J’aime Nickolas Butler. Découvert avec Retour à Little Wing, j’avais alors été conquise par sa grande sensibilité, son humanité. Avec les dix nouvelles de Rendez-vous à Crawfish Creek, le charme opère à nouveau.
Dix nouvelles où l’amitié entre hommes, l’amour invincible ou vacillant, la solitude, l’abandon et la vengeance sont déployés sur fond de forêts, de lacs, de bars glauques et d’église pentecôtiste.
Dix nouvelles écrites dans un style tout en retenu, parfaitement maîtrisé, qui relie Nickolas Butler à la grande école des nouvellistes elliptiques (Russell Banks, Ron Rash): pas de chute finale ici, pas d’esbroufe, pas de spectaculaire à tout prix. Mais une façon de se retenir, de préférer l’instant, le presque rien. Dix nouvelles ancrées dans le réel, ciselées dans le quotidien le plus ordinaire.
Quelques histoires d’amour. Une belle à pleurer: «Pomme». Lyle, marié depuis plus de trente ans, est mis à pied. Il se trouve quelques jobines, mais ne cesse de douter de son statut d’Homme, surtout aux yeux de sa femme. Une autre belle à fendre le cœur comme dans «Lenteur Ferroviaire». Bruce perd son job lorsque l’usine où il travaille passe au feu. Sa rencontre avec Sunny, mère alcoolique de deux enfants, change sa vie. Surtout lorsqu’elle disparaît en lui laissant sur les bras ses deux gamines.
Des histoire d’amitié, dont «Morilles», dans laquelle un groupe de copains se retrouve le temps d’un week-end pour cueillir des champignons. Coffee, cultivateur de marijuana, vit dans son Airstream au fond d’un vallon perdu. Rimes est représentant en tracteurs et semences agricoles. Deere, lui, est parti pour la ville. Il s’est lancé dans l’informatique au bon moment, a bien réussi, a acheté une grande maison et s’est marié. Lorsque la tragédie frappe, les deux amis couvrent leur copain. Parce que l’amitié, ça n’a pas de prix.
Des histoires de vengeance, aussi, dont«Rendez-vous à Crawfish Creek».Aida, une policière à deux cheveux de la retraite, a la mémoire qui l’abandonne. Bethany, qui n’en peut plus de son chum batteur de femmes, fait appel à elle pour l’aider à régler ses comptes. La vengeance qu’elles prévoient, chacune pour des raisons qui leur sont propres, est impitoyable.
Chez Nickolas Butler, quand ce n’est pas une catastrophe qui change la vie, c’est un parcours qui arrive à sa fin. Chacun pratique le métier de vivre comme il peut… La grande force de Nickolas Butler est sa manière d’attraper des personnages communs, de nous les faire côtoyer le temps de quelques pages, puis de les relâcher à leur destin. Il en reste l’impression de les avoir compris dans toute leur existence, juste en quelques mots, juste en une seule scène de leur vie. Et c’est très fort.
Rendez-vous à Crawfish Creek, Nickolas Butler, trad. Mireille Vignol, Autrement, 2015, 313 p.
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