Nickolas Butler aime son patelin. Ça se sent. Né à Allentown, en Pennsylvanie, il a grandi à Eau Claire, dans le Wisconsin. Il est revenu s’y établir avec sa femme et ses deux enfants. On peut dire qu’il a touché à tout: homme d’entretien chez Burger King, vendeur de hot dogs, agent de sécurité pour auteurs en tournée, torréfacteur (mmm, j’aime…), commis dans un magasin d’alcools. Inscrit dans un atelier d’écriture en Iowa, c’est là qu’il entame l’écriture de Retour à Little Wing (Shotgun Lovesongs).Il a mis trois ans à l’écrire.

Ils sont quatre. Quatre copains qui ont fait les quatre cents coups ensemble jusqu’à ce que la vie les disperse. S’ils ont pris des chemins différents, ils tendent toujours à revenir à Little Wing. Il y a Hank, l’homme de la terre, loyal, patient et affectueux. Agriculteur, il n’a jamais quitté son bout de pays. Il a épousé Beth, son premier amour d’adolescence. Il y a Lee, la rock star qui parcourt le monde, de tournées en concerts. Il est toujours le même Lee lorsqu’il revient à Little Wing pour recharger ses batteries dans sa vieille maison de ferme. (Lee est inspiré par Justin Vernon, le chanteur de Bon Iver, avec qui Nickolas Butler est allé à l’école secondaire. Il a, comme Vernon dans la vraie vie, réalisé dans le dénuement le plus complet l’album qui fera son succès. Le roman permet de voir dans quelle atmosphère a été créé, en 2008, le premier (et excellent) album de Bon Iver: For Emma, Forever ago.) Il y a Kip, l’ex-trader qui a fait fortune à Chicago et qui revient au bercail avec sa femme Felicia, avec l’ambitieux projet de rénover une vieille fabrique désaffectée où lui et ses copains se retrouvaient lorsqu’ils étaient jeunes. Et il y a Ronny, l’ex-champion de rodéo amoindri par un accident provoqué par l’abus d’alcool. Celui-là, une belle surprise l’attend… Autre personnage fort du roman: Beth, la femme de Hank totalement dévouée à sa famille. Lorsqu’une vieille histoire entre Lee et elle refait surface, l’équilibre du couple est ébranlé.
À l’occasion d’un mariage, les quatre trentenaires se retrouvent. L’amitié peut-elle résister au temps et à des choix de vie si opposés? Les retrouvailles ne sont pas simples. Elles font surgir les failles que chacun porte au fond de lui. Le passage dans lequel Hank et Lee volent un énorme pot d’œufs dans le vinaigre est tordant. Tout est bon pour renouer les liens fragilisés et pour revivre la jeunesse perdue en jetant des œufs sur les voitures qui passent!
Nickolas Butler éprouve une grande tendresse pour ces personnages. Pas de cynisme ici, ni de dérision. L’intrigue évolue dans une construction chorale habilement menée. J’avais envie de lire une histoire d’hommes. J’ai été servi. Des hommes, des vrais, dans toute leur grandeur, avec leur bonté, leur vulnérabilité, leurs doutes. Un roman qui donne foi en l’humanité. Un roman bienveillant, sans démagogie, pas neuneu pour deux sous. Un beau portrait de la vie dans l’Amérique rurale et d’amitiés qui perdurent au-delà des rivalités et de l’envie. Pour une fois, l’Amérique profonde n’est pas dépeinte comme un trou perdu peuplé d’abrutis, de drogués et de dégénérés. Un livre au grand cœur. Un livre à vivre. Il y a des romans dans lesquels on se sent bien. Juste bien. Retour à Little Wing est un de ceux-là.
Retour à Little Wing, Nickolas Butler, trad. Mireille Vignol, Autrement, 2014, 445 p.
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