Depuis L’Ange sur le toit, paru en français en 2001, Russel Banks n’avait publié aucun recueil de nouvelles. Un membre permanent de la famille, son sixième recueil, vient rappeler à quel point il excelle dans la forme brève.
Douze nouvelles composent Un membre permanent de la famille, douze projecteurs braqués sur des instants de vie. De l’humain, sans masque, à fleur de peau et le cœur à vif. Des hommes et des femmes englués dans le métier de vivre. Rien de tragique ici. La vie, comme elle va, comme elle vient. Dans le décor sans paillettes d’une l’Amérique middle class, des solitudes se frôlent, des couples se supportent ou se séparent, des attachements s’étiolent, des occasions sont manquées.
Ancien marine
Connie a éduqué seul ses fils, dans le respect de l’ordre et de la discipline, après que sa femme l’ait quitté. Cet ancien marine, à moitié sourd, déprime depuis qu’il a perdu son dernier travail. Les factures s’empilent et l’argent ne rentre plus. L’orgueil viril l’empêche de confier ses misères à ses fils, maintenant adultes. Pour ne pas perdre la face, parce qu’il a sa fierté, il est poussé au pire pour subvenir à ses besoins.
Un membre permanent de la famille
Un couple se sépare. La garde alternée, le partage des biens… Tout est planifié pour épargner le plus possible le chagrin. Mais c’est sans compter le comportement imprévisible d’une vieille chienne qui, elle, ne peut se résoudre à la séparation.
Fête de Noël
Harold et Sheila ont divorcé. Sheila a refait sa vie, s’est remariée avec un entrepreneur dont la maison de riche renvoie Harold à sa propre humiliation de conducteur de pelleteuse. Quand Harold est invité à fêter Noël avec son ex-femme et son nouveau mari, il s’aventure dans la chambre du bébé qu’ils viennent d’adopter. L’horreur n’est pas loin, un petit rien suffirait pour que tout tourne au tragique. Et pourtant…
Transplantation
Quelque temps après avoir reçu un nouveau cœur, Howard apprend que la veuve du donneur souhaite le rencontrer. Réticent, il accepte. Face à face, elle lui demande si elle peut écouter battre une dernière fois le cœur de son mari adoré, cœur qui appartient désormais à un autre. Malaise…
Oiseaux des neiges
Isabel a enfin réussi à convaincre son mari George d’aller passer l’hiver à Miami. Sitôt arrivé, George est fauché par une crise cardiaque pendant sa leçon de tennis. Isabel est maintenant seule, privée de son ange gardien, même si sa vie conjugale n’était guère reluisante, avec son lot de compromis et de concessions. Mais loin de l’abattre, la mort de son mari la galvanise, semble la libérer d’un carcan. Et si elle restait à Miami, seule, et repartait de zéro?
Big Dog
Erik, un artiste contemporain, vient de remporter le Prix Mac Arthur, un prix prestigieux. Ne pouvant attendre l’annonce officielle de la remise de prix, il décide de révéler la nouvelle et de fêter l’événement lors d’un souper entre amis. Cette annonce n’est pas reçue en grande pompe par les convives, comme il le souhaitait.
Blue
Ventana, une employée noire et pauvre, a réussi à économiser pendant trois ans 3500 dollars pour acheter la voiture d’occasion qui fera sa fierté. Après avoir déambulée parmi les voitures, elle se retrouve piégée dans le parking du concessionnaire, perchée sur le toit d’un véhicule pour échapper aux crocs d’un pitbull enragé. Ventana n’ose pas appeler la police avec son portable, de peur de passer pour une voleuse. Elle est Noire après tout…
Le perroquet invisible
Billy n’a pas grand-chose pour vivre, mais une imagination, de la bonté et une façon de percevoir la réalité qui touche au plus profond. Dans une épicerie, il rencontre Charlotte, une junkie. Il lui donne ce qui lui reste pour finir le mois. En échange, elle lui laisse une liste qu’elle a ramassée par terre pour se donner l’illusion d’être une femme bien, normale.
Les Outer Banks
Ed et Alice, un couple de retraités, ont vendu maison et meubles, ont acheté un camping-car et l’ont équipé. Ils ont décidé de prendre la clé des champs et de profiter de la vie, de voir l’Amérique avant de mourir. La mort de leur chienne vient tout remettre en question.
Perdu, trouvé
Un représentant de commerce marié flirte avec une inconnue lors d’un congrès professionnel. Cet embryon de liaison se révèle tout aussi raté que son mariage…
À la recherche de Veronica
Un homme est assis au bar d’un aéroport. Il attend son vol. Une femme vient lui raconter son histoire, l’invraisemblable histoire de la pensionnaire junkie qu’elle a finit par chasser de chez elle pour protéger sa petite fille. Et si c’était elle, la junkie?
La porte verte
Après avoir fermé le bar du casino où il travaille, un barman sexagénaire voit un de ses clients se faire poignarder au fond d’un parking. Indifférent, il choisit de ne pas intervenir.
Russell Banks est l’un des meilleurs chroniqueurs de l’envers du rêve américain, cette Amérique qui broie du noir sur les décombres de ses espoirs anéantis. L’Amérique qu’il dépeint est un pays contraint de mettre ses rêves de bonheur de côté. Ses personnages sont vulnérables, y compris dans leur arrogance, leurs envies. Ils sont touchants parce que rarement malveillants. Le regard qu’il porte sur ses personnages est empreint d’humanité. Aucune condescendance ici. Il y a dans cette classe moyenne fatiguée, à bout de souffle, beaucoup de solitude, de regrets, de non-dits lourds à porter, d’espoirs déçus et d’occasions manquées.
Si Banks se montre parfois impitoyable, cela ne cède en rien à la bienveillance de son regard sur ses contemporains, à son empathie profonde. Banks prend le pouls de la société américaine, avec ses failles, ses lâchetés et les maux qui la rongent. L’écriture, par sa sobriété et son mordant, rappelle celle de Raymond Carver.
Des nouvelles profondément humaines qui auscultent le destin ordinaire d’êtres ordinaires. Des nouvelles incisives, sans fioritures, émouvantes. Des nouvelles qui ne font pas grand bruit, mais qui laissent des traces, pour longtemps.
Un membre permanent de la famille, Russel Banks, trad. Pierre Furlon, Actes Sud, 2015, 244 p.
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