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Les lionnes · Lucy Ellmann

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Les lionnes, donc… Il m’a fallu plus d’un mois pour passer au travers. Les lionnes, c’est 1108 pages, sans parler du glossaire et de l’appendice. Le fait que je ne m’attendais pas à me noyer dans ces pages lorsque j’ai ouvert la porte du frigo jaune. Le fait qu’il faut se lever de bonne heure pour faire passer le morceau, le fait que c’est monumental, le fait qu’il y a beaucoup trop de boursouflures. Le fait que, le fait que, le fait que… C’était trop tentant de reprendre à mon compte la formule utilisée du début à la fin par Lucy Ellmann. Les lionnes, c’est une seule et unique phrase, rythmée par des virgules et par ce fameux «le fait que». C’est aussi une histoire parallèle remplie de tension, qui met en scène une cougar et ses petits. Leurs mésaventures m’ont tenu en haleine et ont été jusqu’à m’arracher une larme.

le fait que je viens juste de comprendre que quand ce monologue dans ma tête s’arrêtera enfin je serai morte, ou du moins complètement inconsciente, un légume, le fait qu’il y a sept milliards et demi de personnes sur terre, donc il doit y avoir sept milliards et demi de monologues intérieurs de ce genre, hormis pour les gens dans le coma, le fait que ça fait sept milliards et demi de gens qui s’inquiètent pour leurs enfants, ou leur mère, ou les deux, mais aussi pour les impôts et les rebords de fenêtres et les factures médicales…

le fait qu’on dirait que les femmes doivent passer leur temps à s’inquiéter pour quelque chose, soit dans le passé soit dans le présent, ou l’avenir, le fait que je trouve l’avenir absolument terrifiant, parce qu’on ne sait pas ce qui va arriver, même dans les dix prochaines minutes, Je ne sais pas mais eux si, le fait qu’on fait comme si tout allait bien se passer, mais on n’en sait rien, le fait qu’on avance à tâtons et qu’à tout moment on peut se prendre un pot de fleurs sur la tête et se retrouver en fauteur roulant…

Le soliloque de cette Américaine ordinaire de l’Ohio, épouse et mère de quatre enfants, ensorcèle ou décourage. Ses pensées virevoltent, sautent du coq à l’âne, digressent. Il faut s’atteler solidement pour ne pas décrocher.

Les Lionnes raconte peu de choses, au final: une panne de voiture, une inondation, la fugue d’une ado, la menace d’un homme. Le roman étale une conscience qui se dévoile. Cette femme ressasse, mais surtout, elle s’inquiète. Entre la confection de tartes et de roulés à la cannelle vendus dans quelques diners du coin pour arrondir les fins de mois, elle s’inquiète. Des fusillades dans les écoles, de la violence policière, de la pollution, des niaiseries de Trump, des survivalistes, de #MeToo. Elle s’inquiète de son ado distante, de l’un de ses fils accro au SpaghettiOs, des absences de son mari adoré, de ses poules, chats, chien.

Impossible de ne pas être béate d’admiration devant l’exploit d’écriture (sept ans à l’écrire, ce foutu bouquin!) et l’exploit de traduction. L’exercice de style est impressionnant. Le travail de recherche aussi. J’ai entre autres appris qui est l’inventeur des Life Savers, j’ai découvert l’artiste Matthias Buchinger (va faire un petit tour sur Google; son histoire va t’impressionner!). Les références littéraires et cinématographiques pleuvent: La petite maison dans la prairieAnne et la Maison aux pignons vertsJane Eyre, Anne Tyler, Jane Austen, Joyce Carol Oates, La garçonnière, La mélodie du bonheur, Air Force One, j’en passe et j’en passe. Au final, lire ce roman du début à la fin constitue aussi un exploit! Je ne te compterai pas de menteries: c’était beaucoup trop long. Le pire, c’est que je serais partante pour le relire, mais en m’y prenant autrement. Je m’arrangerais pour trouver d’autres lecteurs prêts à s’embarquer dans l’aventure. On se partagerait 300 pages chacun et on se ferait un bilan complet. Me semble que ça aiderait à faire passer le morceau! Un mot pour résumer ces 1100 pages? Inquiétude. Alors, qu’est-ce que t’en penses? Ces Lionnes, elles te tentent?

Les lionnes, Lucy Ellmann, trad. Claro, Seuil, 2020, 1152 p.

Rating: 3 out of 5.

4 comments

  1. Tes extraits sont frappants! Ce roman semble si dense et intéressant à ce que tu en dis. Mais je t’avoue que 1100 pages… Par contre j’aime bien ton concept final 😉

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