Fin des années 90, en banlieue parisienne. La classe moyenne, avec un père sur le bord de partir, puis parti, une mère prenant racine dans le divan pour cause de trop grande tristesse, s’envoyant des cachets pour « calmer les symptômes de la désillusion », et une petite fratrie laissée à elle-même.
La fille qui parle tout du long, celle qui porte le chapeau de la narratrice, rêve à une vie de rêve. Des rêves de grandeur, qui tiennent quand même la route. Elle se voit loin. Pour commencer, il lui faut de l’argent, plus que ce que sa mère lui donne. Ce n’est pas avec quelques francs par semaine qu’elle pourra s’acheter un sac Viahero, des CD et du maquillage. Elle entre dans un réseau bien organisé. Contre quelques pipes et un peu de vol à l’étalage, elle se procure ce dont elle a envie. Entre l’école et les passes, elle s’inquiète pour sa mère et fréquente du monde pas trop fréquentable. C’est sa vie, sans paillettes. Le premier roman de Samolé Kiner m’a fait une très forte impression. Il met en lumière, de façon crue, franche, le désœuvrement et les tourments de l’adolescence, L’intrigue n’est jamais pressée d’arriver là où elle va. Même qu’elle est plutôt impalpable. L’assemblage de situations, de détails et d’images fortes fait contrepoids.
Une histoire déjà lue? Peut-être. Mais jamais dans la langue et les images de Salomé Kiner. Elle appelle un chat, un chat, pas de faux-fuyants ni de détours. C’est à mes yeux une grande qualité. Elle ausculte ce que plusieurs préfèrent ne pas voir. Trop dérangeant. Loin de la fiction consolatrice, on a plutôt affaire au miroir d’une âpre réalité. Et c’est parfois nécessaire d’y faire face.
Mon problème, c’était les autres. Ça a toujours été les autres. Leurs yeux cireux de poissons morts sur vos mœurs particulières, la vénération des vies droites et la religion cathodique. Leurs pères, premiers sur les courts de tennis, leurs mères, toutes assistantes de direction. Leurs virées à Auchan, les allées de gravier brossé, le papier peint relief, les casseroles en cuivre assorties, les doubles bols olives-noyaux. Et la moquette dans les chambres à coucher. Chez moi, j’avais du lino gris chiné. C’est plus facile à nettoyer, disait ma mère. Tu m’étonnes : même quand c’est propre, c’est sale.
Ma mère secouait la tête. Je comprenais qu’elle soit triste, son avenir tout froissé. Je l’entendais se plaindre au téléphone. Qu’est-ce que la vie avait à lui offrir? Quatre crises d’adolescence à l’issue de desquelles ses enfants quitteraient la maison pour ne la contacter qu’en cas de problèmes financiers? Sentimentalement, rencontrer un type divorcé comme elle, dégoûté de l’amour comme elle, pour faire des balades en forêts et des séjours organisés sur les traces de l’Empire romain? Se taper, en plus de ses propres enfants, la progéniture hystérique d’une femme qui la détestera, le voir loucher sur des filles plus jeunes qu’elle, s’habituer à une nouvelle haleine? Finir par avoir cinquante ans, parler plus souvent du passé que d’avenir, enterrer un à un ses amis, ses parents et ses rêves?
Grande couronne, Samolé Kiner, Christian Bourgois, 2021, 288 p.
© unsplash | Eric Ward
Le sujet et l’époque m’interpellent mais ton nombre d’étoiles me refroidit un peu.
Avec le recul, j’aurais pu en mettre 4!
Mmm, je passe aussi. Le « déjà lu » oui, et puis je viens d’alourdir ma pile de quelques sorties poche que j’attendais depuis longtemps…
Il m’attend… les histoires d’ados j’aime bien. Mais je ne te sens qu’à moitié emballée. Bon je verrai. J’ai bien envie de découvrir cette nouvelle plume.
Moi aussi, j’aime beaucoup les histoires d’ados. Encore faut-il que la voix (ou les voix) sonne juste. Ce qui est le cas ici.
C’est un premier roman très réussi.
Et bien comme les personnes précédentes, je passe, les histoires d’ados, je n’en ai pas trop envie en ce moment… Et puis tu as l’air d’apprécier sans plus…
Avec le recul, j’ai apprécié et plus, mais ce n’est pas un coup de coeur. C’est un excellent premier roman.
C’est une auteure que je suivrai de près…
Le pitch me dit moyen, mais j’aime vraiment bien les citations que tu partages. La deuxième surtout me parle. J’irai le feuilleter un peu en librairie pour me faire une idée plus précise de si j’accroche ou pas 🙂 Merci !
Bon feuilletage, miss!
Je suis partagée! Il m’attire mais comme Mumu j’aime aussi un langage moins cru et plus « travaillé ».
C’est plutôt cru, en effet. Je suis persuadée qu’il ne te plairait pas trop…
Ce genre ne roman n’est pas trop ta tasse de thé et c’est très bien ainsi! Il en faut pout tous les goûts!
Heureusement sinon quelle uniformité 🙂
Moi aussi, j’ai beaucoup aimé. J’ai trouvé une nouvelle voix assurée et pleine d’aplomb. Loin du trash, avec plusieurs belles images.
Même si je fais plus la fine bouche, je suis toujours friande de ce genre de livre. Juste plus exigeante sur le style et la véracité de la voix.
Bon c’est déprimant tout ça ! Je passe mon tour, tu t’en doutais. Même si ces deux citations me disent qu’elle écrit très bien. Si elle change de sujet, pourquoi pas !
Je le sais… ce n’est pas ta tasse de thé. Par contre, attends de lire mon prochain billet. Celui-là, il faudra absolument que tu le lises!
Je l’ai beaucoup aimé celui-ci !
Je vais dans le même sens que toi. Même si le sujet ne sort pas du lot, la façon dont il est amené et traité est parfaitement réussi, je trouve.