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Cora dans la spirale · Vincent Message

Rien ne me disposait à m’arrêter du côté de ce roman français. Un roman ancré dans le milieu du travail, celui des assurances, qui plus est. Une triste histoire de femme qui dégringole. Rien pour m’intéresser. Ce sont les mots de Krol qui ont titillé ma curiosité. Je sentais qu’il y avait là quelque chose pour moi.

Je te le dis: je ne m’en suis pas encore remise. Cora, c’est toi. C’est moi. C’est ma voisine essoufflée. Ma sœur éreintée. Mon ami sur le bord du précipice. Je réfléchis pas mal, ces temps-ci, à notre vie effrénée, passée à courir après le vent, souvent pris à la gorge. Ce roman arrivait à point.

Cora retourne au travail, toute guillerette, après son congé de maternité. Une restructuration dans l’entreprise rebrasse les cartes.

Faites la même chose plus vite, avec moins de moyens mais en mieux. C’est le refrain que beaucoup de gens entendaient, dans beaucoup de mondes professionnels, et qui finissait par détruire ou en tout cas par abîmer leur attachement à leur travail.

C’est le début de la spirale. L’adaptation au travail en open space, la performance, la pression, l’estime de soi vacillante, l’épuisement, la culpabilité… Pourquoi ne pas tout simplement claquer la porte? Parce qu’il y a les comptes à payer et une hypothèque sur le dos. Comme si ce n’était pas assez, une goutte d’eau fera déborder le vase et un tsunami passera sur la vie de Cora.

Cora dans la spirale: un titre simple et parfait. Car c’est bien d’une spirale dont il s’agit. D’une pente descendante. Le début du roman plonge dans le quotidien le plus ordinaire. Pour toi que ça peut lasser, il faut t’accrocher un peu avant que ça parte en grand. Et, il y a, d’entrée de jeu, ces questions taraudantes, de celles qui empoignent son lecteur: qui est Mathias, celui qui raconte? Qu’est-ce qui a bien pu se passer de si terrible, le vendredi 8 juin? Les intrigues secondaires auraient pu être de trop, mais non. Bon, il y en a une que j’ai trouvé beurrée épais (une histoire d’amour entre femmes), mais une autre m’a particulièrement touchée (une rencontre avec un Malien sans-papiers), alors c’est quitte.

Ce roman pourrait en déprimer plus d’un. Pour moi, il a eu l’effet inverse: celui d’un coup de fouet. Comme une sorte de mise en garde. Ce roman aux bords tranchants, aussi honnête que marquant, est l’un de mes coups de cœur de l’an dernier. Un roman bouleversant sur les bonne fourmis-travailleuses qui se mettent à boiter. Rarement l’expression «métro, boulot, dodo» aura eu un goût aussi âpre.

Désormais ce qu’elle arrache à la grisaille des jours, à condition d’être bien organisée, constamment efficace, c’est un dîner sympa chez des amis, ou une week-end à la campagne vraiment très agréable, d’autant qu’il faut dire qu’on a eu une sacrée chance avec le temps. Elle pourrait redécouvrir l’intensité en compagnie de Manon, c’est pour cela entre autres qu’on fait des enfants, et il y en a, c’est indéniable, quand Manon marche vers elle au parc, et que Cora recule de quelques mètres, et que Manon crie maman, maman, et rit de plus en plus, s’étouffe dans la force de son rire et se jette dans ses bras. Mais cela ne lui suffit pas: elle voudrait éprouver les choses à la première personne, pas les vivre par procuration. Être bouleversée par un morceau de musique entendu un soir de concert, par le visage d’un inconnu, par une première fois. Est-ce que c’est d’abord l’habitude qui use, émousse, ternit, ou est-ce que ce sont plutôt la fatigue et le stress? Si elle menait une vie plus douce, est-ce qu’elle ressentirait de nouveau les événements de joie, ou est-ce que ce pouvoir est en train de la quitter à mesure que ça jeunesse s’éloigne?

