
Parce qu’elle a commis une grosse gaffe, qu’elle n’est plus du monde et n’a pas d’allure, Dorothée, seize ans, est parachutée à Igloolik, au Nunavut, chez un ami d’école de son père.
Mes parents s’étaient débarrassés de moi comme si j’étais un machin radioactif à enfouir le plus loin possible dans la terre pour ne pas être contaminés et tout le monde savait que ça ne faisait que remettre le problème à plus tard, moi aussi, parce que j’étais le problème en question et que je n’avais aucune envie de plonger à l’intérieur de moi pour régler les choses, il y en avait trop.
À sa descente d’avion, Mike l’attend – Mike le Yéti, comme elle l’appelle. Ce solitaire à la carrure de paquebot est un rustre de peu de mots. À peine arrivée, Dorothée songe à fuir. Elle déchante vite!
J’ai commencé à marché en tirant mon traîneau jusqu’au sommet de la colline, j’ai regardé derrière moi et en un seul coup d’œil, je pouvais voir tout le village qui était niché dans une vallée en forme de cuvette de toilette et c’est là que je me suis rendu compte que les deux seules portes de sortie étaient l’aéroport et le cimetière, parce qu’autour, il n’y avait rien et je ne pouvais pas m’échapper.
Sans trop avoir le choix, Dorothée s’habitue à sa nouvelle vie dans une vieille bicoque aux côtés du Yéti. Elle essaie de chasser, tente d’apprendre l’inuktitut, conduit une motoneige, hérite de quelques engelures, se frotte le nez sur la fourrure d’un renard (d’où le choix de l’hideuse couverture?) lors de ses passages au magasin local, va porter le sac à merde au dépotoir! Dorothée et le Yeti s’apprivoisent tranquillement pas vite. Peu à peu, les tiroirs s’ouvrent, les langues se délient. On apprend les raisons de ce parachutage dans le Grand Nord, on apprend aussi ce que Mike y fait, seul. Autour de ce duo improbable gravitent une galerie de personnages colorés: Barbie Nunn, sa surveillante de classe anglophone aux beaux ongles; Lakeesha-Jewel, une Inuite de dix ans qui ira accoucher à Iqaluit; le by-law, le seul flic du coin qui passe son temps à voler des matériaux sur les chantiers de construction. Des Inuits, beaucoup, et des Blancs – francophones et anglophones -, ceux qui ont l’argent. Pour la première fois de sa vie, Dorothée rencontre des gens vrais, authentiques, sans masques. Ce qui l’amène à se départir de son armure. Derrière la p’tite conne égocentrique et superficielle se cache une fille dégourdie, débordante de générosité. Et derrière le Yéti se trouve un gentil petit ours polaire. Dans cette contrée, le froid est mordant, la vie rude. Les carcasses de phoques dégèlent sur le comptoir. Le dépotoir déborde de cuivre, de peaux d’animaux et de carcasses de motoneiges. Le Norther(n) – Walmart du Nord – vend sa slush 8,00 $ l’unité.
Panik lève le voile sur une culture fascinante vue par une fille du Sud. Les descriptions du Grand Nord et les drames humains qui s’y jouent sonnent terriblement justes. Geneviève Drolet fait preuve d’une imagination débridée servie par une écriture lumineuse et rocailleuse, parsemée de jurons, d’expression colorées et d’une bonne épaisseur d’humour.Une écriture parfois brutale, avec des éclairs de poésie et de tendresse. Aux longues tirades de Dorothée se superposent des passages à bâtons rompus, de petites scènes qui éclairent l’ensemble du récit. Elle orchestre son roman comme une virée de la dernière chance pleine de surprises. Panik est tour à tour contemplatif, déchirant et hilarant. À la fois captivant roman d’aventures, grand huit des émotions humaines et hymne à la beauté de ce territoire indompté. Aucun misérabilisme, ici. Juste la vie telle qu’elle est, avec ses petits instants de bonheur et sa grosse misère. Un seul chapitre a suffi pour me prendre dans les filets de l’intrigue. Dommage que les dernières pages soient un peu garochées. Ça se met à débouler comme un tas de roches. J’en suis restée estomaquée. Me suis dit qu’elle y allait un peu fort, la Geneviève. Mais c’est tout pardonné.
Panik, Geneviève Drolet, Tête première, 2015, 316 p.
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