Est-ce que je vais mourir? – comme ça?
Si Kelly Kelleher avait eu la moindre idée de ce qui l’attendait en montant dans la Toyota du Sénateur…
Dans la maison de vacances des St John, sur l’île de Grayling, au large de la côte du Maine, la journée du 4 juillet s’annonce festive. Parmi les gens présents, Kelly et sa bonne amie Buffy, chez qui a lieu la fête. L’arrivée du Sénateur attire l’attention. Il se pavane, bavarde, boit et flirte avec la jolie et naïve Kelly. C’est décidé, ils s’esquiveront en douce, attraperont le ferry et iront passer la nuit au motel pour une joyeuse partie de jambes en l’air.
Le Sénateur, complètement saoul, est pressé. Il ne veut surtout pas manquer le ferry. Sur la route, la voiture zigzague, manque un virage, dérape et tombe à l’eau. Le Sénateur parvient à s’en extraire. Kelly, non. Elle reste seule, avec une des chaussures du Sénateur qui flotte près d’elle.
Kelly ne perd pas espoir. Le Sénateur va venir la secourir, c’est certain. Il est juste aller chercher du secours. Mais non… Kelly restera prisonnière, cloîtrée à l’intérieur de la voiture. Seule, avec les images de sa vie qui défilent, et cette eau qui ne cesse de monter…
Redoutable Joyce Carol Oates! Elle est venue jouer, avec ce court roman (ou longue nouvelle?), dans le terreau de mes pires terreurs.
Dans la nuit du 18 juillet 1969, à Chappaquiddick Island, au Massachusetts, Ted Kennedy et Mary Jo Kopechne s’éclipsent après une fête bien arrosée. Kennedy perd le contrôle. Le véhicule plonge dans l’eau. Il parvint, de peine et de misère, à s’en extraire. Il prend aussitôt la fuite, laissant la jeune femme à son sort tragique. Il n’a signalé l’accident à la police que le lendemain matin, après avoir consulté un avocat de la famille.
Joyce Carol Oates s’empare de ce fait divers pour le mettre à sa main. Son angle d’approche est effroyablement efficace. Dès le début, la voiture tombe à l’eau. La lente agonie de Kelly suit. En choisissant de se concentrer sur les derniers instants de vie de la jeune femme, elle crée un climat d’oppression insoutenable. Le passé de Kelly, qui s’immisce dans le récit, permet quelques instants de répit, le temps de reprendre son souffle.
Si les personnages principaux n’échappent pas à certains clichés, cela ne m’a pas du tout agacée. Kelly, cette jeune femme naïve qui vénère le Sénateur, qui se voit bien jouer un rôle dans sa campagne présidentielle, comptant bien gagner son amour. Et ce cher Sénateur… La cinquantaine bronzée, concentré sur son nombril surdimensionné, ambitieux, obsédé par le pouvoir et le désir de sauver sa peau à n’importe quel prix.
Joyce Carol Oates distille l’horreur et la lâcheté avec son talent implacable. Le style est nerveux, les phrases acérées donnent au récit un rythme oppressant et haletant jusqu’au final. Un roman tout en tension, que j’ai lu d’un seul élan, le souffle court.
Reflets en eaux trouble, Joyce Carol Oates, trad. Hélène Prouteau, Actes Sud, «Babel», 2001, 160 p.
Mais c'est horrible! Et en même temps, je devine le plaisir de lecture que cela doit procurer, toute cette tension. Cela me tente beaucoup, merci. 🙂
Ton excellent billet m'a ''replonger'' (sans jeu de mots crois-moi), dans un très beau souvenir de lecture malgré la dureté de la teneur de ce roman. Même qu'il est possible que je le relise un de ces jours. Merci Marie-Claude pour tes chroniques livresques toujours plaisantes à lire.
Dieu ce que cette auteure est attirante ! J'ai deux de ses livres dans ma PAL et tu viens encore de me donner l'envie d'aller les chercher.
Oui, c'est totalement horrible. Oates a le don de créer le malaise! Parmi sa production gargantuesque, voilà un de ses bons romans.
T'es fine, Suzanne! Son angle d'attaque est immersif! Oates est l'une des seules auteures que j'aime lire précisément pour l'inconfort que ses romans entrainent. Avec elle, nous sommes à l'antipode du réconfortant!
