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Les maraudeurs · Tom Cooper

Il y a de ces endroits sur lesquels le sort s’acharne. La Louisiane fait partie du lot. Déjà que la ville a de la misère à se remettre des ravages causés par Katrina, une marée noire rajoute une couche de malheur, détruisant l’écosystème et mettant l’économie locale K. O. Pour les habitants de Jeanette, qui vivent principalement de la pêche, c’est un temps de vache maigre.
 

Au cœur de cette Louisiane d’eau contaminée, de crevettes à la falle basse, de bars minables et de prêteurs sur gages, une dizaine d’habitants tirent le diable par la queue et tentent de garder la tête hors de l’eau.

D’une année à l’autre, ils s’échinaient à survivre dans la bayou – s’entêtant obstinément à refuser de voir la réalité en face , et chaque année était pire que la précédente, comme s’ils essayaient de presser des cailloux pour en faire jaillir du sang.

La vie a déjà eu meilleur goût pour Gus Lindquist. Ce crevettier manchot se retrouve seul depuis que sa femme l’a quitté et que sa fille l’ignore. Quand je disais que le destin s’acharne… Il s’est fait voler sa prothèse (trente mille piastres envolées). Parce que la vie de pêcheur, ça use son homme, il s’enfile les analgésiques crachés par son distributeur de bonbons Pez. Sa seule source de plaisir? Arpenter le bayou avec son détecteur de métaux, à la recherche du trésor caché du pirate Jean Lafitte. Ça fait trente ans que Gus ratisse chaque îlot du coin. Ce trésor, il est bien déterminé à le trouver.

Tout le monde, d’une manière ou d’une autre, cherchait un trésor. Un ticket de loterie, une carte de joueur de base-ball, la photo égarée d’un amour de jeunesse.

Un trésor, les frères Reginald et Victor Toup s’en sont fabriqué un de toutes pièces: d’impressionnantes plantations de marijuana en plein cœur du bayou. Pas étonnant que ces dealers psychopathes et paranos voient d’un très mauvais œil que Gus se balade près de leurs plantations.

Du côté des mauvais garçons, il faut ajouter Cosgrove et Hanson. Le premier a fait un petit braquage qui a mal tourné, alors que le second a vendu des photos de célébrités signées de fausses autographes. Ils sont condamnés à faire du travail communautaire dans la maison d’une vieille dame – qui serait peut-être une descendante de Jean Laffite. À l’affût d’un mauvais coup qui pourrait leur remplir les poches, le duo tentera de voler la vieille acariâtre et de mettre la main sur les plantations des frères Toup. Ils s’apprêtent à jouer à un jeu extrêmement dangereux.

En comparaison de ces mauvais garçons, Wes Trench fait figure d’ange. L’adolescent pêche avec son père désabusé. Si la relation père-fils bas de l’aile, c’est que Wes tient son père responsable de la mort de sa mère lors du passage de Katrina. Ce bon garçon, il ira travailler pour Gus afin de gagner assez d’argent pour construire son propre bateau de pêche.

À ces habitants s’ajoute un intrus: Brady Grimes. Cet ancien du coin s’est fait la malle aussitôt qu’il a été en âge de le faire. Maintenant employé de la compagnie pétrolière BP, il a la tâche ingrate d’acheter les habitants de Jeannette, dont sa propre mère. En échange de quelques poignées de dollars, il doit les convaincre de signer des décharges les engageant à ne pas poursuivre la compagnie.

Cette galerie de personnages se frôle, de près ou de loin, pour finir par entrer en collision. Et les questions fusent: Cosgrove et Hanson mettront-ils la main sur les plantations des frères Toup? Quelle vie attend Wes? Fera-t-il la paix avec son père? Brady Grimes obtiendra-t-il toutes les signatures qu’il lui faut? Et Gus, ce cher Gus… Viendra-t-il à bout du crocodile de deux mètres qui s’est retrouvé dans sa chambre? Et surtout, retrouvera-t-il sa prothèse?

Avec ses 400 pages bien serrées, Les maraudeurs est le roman le plus jouissif que j’ai lu cette année. Quand le tragique de l’existence se marie aussi bien à l’humour ravageur, ça donne un petit chef d’œuvre de la trempe de ce premier roman. La plume bien aiguisée de Tom Cooper tourbillonne au quart de tour. Les dialogues fusent. Une situation rocambolesque n’attend pas l’autre. Et puis, impossible de résister à cette galerie de poqués. Même si la malchance les poursuit sans relâche, ils ne courbent jamais l’échine.

