
À vingt-quatre heures d’une retraite forcée, Bittersmith entend bien profiter de sa dernière journée. Pourquoi ne pas s’offrir une petite gâterie servie par la serveuse du café voisin, par le chantage s’il le faut? La journée risque d’être moins paisible que prévue lorsque le shérif est appelé sur une scène de crime. À Bittersmith, c’est chose rare. Le corps de Burt Haudesert, père de famille, fermier et membre de la milice du Wyoming, est retrouvé dans sa grange, transpercé par une fourche. Sa fille Gwen a disparu. La femme d’Haudesert suspecte Gale G’Wain, le garçon de ferme orphelin, lui aussi manquant à l’appel.
Il fait un temps de chien. Le blizzard n’en finit plus de souffler. Pour le shérif, chaque instant compte. Dans cette nature impitoyable qui engloutit tout, il mettra tout en son pouvoir pour retrouver Gale et Gwen.
En faisant alterner les voix de Bittersmith, personnage aussi immonde qu’immoral, et celle de Gale, sensible à l’extrême, Clayton Lindemuth retrace les fils sinueux du drame et de ses conséquences. Le huis clos est oppressant, à la mesure des secrets que les histoires croisées des personnages révèlent peu à peu.
Dans ce bled paumé, où les plus faibles sont soumis à des hommes rudes et frustres, devant lesquels il ne reste qu’à courber l’échine, la révolte est vite étouffée. Le silence fait figure de loi. Les bribes du passé offre un tableau glacial et cinglant des personnages. Chacun a ses zones d’ombre et de lumière, à l’abri de tout manichéisme.
L’atmosphère et les tensions s’épaississent à mesure que les corps tombent dans la neige en attendant d’être dévorés par les loups. Comme quoi la neige ne saurait recouvrir tous les secrets et la pourriture endémique qui règne dans ce patelin.
Une contrée paisible et froide se révèle un polar rural d’une force implacable, à l’écriture envoûtante, à l’univers viril, sauvage. Pour Clayton Lindemuth, c’est une première incursion dans l’univers du polar. Une incursion réussie haut la main.
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