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Les demi-civilisés et La chair décevante

Les demi-civilisés et La chair décevante n’appartiennent à aucune catégorie. Chacun a fait grand bruit lors de sa parution. Ces deux romans ont picossé la censure et été mis à l’index. C’est clair, leur auteur avait l’intention de brasser la cage aux idées reçues et de se débarrasser du corset de la bien-pensance de l’époque. Il s’agissait là de romans audacieux, en rupture de ban avec tout ce qui s’était publié jusqu’alors. Chacun faisait aussi preuve d’audace au niveau de sa forme et de son style. Déjà, l’apparition du « je » était un événement en lui-même. Malgré tout, je les aurais abandonnés si leur intérêt social et historique ne m’avait retenue. Sans compter le fait qu’on y parle trop bien et trop proprement à mon goût.

Les demi-civilisés · Jean-Charles Harvey · 1934

Max Hubert vit dans la haute-ville de Québec, là où la belle bourgeoisie paonne. Dorothée Meunier, une amie, l’encourage à devenir journaliste. Mieux encore, elle lui met dans la tête de créer une revue, revue que le père de la jeune fille est prêt à financer. Ni une ni deux, le «Vingtième siècle» est né. La revue et les idées progressistes qu’elle brasse trouve ses lecteurs. L’amitié entre Max et Dorothée se transforme vite en amour. Mais pas question de mariage. Ils veulent s’aimer sans se passer la corde au cou. La vie est bonne pour Max et ses collaborateurs, jusqu’au jour où un article trop virulent met le feu aux poudres. L’avenir de la revue est chambranlant. Et v’la Dorothée qui quitte Max, sans raison apparente. Découragé, le jeune homme multiplie les aventures d’un soir, va dans des soirées où boisson et drogue circulent. Dorothée rentre chez les sœurs. Le pot aux roses se découvre dans les derniers chapitres. Le passé du père de Dorothée le rattrape: il a tué, il y a longtemps, l’amant de sa femme, et ce, sans jamais se faire prendre. Comme tout finit par se savoir… Cet amant serait, en fin de compte, le vrai père de Dorothée, d’où l’envie de la jeune fille de se faire religieuse. Après une ultime épreuve, Max et Dorothée finissent par se retrouver.

Max est un rebelle, et c’est lui qui le dit. Il méprise la société sclérosée, engluée dans un conformisme étouffant. Il fait le procès du « troupeau domestiqué ». Ce qui est avant tout prôné, c’est la liberté: celle de penser et d’agir. Jean-Charles Harvey est le premier à s’être attaqué à un problème absent jusqu’ici dans l’univers du roman: le problème de l’homme qui veut exprimer sa liberté sans passer pour un original ou un rebelle.

Après leur vingtième année, ils n’apprennent plus rien que la routine de l’expérience et ils ne pensent plus à rien qu’à ce qu’on leur a dit de penser. Ils s’atrophient. Vois-tu la gravité d’une telle situation? Notre élite, ce qu’on appelle sans ironie notre élite, porte fièrement sa petite provision de connaissances sur l’histoire, les mœurs, la philosophie et les arts du monde. On dirait un éléphant attelé à une brouette d’enfant. […] Je leur préfère de beaucoup les paysans de vieille souche, qui ont gardé la mesure, le bon sens, l’équilibre.

Ce n’est pas un bon roman a proprement dit. Les dialogues sont plaqués, figés; l’intrigue manque souvent de cohésion. C’est un roman virulent, plein de fiel, dans lequel Harvey passe le plus clair de son temps à lancer des flèches. Sur les bourgeois, les politiciens, le clergé, les femmes. Sur l’hypocrisie, l’ambition, la mesquinerie. Au final, l’excès de hargne noie la fluidité du propos.

Fait amusant: je pense avoir trouvé, ici, la première occurrence littéraire, en sol canadien-français, du fameux « maudit Françâ »!

Rating: 2 out of 5.

La chair décevante · Jovette Bernier · 1931

En 1931, l’éditeur Albert Lévesque inaugure une nouvelle collection: « Les romans de la jeune génération ». Quatre titres audacieux paraissent, et ce sera tout. La chair décevante en fait partie.

