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Les enfants de chienne · Nicolas Delisle-L’Heureux

J’te ferai pas de cachotteries. Mon dernier coup de coeur en littérature québécoise remonte à 2018, avec Chercher Sam de Sophie Bienvenu. Aussi bien le dire: ça fait un bail! J’ai passé un week-end collée-serrée contre le roman de Nicolas Delisle-L’Heureux. Les enfants de chienne ne plaira pas à tout le monde et sera loin d’intéresser la majorité. Il n’a pas plu aux critiques littéraires du Devoir et de La Presse. C’est à se demander si ces deux-là n’ont pas écrit leur billet côte à côte tellement leurs reproches sont les mêmes. En gros: abus d’adverbes et complaisance dans le misérabilisme. À lire ces deux critiques, le roman est bon pour le pilonnage. J’ai lu leur billet après ma lecture du roman. Une chance! La couverture a d’abord attiré mon oeil. J’ai ensuite lu un extrait et j’ai vite senti qu’il y avait là une façon unique de raconter.

Je n’ai rien de mal à dire sur ce roman, aucune écharde, aucun bémol, aucun reproche. Déjà, il a une rare qualité à mes yeux: il raconte une histoire bien ficelée, non linéaire, dans un style unique et personnel, dans laquelle l’avalanche de malheurs est allégée par un ton qui fait rire jaune.

Y m’semble que ces derniers temps, dans le milieu littéraire québécois, une histoire n’arrive à prendre forme qu’à partir d’un fil tiré de soi. Juste depuis janvier, il y a la remise en question d’une femme (Au pays du désespoir tranquille de Marie-Pierre Duval); un père mort vu par les yeux de sa fille (Un été au parc Belmont de Thara Charland); une mère morte vue par les yeux de son fils (Boire la mer les yeux ouverts de Jean-Benoit Cloutier-Boucher). Il y a eu récemment le suicide de l’amoureux, le désordre amoureux, la recherche d’un amoureux, l’insémination, l’adoption, la maternité, le refus de la maternité, l’enfance brisée. Les romans québécois racontant une histoire sans lien direct ou ténu avec l’auteur(e) ne sont pas légion dans le paysage québécois.

J’en viens aux Enfants de chienne.   

Val Grégoire est un rond-point d’environ cinq kilomètres. La rue Principale a la forme d’un lasso, ou d’une corde pour se pendre, ce qui influence le moral général. La ville est sise dans une vallée touffue de la Betsiamites, en Haute-Côte-Nord, à une centaine de kilomètres au nord de Forestville, entre le Saguenay–Lac-Saint-Jean et le réservoir Manicouagan, pas si loin non plus, à vol d’oiseau, du Labrador. On s’enfonce, littéralement, sur la 385, la seule route qui rattache Val Grégoire au monde, un long tunnel d’épinettes noires qui s’élèvent en monceaux et s’enlacent en une courtepointe tricotée serrée au-dessus des têtes, jusqu’à bloquer le ciel – le ciel auquel nous, Valgrégois, ne pourrons jamais que rêver.

Quand elle débarque à Val Grégoire avec sa famille hyper croyante, aveuglée par la religion, la jeune Louise Fowley réalise qu’elle devra faire preuve de beaucoup d’imagination pour se tricoter une vie palpitante. Elle s’accroche à Marco et Laurence. Le trio se soude, la vie commence à avoir du goût. L’idée grandit de prendre leurs jambes à leur cou et de partir loin.

Nous avons meublé nos jeunesses à répéter sans nous lasser des tonnes d’histoires de voyages improbables. Ça faisait tout drôle dans nos bouches d’évoquer l’idée d’aller ailleurs, comme si quelque chose sous notre peau ou dans le fin fond de nos tête de linotte renonçait déjà à la liberté.

Jusqu’à ce qu’un événement fasse éclater leur bulle. En parallèle, la Louise adulte revient à Val Grégoire pour régler quelques comptes. Le Marco adulte, lui, fait sa vie au Labrador. Quant à Laurence…

La vie, présente et passée, se déplie par les voix de Louise et de Marco, mais aussi par la voix unique des habitants du village. Par cette voix, c’est l’histoire – autrefois prospère, aujourd’hui éteinte –, de ce village qui est racontée. Le texte serpente, s’élance avec ses phrases colorées, ondoyantes. Les personnages sont tout croches, fonceurs et désœuvrés, pleins d’espoir et résignés. Wendy, Willy, Mercedes: des personnages secondaires aussi bien charpentés que les autres.

Un roman qui gratte dans les traumatismes, les blessures. Un roman sur l’amitié et la quête de liberté, magnifiquement bien ficelé, qui contient tout ce que la vie a d’épouvantable et de lumineux.

Les enfants de chienne, Nicolas Delisle-L’Heureux, Boréal, 2022, 320 p.

Rating: 5 out of 5.

© unsplash | Sean Stratton

12 comments

  1. Comme quoi il est bon de prendre de la distance par rapport aux critiques car la lecture est une affaire personnelle qui séduit par rapprochement avec une sensibilité, un vécu et des affinités. Apparemment tu as fait une jolie rencontre, que dis-je une histoire forte avec ce roman et c’est le principal. Petite info … Toujours pas avertie de la publication de tes chroniques… Parfois elles apparaissent sur mon fil d’abonnés WP ou pas (comme cette fois-ci)… J’ai fait une recherche sur ce nouveau nom de blog sur WP et me suis abonnée aux deux (l’ancien et le nouveau) et apparemment sur le nouveau il m’a été répondu que je ne pouvais pas m’abonner même si cela apparaît comme validé ????? Heureusement que je passe de temps en temps pour mon raccourci

    1. Une merveilleuse rencontre, en effet. Une voix forte et solide comme j’aime.

      Je vais bientôt supprimer l’ancien blogue WP. Peut-être que ça aidera? Certains méandres demeurent mystérieux et résistent à ma compréhension

      1. A priori non, puisqu’il me semble que 2021 était la dernière édition (qui n’aurait d’ailleurs pas dû avoir lieu) .. mais peu importe, on peut lire québécois toute l’année, une fois passés les mois latinos, de l’est, belge, japonais, anglais, africain… 🙂

    1. Emballement est un faible mot. Ça faisait vraiment longtemps qu’un roman québécois ne m’avait à ce point empoignée.

  2. Magnifique cette rencontre ! Et surtout une telle rencontre est personnelle, ce qui touche quelqu’un peut ne pas ébranler un autre et vice-versa. Ta manière d’en parler nous donne envie d’aller sur ce chemin, pour tenter de faire de cette lecture un moment unique…

    1. Une magnifique rencontre, tu as raison. J’en vis souvent d’agréables, mais d’une telle force, c’est plutôt rare. Et tu as doublement raison en disant qu’une rencontre est personnelle.

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