et d’être déçue lors de ma relecture…
C’est vrai? Tu connais donc cette auteure? Elle a beaucoup écrit, depuis. Si ce roman t’a plu, il serait tentant de voir comment elle a évolué dans ses derniers romans.