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Les grandes espérances · Charles Dickens

Alors, quel est ce fameux classique américain que je lis depuis plus de trois semaines? Nul autre que Charles Dickens et ses Grandes espérances. Quel abominable lapsus! Et dire que, la tête vidée, j’ai pensé que Dickens était Américain! Il va sans dire que j’ai vite remis ma pendule à l’heure. L’idée de lire Dickens est venue d’un échange autour du feu entre Maud et moi. L’envie étant de lire un classique que ni elle ni moi n’avions lu. Il a fallu chercher loin! Notre besace de classiques anglais étant plutôt vide, nous voulions commencer à la remplir. Puis, j’ai posé un semblant de condition: il me fallait un orphelin! Ç’aurait pu être Oliver Twist ou David Copperfield. Ça été Les grandes espérances.

Je ne saurais te dire à quel point j’ai été séduite et envoûtée par ce roman. Je ne dis rien de l’intrigue ni des personnages. En revanche, je vais te dire pourquoi, à chaque fois que j’avais un moment pour m’y replonger, je sautillais d’impatience.

Ce roman m’a révélé un nouvel aspect de mon profil de lectrice: je me suis découverte en lectrice naïve, prête à tout gober, emportée par les mots et les images, accueillant avec la même ouverture les caprices du destin, les péripéties, les improbables coups de théâtre. J’y suis allée d’étonnement en pincements au coeur. Qu’un roman arrive à me dérider à ce point est en soit un exploit.

Il m’aurait été impossible, aujourd’hui, d’apprécier un roman aussi moralisateur. Mon adhésion aveugle, mon emballement immodéré, s’expliquent sans doute par un retour dans un passé poussiéreux, révolu. Mon enthousiasme m’étonne encore moi-même. Pas question que je boude mon plaisir. Pas question de décortiquer mon émotion. J’ai été piqué au vif. Je suis enivrée.

Tiens, un p’tit bout succulent!

Nous appliquâmes donc tous nos mouchoirs sur nos visages, comme si nous avions un saignement de nez, puis nous sortîmes en colonne par deux: Joe et moi; Biddy et Pumblechook; M. et Mme Hubble. La dépouille de ma pauvre sœur avait été amenée devant la maison par la porte de la cuisine et, comme le cérémonial des pompes funèbres exigeait formellement que les six porteurs fussent étouffés et aveuglés sous une horrible housse de velours noir à bordure blanche, l’ensemble avait l’air d’un monstre aveugle monté sur douze jambes humaines et qui avançait d’un pas traînant et hésitant, sous la conduite de ses deux gardiens.  

Dickens a écrit Les grandes espérances à 48 ans. Je lis son roman à 48 ans. N’est-ce pas un signe?!

Je n’en ai pas fini avec Dickens. Surtout lorsqu’il est traduit par Sylvère Monod.

Maud a dix-sept ans de moins que moi. Qu’est-ce qu’elle en a pensé, elle?

Les romans de Charles Dickens étaient absents de ma longue et grande liste des classiques à lire. Je n’en pensais pas mal ni bien, j’en pensais simplement rien. J’avais, comme plusieurs, l’idée et le souvenir du personnage de M. Scrooge et des fantômes du passé, du présent et du futur des contes de Noël, et j’avais l’impression que cela faisait le tour.

Je n’avais pas de doute que De grandes espérances plairait à Marie, rien n’était moins sûr dans mon cas. Ça m’a pris un bon deux cent pages pour dire que j’étais accrochée à l’histoire et aux personnages, quelque chose dans le style me rendait au départ incertaine ou inconfortable.

Je ne peux donc pas dire que mes attentes ont été déçues, bien au contraire. J’ai adoré suivre Pip dans sa découverte de la vie adulte, dans ses déconfitures et ses espoirs sans cesse renouvelés et déçus. La panoplie de personnages qui croisent son chemin y sont tous pour une raison, et il fut difficile de ne pas verser une larme lorsque Pip laisse le bon et vaillant Joe pour vivre sa vie de gentleman.

Il y a bien sûr un petit quelque chose de la fable, de la morale que l’on met en place et sur laquelle on appuie à grands coups d’exemples et de traits de caractère exacerbés. Les personnages n’en sont pas pour autant typés ou prévisibles, du moins, pas dans les yeux de Pip. Le roman de Dickens n’a pas du tout vieilli et bien que j’aurais eu tendance à le lire en anglais, la traduction chez Folio rend un style vif et profond, avec certaines subtilités et tournures de phrases qui m’ont surprise, à mon plus grand plaisir. C’est un récit franchement bien maîtrisé, habile et je n’ai pas pu m’empêcher de tomber dans le jeu de Dickens. À quand le prochain, Marie?

Les grandes espérances, Charles Dickens, trad. Sylvère Monod, Folio, 1999, 752 p.

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