Ian McGuire a dépoussiéré le passé. Il a chaussé ses bottes d’aventurier pour broder une histoire macabre qui tient à la fois du roman d’aventure et du thriller historique. La force implacable de son roman tient dans son rythme soutenu: celui du marin entêté, qui fait face à la barbarie des hommes et à la nature impitoyable.
Étalée sur le pont, monticule de fourrure ensanglantée, l’ourse fume comme la pièce de résistance d’un banquet gargantuesque à peine imaginable. Brownlee renverse le tonneau, d’où l’ourson s’évade, ses griffes crissant sur le pont de bois. Après un moment où il tourne, paniqué, désorienté (les hommes grimpent en riant dans les gréements pour lui échapper), il voit le corps de sa mère et court vers elle. Il pousse son flanc avec son museau et se met à lécher vainement la fourrure souillée de sang. Brownlee regarde. L’ourson gémit, renifle, puis se niche à l’abri du cadavre maternel, flanc contre flanc.
Je pourrais dire que Ian McGuire beurre épais sur la violence et la brutalité. Mais ce déchaînement de violence s’inscrit dans un contexte. La chasse dans l’Arctique, à l’époque, ne devait pas être une sortie à Disneyland. Idem pour la vie à bord d’un baleinier peuplé d’hommes. Les descriptions sont saisissantes et… peu ragoûtantes. La crasse dégouline, l’entre-jambe ne sent pas le parfum: la puanteur coupe le souffle. Certaines scènes m’ont retourné l’estomac, voire amené le coeur au bord des lèvres.
Les personnages sont bruts, dessinés à gros traits. Mais ça fonctionne. Il y a les bons, les méchants et les très méchants. Il n’y a pas de sauveurs ni de héros. C’est un portrait de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus crasse. Sauver sa peau avant tout et à n’importe quel prix.
Ian McGuire dresse le portrait réaliste d’une époque et d’un métier en voie de s’éteindre. L’ère industrielle est définitivement en train de naître. Le style de Ian McGuire est simple et efficace, sans grand effet de style, mais chargé d’une rare puissante d’évocation, rendant l’intrigue de bout en bout tendue, haletante.
Sélectionné en 2016 sur la longlist du Man Booker Prize, Dans les eaux du Grand Nord se révèle une expérience de lecture palpitante et brutale, remplie de testostérone. Nature sensible, prends tes jambes à ton cou et cours!
Dans les eaux du Grand Nord, Ian McGuire, trad. Laurent Bury, 10-18, 2017, 312 p.
J'ai celui-là (en anglais) – bon Au Loin était aussi bien ragoutant à certains moments ! Hâte de lire ton avis sur ta lecture (enfin tu lis de la poésie maintenant..) moi je suis en bonne compagnie avec Boyle !
Terminé il y a peu de temps et encore chamboulée par cette histoire où la violence prend énormément de place. C'est la raison pour laquelle j'ai de la difficulté à bien écrire mon billet.
Toujours très intriguée. J'hésite!
Le brutal et la testostérone ça me va alors banco !
J'attends \ »Au loin\ ». D'ailleurs, je vais reprendre le temps perdu et courir lire ton billet.Je lis un recueil de poésie. Excellent. Mais plutôt qu'en lire d'autres, je vais plutôt relire celui-ci!Ne me parle pas de Boyle!!!
Oui, la violence prend énormément de place. Mais cette fois, elle ne m'est pas apparue gratuite. En somme, je n'aurais jamais voulu me retrouver sur ce bateau!!!
Suis ton instinct! Si tu ne le sens pas, pas la peine de forcer!
Là, je te retrouve!
J'avais très envie de le lire quand il est paru, et puis j'ai zappé ! tu me le remets en mémoire !!
Il m'attend… je le lirais un jour d'hiver avec tempête bretonne au carreau pour me mettre dans l'ambiance ;-)Ton billet donne bien envie…
Bien aimé cette lecture aussi! J'avais hâte de lire ton avis dessus. C'est brutal mais c'est bien!
Ça pourrait être un bon titre pour te remettre en selle!
Ah oui, tu te prépare une super expérience de lecture, toi!
Brutal, en effet. Reste que la violence ne m'a jamais semblé gratuite et c'est ce que j'ai le plus apprécié. C'était vraiment quelque chose, cette époque épique!
J'espère… 😉
Rebonsoir Marie-Claude, un très bon roman violent avec des personnages hors du commun mais j'ai un pincement au coeur pour le triste destin de l'ourson et sa maman. Bonne soirée.
Je ris (jaune) en lisant ton commentaire. Avec du recul, c'est l'image la marquante et la plus forte que je garde de ce roman. Pauvre p'tit ourson…