
Hector et Aisha reçoivent leurs proches. Rien de plus commun qu’un cercle d’amis réunis autour d’un barbecue. Ça jase, ça rit, ça paresse au soleil. Le père et la mère d’Hector sont là, son cousin Harry et sa femme Sandi aussi, Rosie et son mari Gary, Bilal converti à l’islam et son épouse Shamira, Anouk, juive, et son jeune amant acteur Rhys, deux ados: Connie l’épanouie et Richie le tourmenté… Sans oublier les jeunes enfants des uns et des autres.
Chacun est venu au barbecue accompagné de ses petits soucis personnels. Un couple au bord du gouffre, un boulot dont on n’a plus envie, le manque d’argent, des enfants détestables. Des soucis qui, à la longue, tapent sur les nerfs. Du coup, lorsque Hugo donne un coup de batte à un autre enfant et hurle pour la millième fois, c’en est trop. Une gifle part. Une gifle qui sera le point de départ d’une fêlure grandissante que rien ne pourra arrêter. Une correction infligée à un gamin par un homme qui n’est pas son père. Le barbecue tourne court, chacun rentre chez soi.
Pour ou contre l’agresseur? Les camps se forment. Les amitiés se déforment. La gifle ouvre les vannes des rancoeurs, des pulsions et des désirs. C’est alors que commence le décryptage des personnages. Le projecteur se braque tour à tour sur chacun d’entre eux. Les motivations d’untel, les agissements d’un autre… Rien n’échappe au narrateur omniscient. Il passe au tamis la vie intime de chacun: les doutes, les joies, les silences qui en disent trop long. Toutes ces vies révèlent la petitesse des gens, pris dans un quotidien qui, souvent, ne leur convient pas ou plus.
Je me suis tenu à ce roman comme à la barre d’un bateau. J’ai essayé de ne pas chavirer avec ces personnages, je me suis rassurée de ne pas être comme eux. Et pourtant…
C’est avec une précision froide, quasi chirurgicale, que Christos Tsiolkas révèle les motivations, les traits de caractère et les dialogues intérieurs de chacun de ses personnages. Dans l’avalanche de détails, c’est aussi la vie dans les banlieues résidentielles de Melbourne qui se dévoile. Le racisme, l’homophobie, les préjugés sociaux, le sexisme, la morale: tout ça se manifeste dans les échanges entre les personnages, tantôt ébranlés, tantôt exacerbés par la misogynie, l’intérêt personnel et la mesquinerie. La gifle parle d’un monde à la morale versatile, où les pulsions l’emportent sur la raison, où il est de bon ton d’exacerber ses sentiments et ses passions pour ne pas mourir de peur ou d’ennui.
Difficile de rester de marbre face à un roman d’un tel calibre. Pour lire La gifle, il ne faut pas avoir peur de se frotter à un portrait au vitriol de notre société. On réagit ou on coule. Détonnant, décapant, dérangeant.
La gifle, Christos Tsiolkas, trad. Jean-Luc Piningre, Belfond, 2011, 480 p.
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