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Des hommes en devenir · Bruce Machart

C’est triste à dire, mais il arrive que des chiens se fassent écraser, parfois. Prenez une ville telle que Houston, quatre millions d’habitants et toutes ces voitures, forcément, ça arrive de temps en temps, mais si vous êtes tel que j’étais avant, ça ne vous empêche pas de dormir. Quoi qu’il en soit, avant la fin de cette histoire, il y aura un chien de moins sur cette terre, alors si jamais vous n’êtes pas comme moi j’étais, vous voilà prévenu.

Un paragraphe et c’en était fait: j’étais harponnée. Il y a longtemps que je n’avais pas lu un recueil de nouvelles de cette trempe, aussi puissant et envoûtant.

La vie est rude à Houston. Dans la chaleur suffocante, les hommes triment durs, tentent de se dépatouiller avec leur quotidien, de vivre avec la mort qui a frappé ou qui ne cesse de rôder. Il en faut si peu pour que le sol s’effrite, pour que la vie bascule. La mort est partout dans ces nouvelles. Elle occupe le devant de la scène ou se tapit dans un recoin. La mort d’un fils dans «Le dernier à être resté en Arkansas», celle d’un père dans «On ne parle pas comme ça au Texas». L’assassinat d’une jeune mère dans«Parce qu’il ne peut pas ne pas se souvenir», la mort d’un bébé dans le ventre de sa mère dans «La seule chose agréable que j’ai entendue».

Bruce Machart pousse ses personnages dans leurs ultimes retranchements. Certains étouffent sous le poids de la culpabilité, paralysés par l’impression de ne pas avoir été à la hauteur. D’autres se retrouvent impuissants face au mauvais tour que leur a joué le destin. Peu importe le nombre de litres de bières descendues, ils portent tous le poids de ce qu’ils ont perdu. Les mauvais souvenirs continueront de les hanter encore longtemps.

Les nouvelles qui composent Des hommes en devenir dégagent une telle intensité qu’elles pourraient constituer l’ébauche d’autant de romans. Bruce Machart ne fait pas dans la dentelle. Ses images, portées par une écriture sobre et puissante, sont fortes, palpables. L’éblouissement surgit au détour d’une phrase, au milieu d’une page, d’un bout à l’autre du recueil. Dix nouvelles de vies écorchées, ancrées solidement dans le réel. Des nouvelles saisissantes d’humanité.

Bruce Machart excelle à créer des atmosphères envoûtantes, à brosser des personnages complexes avec une économie de mots qui force l’admiration. Une révélation, rien de moins. Bruce Machart vient de se hisser dans le haut de ma liste d’auteurs chouchous. Maintenant, je m’attends au même bouleversement avec son roman Le sillage de l’oubli. La barre est haute…

Des hommes en devenir, Bruce Machart, trad. François Happe, Gallmeister, 2014, 200 p.

Rating: 5 out of 5.

© unsplash | Johannes Roth

18 comments

  1. Un bijou ce recueil de nouvelles. Je n'ai rien lu dans ce genre qui lui arivait à la cheville depuis sa parution, ça commence donc à dater !

  2. ravie de voir que comme moi tu as vu ici l'immense talent de cet écrivain, que j'ai élu par deux fois en premier pour mon bilan annuel (la nouvelle avec la petite fille..) – j'attends de te lire pour Le sillage de l'oubli également ! bref oui du grand très grand ce M.MACHART <3 <3

  3. Le sillage de l'oubli m'attend depuis une éternité sur mes étagères… Je me demande encore ce que j'attends pour découvrir cet auteur !

  4. Alors moi j'adore les nouvelles et les âmes cabossées. Si c'est écrit en plus par un auteur que tu trouves génial…

  5. \ »Le sillage de l'oubli\ » m'attend aussi. Maintenant, j'ai très envie de le commencer. Mais je dois me retenir encore un peu…

  6. Rarement un recueil est aussi génial du début à la fin. Aucune nouvelle n'est moins marquante que l'autre. Du grand art, que je te conseille fortement.

  7. Alors là, ça me fait plaisir, ça! Les nouvelles et les âmes cabossées sont aussi ma tasse de thé. Tu te régaleras, promis, juré craché.

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