La construction du roman contribue en grande partie à son attrait. Comme chaque chapitre est consacré à un personnage, l’intrigue progresse à vitesse grand V, alors que le point de vue change. Les cent premières pages englouties, on n’a plus aucune difficulté à s’y retrouver. Chaque personnage devient familier.

Sous la plume de Tom Cooper, le bayou se révèle un personnage à part entière. J’ai rarement eu autant l’impression d’y être: le soleil de plomb, les marais labyrinthiques, la végétation étouffante… Sans parler des alligators aux dents bien aiguisées, des serpents venimeux et des araignées géantes! Si certains romans se lisent avec une boîte de mouchoirs pas loin, celui-ci est à lire avec un déodorant à la main!

Difficile de mettre un chapeau à ce bouquin. Roman social? Roman noir? Roman d’aventures? Les trois à la fois. Il ne fait aucun doute que Les maraudeurs marque l’entrée en scène d’un grand auteur. Un de ceux à suivre sur les talons. Un roman musclé, fougueux, décoiffant, infiniment réjouissant. Une pépite, vous dis-je. Prenez vos jambes à votre cou et courrez chez votre libraire!

Les maraudeurs, Tom Cooper, trad. Pierre Demarty, Albin Michel, 2016, 400 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash / Kyle Glenn

19 comments

  1. Hé oui. Et je crois savoir que l'auteur sera au festival America (avec d'autres tout aussi valables!)

  2. Hou là là, 5 étoiles! Je vais encore me laisser tenter!!! Ma liste ne cesse de s'allonger au moment où je n'arrive plus à lire à cause des commandes des éditeurs qui s'enchaînent!!!

  3. Il faut que je termine les deux romans qu'il me reste pour le prix du Meilleur Roman Points, et quelques livres pour le Mois Anglais, et hop je m'attelle à celui-ci 🙂

  4. Oh ravie de voir que tu as pris autant de plaisir que moi à le lire ! Un roman jouissif et le plus fort : un premier roman aussi bien maîtrisé, ça fait rêver ! Et la Louisiane, on y est ! Moi qui suis allée 3 fois dans le bayou, j'y étais de nouveau et puis la galerie de personnages, ce cher Gus -on l'aime tellement lui qui court après des chimères ! J'ai adoré lire ton billet qui m'a rappelé tout le plaisir que j'ai eu à le lire !

  5. C'est un plaisir partagé, gentille dame! Je ne manque aucun de tes nouveaux billets. Ce roman devrait beaucoup te plaire…

  6. Non mais, quel roman! Je ne suis pas prête d'oublier Gus et Wes de sitôt. J'ai très hâte de t'entendre me parler de tes visites dans le bayou, sur les routes du Québec!

  7. 5 étoiles bien méritées. Celui-ci, réserve-le pour les vacances (j'espère que vacances il y a!). Prends une pause de commandes, ma chère. À ce rythme, tu seras ensevelies sous peu! Et avec les billets qui s'en viennent, ça ne risque pas de s'arranger. Mais celui-ci, note-le bien!

  8. Comme si tu avais besoin d'allonger ta liste, toi qui est plus que submergée!Ce roman risque de beaucoup te plaire et de t'emmener en terrain moins connu. Un beau voyage!Ravie de te lire ici, ma chère!

  9. Tout à fait! Ce roman, je ne suis pas prête de l'oublier de sitôt. J'ai même rêvé à une prothèse volante l'autre nuit. Ça se soigne?!

  10. Je n'avais pas du tout entendu parlé de ce roman mais je le rajoute tout de suite à ma liste des livres qu'il faut absolument que je lise !

  11. Sacrée galerie de personnages ! Ça donne envie, toute cette poisse, ce désespoir… et ce bayou. En attendant, je m'en vais m'écouter Creedance Clearwater Revival, dès que j'entends bayou, j'entends les gars du C.C.R. chantaient leur blues. N’empêche, que tes maraudeurs, ça a l'air d'être un câlice de bouquin qui donne sacrament envie.

  12. Oh oui, Julie! Impossible de passer ton chemin avec ce titre. C'est une aventure à lire, et à vivre! Bon voyage!

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