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L’herbe de fer · William Kennedy

Ça se passe à Albany, dans l’État de New-York, à la fin des année 1930. Les traces de la Grande Dépression ne se sont pas encore effacées. Francis Phelan, cinquante-huit ans, a besoin d’argent. Il accepte de remplir de terre les tombes fraîchement creusées pour une petite poignée d’argent. Accompagné de Rudy, rongé par un cancer, Francis parcourt le cimetière, la pelle à la main. Les morts, au demeurant forts occupés à tresser des pissenlits et à fumer des racines, se font entendre.

Francis est un homme éteint. La culpabilité l’étouffe, les remords aussi. Après un tragique accident, il a pris la fuite, abandonnant derrière lui sa femme Annie. Au moment où débute le roman, il y a plusieurs années que Francis n’a pas mis les pieds à Albany. Il a roulé sa bosse, traîné sur les routes, dormi dans des ruelles sombres. Il a rencontré Helen, sa compagne d’infortune. Ensemble, ils ont survécu, tant bien que mal. Son retour réveille les morts. Même l’alcool ne parvient pas à faire taire leur voix.

L’intrigue de L’herbe de fer tient à un fil. Plutôt que de me faire raconter une histoire, j’ai eu l’impression de faire un bout de chemin aux côtés de Francis et Helen. Un petit quarante-huit heures bouleversant. La scène d’ouverture, au cimetière, est un morceau d’anthologie. C’est l’une des plus belles mises en bouche que j’aie lu depuis longtemps. Que les morts prennent la parole peut paraître inusité. Ça l’est. Mais William Kennedy parvient à élever cette cocasserie au rang de grand art, à glisser de l’humour au coeur du désespoir. Parce qu’il n’y a pas que la misère ici. Il y a aussi de la dignité, de la tendresse, de l’amour. C’est à la fois tragique, cruel et… drôle.

La grande force du roman vient de ce que Kennedy enrobe ses personnages d’une aura d’humanité. Ces hommes et ces femmes à la dérive n’ont pas toujours fréquenté les soupes populaires et les refuges pour sans-abris. Francis a été un joueur de baseball talentueux, Helen a été une musicienne prodige. Un mauvais tour du destin les a fait vaciller et c’est tout leur avenir qui a cessé de leur sourire. Comme quoi personne n’est à l’abri. On peut tous perdre pied, un jour ou l’autre. Un roman frémissant de sensibilité, sans une once de misérabilisme. Un roman de la compassion, au sens le plus noble.

L’herbe de fer, William Kennedy, trad. Marie-Claire Pasquier, 10-18, 1993 [1983], 244 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Annie Spratt

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