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Le repaire des solitudes · Danny Émond

Exaspérée, j’ai mis de côté la lecture de Price de Steve Tesich. Sans attentes et sans grande curiosité (moi et les recueil de nouvelles…), j’ai ouvert Le repaire des solitudes de Danny Émond, arrivé glacé dans ma boîte aux lettres. Happée. J’ai tourné les pages, envoûtée par l’atmosphère qui en émanait. J’ai tout lu d’une traite, puis relu ensuite plus lentement.

Des nouvelles fortes, qui marquent: La fille qui mangeait des cailloux, Miss Balcon, Faire pousser des fleurs dans la merde, Mal aux os. Et suivre la vie de Maurice, héros récurrent de quelques nouvelles. L’univers de Danny Émond est désenchanté. Il l’est parce que la vie – dans ces parages – l’est. Danny Émond ne triche pas, n’invente pas, ne fabrique rien, sinon une façon singulière de raconter la solitude et l’incommunicabilité entre les êtres. Si les âmes cherchent parfois à se réchauffer entre elles, elles sont le plus souvent obligées de reconnaître leur irrémédiable solitude.

L’amour est triste, dépourvu d’illusions, le sexe aussi. Les rencontres n’ouvrent sur rien. Un malaise, un vertige, une grâce – parfois – que les personnages ne semblent saisir que d’une façon détournée. Ici, on ne lutte pas pour accéder à quelque chose de plus, mais pour se maintenir au mieux dans l’horizontalité la moins désastreuse. Le ton est au désabusement. Les coups d’éclat sont absents. Au mieux, on se demande comment on en est arrivé là. L’état des lieux est sans appel. Émond prend ses héros pour ce qu’ils sont – des braves gens pour la plupart – sans les caricaturer, sans les accabler ni chercher à les défendre. Une écriture maîtrisée, froide, directe. Des phrases chargées en émotions qui transpercent à vif. Des nouvelles à fleur de peau. Où l’on se projette. Où l’on s’interroge sur le sens de la vie, sur le bonheur. Des histoires comme autant d’éclats de verre aux bords acérés. Un recueil grave, qui fait mal et laisse sans voix.

Très tôt, j’ai surpris le réel en flagrant délit d’insignifiance. De ce constat, on ne se remet pas du jour au lendemain. […] Je me considère, somme toute, comme un homme relativement normal, équilibré dans ses dérèglements. Un paquet de viande et d’os autour d’un nombril, avec tous les membres à la bonne place. J’ai des diplômes dont vous vous foutez. Un boulot qui me permet de vendre mon temps. Une blonde qui a des beaux yeux et des rages de sucre. Je caresse deux ou trois illusions. Je n’ai pas encore renoncé à la poursuite du bonheur.

Je regardais dans l’écran le ballet brutal des personnages de dessins animés qui se cassaient joyeusement la gueule dans une explosion de couleurs. Et je me suis surpris à envier leur destin en deux dimensions, cette capacité qu’ils ont de se jeter dans le vide sans hésitation, sans craindre de s’écraser au sol dans un fracas d’os de plus en plus difficile à ressouder. J’aurais aimé être libéré de cette peur de tomber en bas de moi-même qui m’empêche de sauter à pieds joints dans la vie. Je suis parti, prétextant n’importe quoi. Tu ne m’as pas retenu. La vie n’est qu’une série de départs, n’est-ce pas? 

Le repaire des solitudes, Danny Émond, Boréal, 2015, 160 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Arzu Cengiz

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