De la littérature japonaise ici? C’est à se demander si je n’ai pas reçu un coup de râteau sur la tête. En fait, j’ai lu le billet de Mumu. Ses mots ont eu de l’écho, m’amenant à me garrocher sur Le crépuscule de Shigezo. Elle a fait fort, Mumu!

Quelques mots sur l’auteure, dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Il est dit que la dame est l’une des plus importantes auteures japonaises du 20e siècle. Sa popularité s’explique par le caractère avant-gardiste de son œuvre et par les thèmes qu’elle aborde. Elle serait une Simone de Beauvoir japonaise. Dans une société ultra conservatrice, son œuvre a ébranlé les codes établis et suscité maintes controverses. Écrit au début des années 1970, Le crépuscule de Shigezo raconte la vie pleine à craquer d’exigences d’Akiko. Akiko, la quarantaine, travaille comme secrétaire dans un cabinet d’avocats. Sa belle-mère vient de mourir. Le beau-père se retrouvant veuf, il faudra s’en occuper. Le vieil homme traîne de plus en plus la patte. Il commence à dérailler. Aussi, personne n’est dupe: à 84 ans, ça n’ira pas en s’améliorant. Qui va prendre soin de Shigezo, ce vieillard gâteux? Nobutoshi, son fils, salarié dans une entreprise? Non. Satoshi, le petit-fils futur universitaire, sur qui la famille mise gros? Non plus. C’est clair comme de l’eau de roche: tout va retomber sur les épaules d’Akiko. Akiko se démène comme un diable dans l’eau bénite pour concilier travail et famille, tout en veillant sur son beau-père. L’octogénaire a une faim d’ogre, fait des fugues, s’échappe dans sa culotte, craint les voleurs. Akiko traîne sa fatigue en passant par tous les états d’âme.
J’ai adoré mon immersion dans le Tokyo des années 1960. Ce roman n’a pas pris une ride. Ses thèmes sont intemporels: la charge mentale (déjà présente à l’époque, sans qu’on la nomme), le rôle des femmes dans la prise en charge des responsabilités familiales, le besoin d’émancipation, la démence sénile, le vieillissement et le rapport à la mort, le deuil. J’ai pris un immense plaisir à découvrir la culture nippone, mise en valeur tout au long du roman. Le rapport aux aînés, à la mort, la pression mise sur les enfants, les dynamiques familiales, les rites funéraires sont dépeints avec une extrême sensibilité. Rien pour bousculer ou dérouter dans la construction ni dans le style. Le tout n’en demeure pas moins d’une grande efficacité.
Dans ce roman exquis, habité par une humanité déroutante, la modernité jongle avec la tradition. Je me suis tantôt prise à sourire, tantôt à avoir la gorge nouée d’émotion. Le roman de Sawako Ariyoshi me hante. La lumière qu’il dégage a le don d’apaiser. Au final, j’ai trouvé ces pages amples et sereines. Surtout, à aucun moment, la question «tueuse d’ambiance» ne s’est pointée. Un miracle? J’en redemande!
Il a quatre-vingt-quatre ans, n’est-ce pas? Venez donc faire un tour dans les clubs, vous verrez qu’il y a des membres qui ont quatre-vingt-douze ans et toute leur tête. Le gâtisme, c’est d’abord un état d’esprit. Tout le monde est d’accord, au centre: si M. Tachibana est devenu sénile, c’est qu’il n’a pas fait travailler son corps ni son cerveau. Il devait être fainéant autrefois, voilà ce que l’on dit. Si on se maintient en forme, on peut faire reculer l’échéance mais, lui, il a dû faire travailler sa pauvre femme et se tourner les pouces pendant des années! On prétend souvent que les hommes perdent leurs moyens physiques et que les femmes partent du cerveau, mais ce n’est pas vrai. Eux, ils restent inactifs à la maison après la retraite mais, nous, nous continuons à faire la lessive et la couture. C’est pour cela que les femmes sont rarement gâteuses. Quoique avec les machines à laver automatiques, qui sont peut-être bien pratiques, je ne dis pas le contraire, les femmes dans le futur risquent fort de vieillir plus vite. Ma belle-fille pense que je dis ça exprès pour la tourmenter mais j’ai raison! Aussi longtemps que l’on fait travailler son corps et son esprit, on ne devient pas gâteux. Croyez-moi!
Le crépuscule de Shigezo, Sawako Ariyoshi, trad. Jean-Christian Bouvier, Folio, 2020, 367 p.
© unsplash | Zoltan Tasi
Et ben dis donc ! Je ne connais pas du tout cette auteure, et pourtant je lis de la littérature japonaise. Maintenant, j’ai évidemment envie de découvrir ce roman qui a l’air intemporel. Et du coup je viens de lire le billet de Mumu qui m’avait échappé…
Si, à la base, tu as une curiosité pour les thèmes explorés, fonce. C’est savoureux!
Bon, bon, je l’avais déjà vu passer sans vraiment m’y intéresser de près. Ton sublime billet me met l’eau à la bouche. J’ai déjà lu un ou deux auteurs japonais mais jamais une roman qui évoque la condition des femmes au Japon. Ma belle-sœur est japonaise et je peux te dire que cela n’a pas beaucoup évolué par là-bas… bref noté illico (en plus il est en poche)
Ce roman demeure d’une actualité impressionnante. Surtout que les thèmes qu’il présente sont universels. Bref, c’était une bien belle découverte, même si je ne partirai pas en peur sur littérature asiatique!