Didi Lantagne a eu une aventure avec l’ambitieux Jules Normand. À seize ans, elle s’est retrouvée enceinte et… seule. Elle a décidé de garder l’enfant, malgré le déshonneur qui ne manquerait pas de lui tomber dessus. Heureusement pour elle, née dans une bonne famille, l’argent n’a jamais été un problème. Pierre est né. Être mère n’a jamais empêché Didi de sortir et de bien s’amuser. Didi a trouvé un homme – elle n’a jamais eu de misère pour en trouver –, prêt à partager sa vie et à jouer les pères de substitution. Didi et Lucien D’Auteuil vivent une quinzaine d’années ensemble. Lucien finit par mourir. Pierre grandit et étudie pour devenir avocat. Pour apaiser sa peine et faire son deuil, Didi part six mois en Europe. Sur le paquebot, elle se laisse courtiser par un Hongrois. Ce qu’elle ignore, c’est que pendant ce temps-là, son fils s’est mis à fréquenter un célèbre magistrat, Jules Normand, et qu’il est en train de tomber en amour avec sa fille Charlotte. De retour au pays, Didi réalise que son fils adoré est amoureux de sa demi-sœur. Car le pot aux roses, ici, c’est que Jules Normand n’est autre que le vrai père de Pierre. Didi va vite confronter l’homme qui l’a abandonnée et déshonorée. Le pauvre, il fait une crise cardiaque le soir même. Didi est tenue responsable de sa mort. Soupçonnée de meurtre, on lui fait un procès. Didi est finalement innocentée et retrouve un ancien amant, alors que Pierre laisse Charlotte. Ce qui n’empêche pas Didi de devenir folle et d’être internée dans un asile.

Le roman de Jovette Bernier a choqué: la vie de cette fille-mère sensuelle et passionnée avait tout pour faire scandale. Ce que Jovette Bernier dénonce avant tout, c’est le sort réservé aux femmes. Si les hommes courent la galipote et sèment à tout vent sans jamais en payer le prix, il n’en est pas de même pour les femmes. Le propos et le message sous-jacent étaient fort audacieux pour l’époque. Ce roman a dû en déculpabiliser plus d’une. Mais à part ça? Impossible de m’attacher aux personnages ni de développer une quelconque curiosité à leur égard. La Didi, là, elle m’a tapé sur les nerfs tout du long. J’ai eu l’impression qu’elle passait son temps à lyrer et à pétrir sa vengeance. J’ai trouvé difficile de suivre l’intrigue avec ses ellipses longues comme le bras. Les personnages masculins, réduits au rôle de marionnette – le fils illégitime inclus –, manquent de chair. Le style, trop poétique à mon goût, m’a achevée. Seules quelques images fortes m’ont retenue.

Ce tas d’humanité qui te frôle, tu le partages en deux: pour toi, il y a les bonnes gens et les gens méprisables. Et pour être de ces bonnes gens, il ne faut pas que la vie nous ait balafrés. Jean, la vie m’a balafrée; la vie m’a cassé le rire sur les dents!

Rating: 2 out of 5.

13 comments

    1. Côté lectures, ça s’arrange! Mais, par contre, côté blogue, je rage intensément! Quand plusieurs heures de travail sont englouties parce que j’ai retrogradé de plan WordPress… Je suis prise avec une template qui me plaît beaucoup moins et qui est très très limitée. Grrrrr

  1. Tes deux ressentis n’avaient pas besoin de conclusion car tu n’as tellement pas aimé que tu spolies toute l’histoire…. Mais c’est pas grave vu ce que tu en penses…… Ils n’entreront pas dans ma liste d’envies 🙂

    1. Je spolie à outrance, c’est bien vrai. Ce n’est pas dans mes habitudes. Ainsi, comme j’ai déjà presque tout oublié de ces deux romans, ce sera plus facile d’y revenir si jamais l’envie me venait de savoir ce dont il s’agissait!

  2. Je ne suis pas certaine de lire les titres que tu présentes en cette incursion en littérature québécoise, mais en tout cas je suis avec beaucoup d’intérêt le feuilleton … Merci à toi de tes analyses qui, au delà de la littérature me font découvrir l’histoire d’une région que je ne cannais pas du tout.

    1. Le but de ces billets n’est pas de donner envie de lire les romans dont il est question. Juste qu’on lise le « feuilleton » me flatte.
      Et, autant pour vous que pour moi, de constater la jeunesse de notre littérature et son évolution suffit en soi.

  3. je me suis dit, elle raconte toute l’histoire m’enfin ! mais bon, vu que tu n’as pas aimé et je me demande même comment on pourrait mettre la main dessus, tu as du passer quelques heures en librairie 🙂 ah oui, ces maudit Françâ !

    1. Ma chasse au trésor de vieux livres est terminée. J’ai eu un grand plaisir à chercher ces livres. Il m’en manque encore 2-3. L’endroit le plus extraordinaire, et de loin, pour trouver ces perles (et ces déceptions) reste la petite librairie à Limoilou.

      Sinon, nous avons des problèmes de templates?! On en parlera ce week-end! En espérant que tu éclaireras à nouveau ma lanterne!

  4. A te lire je découvre des expressions québécoises comme lyrer ou picosser… et je m’amuse toujours à te lire lorsque tu n’aimes pas…

  5. je viens de voir ton blog et j’ai pas compris aussi, je me suis dit qu’a-t-elle fait ? pour ma part, j’ai changé le design et ouf ça a marché (oui ce n’est pas un souci chez moi c’est un CHOIX LOL ..) on se contacte très vite ! et on souffle !

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