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Surtout rester éveillé · Dan Chaon

J’ai découvert Dan Chaon avec «Parmi les disparus», une nouvelle publiée dans l’excellent recueil 20 + 1 short stories. Touchée par ce drame familial, mais surtout par la façon dont il est raconté, j’ai eu envie d’en lire davantage et je me suis procurée ses deux recueils: Parmi les disparus et Surtout rester éveillé.  

Il y avait un bout que je ne m’étais pas plongée dans un recueil de nouvelles et ça me manquait. J’ai plongé dans Surtout rester éveillé comme un poisson dans l’eau. J’ai trouvé dans ce recueil tout ce qui me plaît dans ce genre littéraire: un concentré de destins, des instantanés de vie, un gros plan sur un moment de la vie d’un personnage.

Les personnages du recueil de Dan Chaon sont livreurs chez UPS, commis d’épicerie, camionneur, entrepreneur en construction. Ils sont seuls. Leur famille s’est dissoute ou est sur le bord de l’être. Le passé est un boulet qu’ils traînent ou dont ils tentent de tourner le dos. Le passé ne voulant pas mourir, les fantômes s’invitent dans le présent.

Solitude, incommunicabilité, mort, deuil, abandon… La couleur du recueil est plutôt sombre Mais ce n’est pas tant la description d’événements dramatiques ou traumatisants qui intéresse Dan Chaon, que les répercussions qu’ils entraînent et la façon dont ses personnages parviennent ou non à se reconstruire.

Quand on atteint un certain stade, se dit Deagle, quelque part autour de la quarantaine, le passé ne nous ressemble plus. Le lien à notre ancienne vie est comme un rêve ou du délire, et la personne que l’on était n’est plus qu’une connaissance que l’on a beaucoup aimée, ou la personne adoré d’un livre de contes. C’est ainsi que la mémoire devient nostalgie. Ce sont deux choses très différentes – de même qu’une personne est différente de sa photo.

Les relations (familiales, de couple, parents-enfants) sont brisées ou boiteuses. Les hommes et les femmes sont fragilisés par les mauvais coups de la vie. Ils sont confrontés à ce qu’ils ont fui, à un drame qui survient et ils n’arrivent pas (ou difficilement) à y faire face. Le quotidien se disloque toujours.  

Les personnages de Dan Chaon sont profondément, viscéralement bons. Ils font de leur mieux, mais le métier de vivre est si lourd… Faute d’énergie, ils baissent souvent les bras, et avec tout ce qu’ils ont vécu, qui les en blâmerait?  

L’incommunicabilité est au coeur de chaque nouvelle. Les personnages sont des handicapés émotionnels. Ce n’est pas par indifférence aux autres qu’ils peinent à communiquer, mais par maladresse. Ils ne savent pas comment s’y prendre, n’ayant pas les bons outils pour entrer en contact avec les autres. Ce qui amène son lot de regrets et de non-dits lourds à porter. La solitude leur pèse, les amenant à rechercher un peu de compassion, de chaleur humaine ou à s’isoler encore plus.

La mort aussi est omniprésente. Faire face au deuil d’un parent, d’une conjointe ou d’un enfant… Chacun tente d’y faire face avec les outils qu’il possède. Un point récurrent: les accidents de voiture. Presque tous les personnages ont en commun d’avoir fait un accident de voiture ou d’avoir perdu un proche. «Je me réveille» et «La ferme. L’or. Les mains blanches comme neige» m’ont particulièrement émue. Le même personnage revient, jeune puis vieux. Dan Chaon décrit comment les répercussions qu’une tragédie survenue dans la jeunesse se répercutent sur l’ensemble d’une vie. Les derniers mots de «Saint Dismas» m’ont fait pleurer. Pierre kidnappe le fils de son ex-petite amie junkie. Il pensait bien faire. Mais lorsqu’il sent que l’enfant s’attache à lui, il prend la fuite et l’abandonne à son sort. Crève cœur.

Les nouvelles de Surtout rester éveillé m’ont profondément touchées. J’ai éprouvé une réelle compassion pour ces être malmenés par la vie. J’avais envie de leur tendre la main, de les prendre dans mes bras. Sur les douze nouvelles qui composent le recueil, seulement deux ne sont pas venues me chercher («À l’attention de la pègre télépathe» et «Prends, mon frère, puisse cela t’être utile»).  

Dan Chaon déroule les destins de ses personnages avec une sensibilité à fleur de peau et une profondeur impressionnante.Au bas d’une page, au détour d’une phrase, une image surgit, frappante d’authenticité, laissant surgir l’émotion. Superbement traduit par Hélène Fournier, le style sobre et puissant de Dan Chaon m’a enchantée.

Surtout rester éveillé est porté par une grande humanité, loin de tout pathos. Une plongée dans la vie, la vraie, avec ses hauts, ses bas, ses drames et ses fractures. Des concentrés de vie qui donnent envie de s’ouvrir aux autres, d’être à l’écoute. Des nouvelles d’une douloureuse beauté.

Surtout rester éveillé, Dan Chaon, trad. Hélène Fournier, Albin Michel, «Terres d’Amérique», 2014, 320 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Jeremy Perkins

22 comments

  1. waouw, tu les \»vends\» très bien ces deux recueils ! il faut vraiment que je me procure le 20+1, ça a l'air d'être une pépite!

  2. Je ne saurais trop te conseiller de lire \»20+1\». On y trouve une formidable variété, autant de portes ouvertes sur de fabuleux auteur(e) à découvrir.

  3. Je me souviens de ta chronique. Certes, ce n'est pas hop la vie, mais quelle claque! Je me sens très à l'aise dans ce genre d'univers. Ça me change de mon quotidien rose!

  4. Je ne connaissais pas… Mais tu donnes sacrément envie de connaître. Des concentrés de vie d'une douloureuse beauté. Magnifique…

  5. D'après mes infos, il se pourrait que le recueil sorte en poche en même temps que la sortie du prochain roman de Dan. Ce roman sort aux USA en mars prochain et je ne travaille dessus que depuis un mois. Il fait 450 pages donc il va vous falloir être très patients 🙂 (PS : il est très très noir…)

  6. Ça c'est sûr ! Décès, meurtres, junkies, paumés en tous genres et cet ado que j'aimerais tant protéger mais qui va déguster…

  7. Le gros de mes dépenses livresques passent justement dans cette collection. Le nombre de grandes découvertes que j'y ai faites est assez impressionnant…

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