Lesquels as-tu dans ta PAL?
C'est aussi une de mes pires craintes… (j'ai même du mal à regarder des reportages qui se passent sous la mer, genre dans les abysses.. ça me fiche la trouille!) Soit! :-)Elle risque de m'angoisser plus qu'autre chose cette lecture…
C'est bizarre, enfin je connais le fait divers avec Ted Kennedy et j'ai acheté le roman de Oates mais le titre était juste Hudson River. Pas la même édition.. bref, je n'ai pas lu ton billet car je veux le garder – ça sera mon premier Oates donc ça se fête !
Et cette eau froide qui monte qui monte qui monte… Terrifiant mais presque envoûtant… A se servir un verre de whisky on the rocks, pendant que l'eau noire monte monte monte…
je n'avais jamais entendu parler de ce livre ! (il faut dire que notre amie JC Oates est prolifique!)160 pages, en plus, ça donne vraiment envie de découvrir ce roman !
Bon ben, on n'ira jamais faire un tour de sous-marin ensemble, ni faire de plongée! Pour l'angoisse, oui! Ce roman frappe fort…
Oh! Tu commenceras pas un petit, et un très bon. Oui, et re-oui, ça se fête!
Juste ces mots: monte, monte, j'en ai la chair de poule.Il faut que je me change les idées, je vais étouffer!
Prolifique, tu dis?! Une machine à écrire, cette femme.Ses plus petits romans m'ont souvent déçue, mais celui-là, ouf! Il vaut vraiment la peine. Je me répète, mais elle est redoutable!
Mon premier essai avec Oates était raté (\ »Sacrifice\ ») mais je retenterai ! J'avais pensé à \ »Carthage\ » mais pourquoi pas celui-là ?
Quel dommage pour \ »Sacrifice\ ». Une première mauvaise rencontre. Je n'ai pas encore lu \ »Carthage\ », mais ce sera mon prochain Oates. Pour récidiver, je te conseille un petit Oates. Et celui-ci est particulièrement bien approprié, je trouve, pour un deuxième rendez-vous!
Et je t'approuve à 100%. N.B. Lire replongée et non replonger dans mon commentaire plus haut. 😉
Je le note; une lecture qui viendra enrichir ma malette pour mes ateliers nouvelles noires.
Argh, toujours pas lu cette auteure! Et pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manque, mais le temps, comme toujours…
Zombi et Marya
Il y a de bons gros pavés dans sa production gargantuesque, mais il y a aussi de petites plaquettes délicieuses (et très éprouvantes), comme celle-ci. Ça vaut le coup d'y goûter!
Une bonne idée, ça! Très très noire, et une construction narrative très originale…
Je connais \ »Zombi\ », mais pas \ »Marya\ ». Je viens de lire le résumé, et voilà que ma curiosité est piqué!
Le croiras-tu, Marie-Claude, je n'ai jamais lu Oates ! Mais elle a l'air tellement terrifiante, s'emparant toujours de sujets effroyables ! Aurais-je un jour le courage de l'affronter ? Je l'ignore…
Je n'ai pas lu celui-ci. Je viens de recevoir son dernier roman, sans l'avoir demandé parce que je me lasse un peu, elle publie vraiment beaucoup.
Je peux le croire, même si je suis un tantinet étonnée! Pour être terrifiante, elle l'est! Elle a le don de déterrer le malaise là où il se terre. Je te rassure, certains romans sont moins éprouvants que d'autres. Je pense, entre autres, à \ »Petite soeur, mon amour\ », ou encore à \ »Marya, une vie\ », très inspirée de sa propre vie.
Beaucoup, tu dis? Un à deux romans par année depuis des décennies… C'est énorme! D'où le fait qu'il y a du moins bons. Heureusement, les derniers romans lus sont très très bons. Je comprends qu'on puisse avoir envie de faire une pause!
J'adore cette romancière, ce roman sera donc à un moment ou un autre dans ma PAL 😉
Moi aussi, j'aime beaucoup JCO, quoique certains romans m'ont laissé de marbre. Mais devant une production aussi gargantuesque, le contraire aurait été étonnant. Celui-ci, toutefois, m'a complètement envoûtée.