Comme Krol, je lis beaucoup de littérature japonaise et pourtant je ne connais pas l’auteur. Est-ce que je vais le lire ? je ne sais pas encore, je ne suis pas sûre que le thème me plaira…
Malgré ton affection pour la littérature japonaise, tu vois juste, je doute que ce thème te plaise.
J’adore la littérature japonaise mais j’en lis bien trop peu à mon goût, je retiens celui-ci que je ne connaissais pas.
Tu me l’apprends! Je ne vois jamais de littérature japonaise chez toi. Peut-être y en a-t-il et, devant mon désintérêt, je zappe?!
J’ai adoré la trilogie 1Q84 de Murakami mais lu avant la création de mon blog. Sinon j’ai dû chroniquer Suzuran de Aki Shimazaki ces derniers mois mais comme tu peux le constater j’en lis très peu alors que de grands auteurs m’attendent dans ma PAL (Ogawa, Ishiguro…). Il faut absolument que je prenne le temps de les sortir !
J’avais tenté le premier tome de 1Q84 et je me suis complètement perdue. Ce qui a sans doute contribué à mon non enthousiasme pour la littérature de ce coin du monde. Mes goûts sont en train de changer, là. Déjà, dans lire un est révélateur.
Je suis curieuse: tu peux me dire comment ça se fait que Ogawa et Ishiguro, par exemple, t’attendent dans ma PAL alors que tu lis peu de littérature japonaise. Autrement dit, comment ces livres se sont-ils retrouvés dans ta PAL?
Ce sont des auteurs que j’ai très envie de découvrir car j’en ai entendu beaucoup de bien et quand je les ai croisés en bouquineries je n’ai pas hésité. J’aime la littérature japonaise mais c’est comme les thrillers, je n’arrive pas à en lire autant que je voudrais par manque de temps.
Si on pouvait dédoubler le temps, non?!
Une première rencontre plus que réussie, quel enthousiasme !
Une excellente première rencontre, en effet. Et pourtant, l’envie d’explorer davantage de ce côté n’est pas plus présente. Il me faudrait d’autres billets tentateurs!
il me fait penser au roman japonais lu récemment de Yuko Tsushima, une auteure aussi célèbre que ton auteure et dont le roman se penche aussi sur les femmes dans la société japonais et son profond conservatisme. Je veux lire celui-ci (hop dans mon panier) car l’héroïne s’appelle Akiko et je pense à mon amie de fac au prénom éponyme qui ne voulait plus rentrer dans son pays car elle savait qu’elle devrait abandonner son métier et/ou études dès son mariage ..
La belle affaire! Je viens de retourner lire ton billet sur Yuko Tsushima et j’ai commandé le roman Territoire de la lumière. La couverture est mortellement ennuyante, mais je passe outre. Le contenu m’intéresse trop! Comme quoi, un livre ne nous tente pas, puis bing!, on finit par se dire qu’il nous le faut impérativement.
Mais oui, c’est exactement ce que j’allais écrire en découvrant le titre de ton billet = de la littérature japonaise ici ?! J’aime bien de temps en temps, mais je n’y connais vraiment pas grand-chose, car je lis souvent le même auteur (Haruki Murakami) ! Ceci dit, comme Miss Sunalee, je ne suis pas certaine d’être intéressée par le thème.
Comme quoi, je ne dois jamais dire « jamais ». Il suffit souvent de peu pour être agréablement surprise. C’est là que je vois l’influence des blogueuses avec lesquelles j’ai de grandes affinités littéraires!
Jusqu’à maintenant, la moyenne est bonne, non?! Tu n’as donc aucunement raison de retenir ton souffle. D’ailleurs, je m’en viens bientôt avec un autre titre repéré parout, mais dont ton billet m’a poussé à craquer!
Je pense, comme toi, que le sort de la femme japonaise est peu enviable. La liste des pays où le sort des femmes est à plaindre serait bien longue. On se plaint souvent la bouche pleine…
Je lis vraiment très peu de littérature asiatique : ma dernière en date fut japonaise, le roman Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa et je viens de regarder, c’était en 2016 ! Ton billet enthousiaste (et celui de Mumu !) me laisse penser que ce roman-ci me plairait, je le note, merci !
A défaut de lire japonais, je suis depuis plusieurs années un blog très sympa dédié à la littérature japonaise : Comaujapon ( https://comaujapon.wordpress.com/ ). Tu pourrais peut-être y découvrir de nouvelles raisons de donner des coups de râteau dans ta ligne éditoriale de blog, héhé
Et maintenant, c’est moi qui te remercie! Ton billet sur Durian Sukegawa est à la fois tentateur et épouvantable. La lèpre, encore hier…
Je vais m’empresser d’aller faire un tour chez Comaujapon. Merci du filon. Quant au «coups de râteau» (je te pique l’expression trop fleurie) dans ma ligne éditoriale, je n’irai pas si loin, quoiqu’un saut au Japon, une fois de temps en temps, ne sera pas de refus.