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Nature morte avec chien et chat · Binnie Kirshenbaum

La dépression, et même le trouble dépressif majeur, ne suscitera guère plus, chez celui qui en entend parler, qu’un bâillement ou les yeux au ciel. En fait, on pourrait dire que rien ne cloche chez Bunny si ce n’est qu’elle se laisse aller à son penchant pour la prise en pitié d’elle-même. Mais s’il n’y a rien qui cloche vraiment chez Bunny, alors qu’est-ce qui ne va pas chez elle?

New York, 31 décembre 2008. Bunny ne va pas bien du tout. Ça ne date pas d’hier. Elle peine à se traîner. On ne peut pas dire que les attentions de son mari Albie soient d’un énorme réconfort. Lasse des obséquiosités de ses soi-disant amis, lasse de l’enthousiasme surjoué, elle n’arrive plus à jouer la comédie sociale. Elle n’en peut plus que « les retrouvailles se bornent en fait à une actualisation des curriculum vitae ». Bunny est écrivaine, une « vraie ». Bunny est aussi dépressive. Mais par-dessus tout, Bunny est odieuse, détestable. C’est son histoire qui est contée. De la veille du jour de l’An à son internement à l’hôpital psychiatrique, le tout entrecoupé de courts chapitres tirés de ses écrits personnels.

Plus qu’un roman sur l’état dépressif, ces pages dressent par petites touches, parfois en larges aplats, les travers d’une société hypocrite et mesquine. Rarement un roman m’aura à ce point amusée. Je ne me souviens pas avoir eu autant de plaisir à détester un personnage. Bunny se dit digne d’amour et d’affection, tout en admettant qu’elle est difficile à aimer. Difficile? C’est le moins qu’on puisse dire! Il faut être drôlement habile pour parvenir à entremêler pathos et humour en si peu de pages. (Quand Bunny se plante une fourchette dans la cuisse et met fin, du même coup, à une discussion insipide sur le vinaigre balsamique…) C’est mordant, caustique et coloré comme j’aime. À classer entre l’exceptionnel Vol au-dessus d’un nid de coucou de Ken Kesey et le prodigieux Mon année de repos et de détente d’Ottessa Moshfegh.

Un immense merci à Catherine (@readreadbird) pour l’envoi. J’aurai lu ce roman dans la semaine des quatre jeudis s’il m’avait fallu attendre son arrivée dans mes contrées!

Nature morte avec chien et chat, Binnie Kirshenbaum, trad. Catherine Richard-Mas, Gaïa, 2021, 288 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Cari Kolipoki

18 comments

  1. Déjà repéré chez Catherine, il se trouve dans ma liste! Ta chronique me donne encore plus envie de le découvrir, surtout si tu dis qu’il s’approche de Mon année de repos et de détente, roman que j’avais adoré!

    1. J’espère qu’il remontera dans le haut de ta liste! Il est totalement réjouissant, ce roman. D’arriver à traiter d’un sujet aussi lourd avec autant de finesse et de légèreté, c’est très habile, je trouve.

    1. C’est dommage qu’il a si peu de presse, ce roman. Il le mériterait grandement! Le sujet peut faire peur, surtout en ces temps troubles. Mais justement, la façon sont le sujet est décanté en fait un roman tout à fait réjouissant!

  2. De fait, c’est plutôt rare. J’ai souvent fermé un roman parce que je n’avais aucun plaisir à «côtoyer» un personnage détestable. Là, j’étais curieuse de voir jusqu’à quel point elle allait m’horripiler. Et, surprise, j’ai eu un brin d’affection pour elle, à la toute fin!
    C’était juste magique!

    1. Franchement, il est tellement rafraîchissant. Une belle façon de dédramatiser un sujet si lourd.

      J’ai lu, récemment (et je vais en reparler bientôt), Ce matin-là de Gaëlle Josse. On y aborde le burn-out. La façon d’aborder le sujet est totalement différente et plus «déprimante», malgré la lumière au bout du tunnel.

  3. Ah, vaste sujet que celui de la dépression… et des dépressifs. J’y jetterai probablement un coup d’oeil un de ces jours, par curiosité car l’angle choisi m’intéresse.

    1. Vaste sujet, tu dis? Un sujet complexe et protéiforme. Que Binnie le traite sous un angle plus léger que lourd (du moins, c’est mon ressenti) apporte à ce roman un côté très rafraîchissant. Ça change!

  4. Je viens de le refermer ! Mais mais mais, Bunny n’est pas détestable du tout !! J’ai eu énormément d’empathie pour elle. Elle m’a attendrie !

    1. Alors, il t’a plu?
      J’en garde un tellement bon souvenir.
      Je trouvais Bunny plutôt odieuse au départ. Il a fallu qu’elle entre à l’hôpital psychiatrique pour qu’elle m’attendrisse! Le fait qu’elle se décentre et s’ouvre aux autres me l’a rendue attachante!

      1. oui il m’a plu mais vraiment grâce à ce personnage car je n’ai pas trouvé le style extraordinaire, il ne se passe pas grand chose et pour la fin je suis un peu déçue ! globalement j’ai passé un beau moment, et pour preuve, j’ai réussi à terminer un livre de quelques 200 pages Ô miracle ! 😀

        1. 200 pages que dis-je, 288 pages !!! ça fait quoi … 3 ans que ça ne m’est plus arrivé 😀 😀

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