
En 1990, Grégory Smart est retrouvé mort, abattu à bout portant dans l’appartement qu’il partageait avec sa femme, Pamela Smart, spécialiste des médias dans un lycée. La veuve éplorée apparaît à la télévision, implorant de l’aide pour retrouver le meurtrier de son mari. Elle emporte l’empathie du public. Puis des rumeurs commencent à circuler. Pamela Smart aurait une aventure avec un adolescent de quinze ans. Le chat sort du sac: elle s’est servie de son amant et de ses camarades pour faire assassiner son mari. Son procès est le premier procès pour meurtre diffusé à la télé aux États-Unis. Pamela Smart a été condamnée à la prison à perpétuité.
Joyce Maynard s’est emparé de ce fait divers pour écrire Prête à tout. La vraie Pamela Smart devient alors la fictive Suzanne Maretto. Suzanne a vécu une enfance d’enfant-roi. Ses parents et sa soeur aînée sont en adoration devant elle. Ils lui passent tous ces caprices, dont une opération de chirurgie esthétique à douze ans. Du plus loin qu’elle se souvienne, Suzanne rêve d’être une star de la télé. Elle veut devenir aussi célèbre que son idole, Barbara Walters.
Tout le monde savait que son ambition, c’était de faire de la télé. Dans un monde où la compétition est aussi serrée, il faut mettre le maximum d’atouts de son côté, et Suzanne semblait l’avoir compris. Enfin quoi, voilà une fille qui expliquait qu’elle ne riait jamais car ça vous donne des rides. Une fille qui s’enveloppait les cuisses dans du film alimentaire avant de dormir pour transpirer et éliminer l’eau superflue. Un jour, elle m’a raconté qu’elle se mettait de la vaseline sur les dents pour les faire briller dans la lumière des projecteurs.
Lorsqu’elle épouse Larry Maretto, un restaurateur italien, musicien à ses heures, elle imagine son couple à l’image de celui formé par Heather Locklear, l’actrice, et Tommy Lee, le fondateur de Motley Crue. Le problème, c’est que Larry prend le mariage très au sérieux. Il troque sa batterie pour un bâton de golf, en attendant d’avoir de ravissants enfants. Ce qui, pour Suzanne, n’est pas au menu.
Suzanne, elle, veut tracer son chemin vers les plateaux de télé. Elle veut la gloire, la célébrité. À force de persuasion, elle obtient un petit poste dans la station de télé locale. À défaut de lire les infos, elle se contente du bulletin météo. En attendant mieux… Elle convainc son patron de la laisser tourner un documentaire sur la jeunesse des étudiants du coin. Mais les seuls jeunes qu’elle parvient à intéresser sont trois adolescents paumés: Russell et Jimmy, deux garçons abonnés aux mauvais coups, et Lydia, la fille aux quelques livres en trop. Pas de quoi décourager l’ancienne majorette, bien décidée à manipuler son monde pour parvenir à ses fins. Elle se servira d’eux pour éliminer son mari, devenu un pion insignifiant dans son chemin vers la gloire.
Sur une intrigue somme toute assez convenue, Joyce Maynard construit un roman choral d’une force redoutable. Alternant les témoignages, le roman tisse les voix de Suzanne et de son entourage: ses parents sous le choc, ses beaux-parents dévastés, une adolescente mal dans sa peau, un amoureux éconduit, un jeune délinquant, les parents des ados, les policiers, un patron désabusé, etc. Chacun prend la parole à tour de rôle. Chacun dit ce qu’il veut bien dire. Mais qui dit vrai?
La manipulation et l’idolâtrie sont au coeur de ce roman. Sans parler des obsessions: Suzanne est obsédé par la célébrité. Elle n’existe que dans le regard des autres. Son jeune amant est obsédé par le sexe. Depuis qu’il a couché avec Suzanne, il ne pense qu’à recommencer. Russell est obsédé par l’appât du gain. Quant à Lydia, elle est obsédée par la reconnaissance.
De livre en livre, Joyce Maynard dresse le portrait d’une Amérique provinciale, avec ses classes moyennes engoncées dans leurs conventions, ses familles de laissés-pour-compte déglinguées par la misère. Dans cette Amérique, le cocktail d’ambition, d’argent et de sexe s’avère particulièrement explosif. Prête à tout est une satire acérée de la culture de la célébrité et de l’obsession du paraître. Un roman qui oscille entre la farce et l’effroi.
Voilà pourquoi j’ai toujours rêvé de faire de la télévision. Cela fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en vous. Tant que vous êtes à la télé, il y a toujours quelqu’un qui vous regarde. Si les gens pouvaient passer à la télé tout le temps, nul doute que la race humaine dans son ensemble s’en porterait beaucoup mieux. Cela pose un problème: si tout le monde passait à la télé, il n’y aurait plus personne pour la regarder. Je deviens folle à force de réfléchir à tout ça. Ça peut me poser des problèmes parfois. Un jour, j’étais tellement absorbée par mes pensées que j’ai oublié de me retourner sous la lampe à bronzer. Si vous aviez vu le désastre!
Prête à tout, Joyce Maynard, trad. Jean Esch, Philippe Rey, 2015, 333 p.
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