Pas encore convaincu? Va lire le billet de Krol.

Cora dans la spirale, Vincent Message, Seuil, 2019, 457 p.

Rating: 5 out of 5.

© unsplash | Kate Sade

25 comments

  1. Le billet de la même personne m'a aussi convaincue alors que, comme toi, le milieu ne m'attire pas du tout. Mais il a rejoint ma pile (numérique because plus de place chez moi) depuis!

  2. Monumental travail de la part de Vincent Message qui m'avait déjà bluffée avec Défaite des maîtres et possesseurs et fait mieux que confirmer ici. Pour moi aussi, l'un des romans marquants de 2019.

  3. Beaucoup aimé Défaite des Maîtres et Possesseurs, mais celui-ci, de par son thème, me fait peur ! en ce moment, j'ai plutôt envie de romans qui me fassent m'évader et non d'atmosphères plombantes… mais je le garde en mémoire pour plus tard.

  4. J'étais déjà tentée avant ton billet mais là, je ne vais pas pouvoir passer à côté c'est certain!

  5. je savais bien qu'il serait tout en haut de ton bilan – si le sujet ne m'attire pas, ayant une collègue qui est en plein tsunami, je me sens concernée et puis je suis curieuse de découvrir son écriture – je note le bémol (beurré – sans doute du beurre doux.. beurk ! vive le beurre demi-sel !) et je l'ai réservé à la bibliothèque

  6. Ravie de l'apprendre. \ »Défaite des maîtres et possesseurs\ » vient de rejoindre ma pal.C'est d'autant plus remarquable qu'un homme parvienne à si bien se glisser dans la peau d'une femme…

  7. J'avoue que pour le besoin d'évasion, on repassera. Je compte bien plonger quant à moi dans \ »Défaite des Maîtres et Possesseurs\ ».

  8. Écoute… je ne me suis pas encore remise. Et ça fait plus d'un mois. J'ai abandonné trois romans après. Ça en devenait inquiétant!

  9. Alors là, je suis ravie ! Que tu aies eu envie de lire un billet suite à un article de ma part, je peux comprendre… 😉 mais que tu aies aimé, que tu en aies été chamboulée, alors, là, j'en tombe par terre ! Comme quoi, parfois on pense qu'un livre ne nous convient pas et paf… on adore !Moi depuis Suiza, j'ai lu deux romans, que je n'ai pas aimés plus que ça, le premier, moyen, mais alors, le suivant, il m'a carrément agacée ! Bientôt la chronique du livre multiprimé que je n'ai pas aimé…Ca tient en haleine, hein ?Et puis après il va falloir attendre longtemps, parce que tous les livres me tombent des mains, je commence, j'en lis de 10 à 50 pages et j'efface de ma liseuse. J'en ai ras le bol !

  10. Et je ne te remercierai jamais assez pour cette découverte. Je serais passée à côté si ce n'était de ton billet. Je te fais confiance les yeux fermés pour \ »Suiza\ », que j'ai commandé. Au prix qu'il coûte, c'est mieux de valoir la peine (c'est juste pour te mettre un peu de pression ;)).Mais là, je m'en peux pu de savoir quel est ce livre multiprimé que tu n'as pas aimé. J'aime les moutons noirs! Ah non, t'es dans un trou noir, un coup de mou… C'est l'effet que \ »Cora\ » m'a fait. J'espère que LE livre qui te remettra en selle est pour bientôt…

  11. La structure de ce roman me fait penser à Raisons obscures je me trompe? mais tu lui as mis le max d'étoiles à celui-ci ! Le sujet est intéressant en tout cas, si je croise sa route (à la bibliothèque?) je m'y attarderai !

  12. C'est vrai que par les structures des deux romans ont une certaine similitude. J'ai mis le max d'étoiles, oui. D'abord pour le style, que je trouvais plus peaufiné, élaboré; puis parce que le sujet m'est complètement rentré dedans. Et pour la fin, remplie de lumière.

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