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Kaye Gibbons en deux romans

Je ne connaissais Kaye Gibbons que de nom. C’est de fil en aiguilles que je suis arrivée jusqu’à elle. Lorsque La femme vertueuse est arrivée dans ma boîte aux lettres, j’ai tout de suite lu la première page. Je n’ai pas pu m’arrêter.

Le roman s’ouvre sur Jack Ernest Stockes, un ouvrier de ferme dans la soixantaine. Sa femme Ruby est morte d’un cancer du poumon quatre mois plus tôt. Ça se poursuit, le chapitre suivant, avec Ruby, pas encore morte, mais sur la fin. Elle prépare, pour son mari, des repas qu’elle met au congélateur, histoire qu’il ne meurt pas de faim lorsqu’elle ne sera plus là pour prendre soin de lui. Elle fait le point sur sa vie. Une vie pas si mal, au final, depuis que Jack l’aime. Chacun de leur côté, ils débobinent le fil de leurs souvenirs et des quelques regrets qu’ils ont, dont celui de ne jamais avoir eu d’enfant. Autour de ce couple soudé serré gravitent June, la fille qu’ils auraient aimé avoir, et ses parents, Rud, l’ami de toujours, et sa détestable femme.

Cette histoire d’amour improbable m’a énormément touchée. Jack et Ruby se sont trouvés et aimés. Leurs vingt ans d’écart ne pèsent jamais lourd dans leur balance. L’alternance des voix de Jack, dans le présent, et de Ruby, dans le passé, apporte toute la richesse à ce roman. Le Vieux Sud rural, avec ses tensions raciales et sa mesquinerie, est décrit avec une grande justesse. Une fois terminée ma lecture, je me suis dit: «Bon, c’était bien sympathique tout ça, mais sans plus.» Des jours ont passé et v’la que me reviennent, en permanence, des petits bouts de douceur et de tendresse. Des romans d’amour aussi bienveillants, il en existe bien trop peu. Je repense à ce roman et des bouffées de tendresse me sortent par les oreilles. L’ombre de Kent Haruf plane au-dessus de cet univers. Ça ne peut que me réjouir!

On ne peut atteindre la paix de l’esprit que si l’on fait l’effort de comprendre les autres. Vous ne pensez pas que j’ai raison?

Une femme vertueuse, Kaye Gibbons, trad. Marie-Claire Pasquier, Rivages, 1989, 168 p.

Rating: 4 out of 5.

Tant qu’à y être, j’ai poursuivi avec Ellen Foster, le premier roman de Kaye Gibbons, et aussi son plus connu. L’incipit m’a agrippé comme un hameçon.

Quand j’étais petite, j’inventais des façons de tuer mon papa. Je m’en racontais une et puis une autre, et je l’essayais dans ma tête jusqu’à ce que ça devienne facile.

C’est l’histoire d’une gamine qui, vraiment, n’a pas de chance. Elle tente de grandir entre sa mère dépressive, poussée au suicide, et son père alcoolique, qui casse sa pipe assez vite. Ellen est ballotée à gauche et à droite avec sa boîte de carton, jusqu’à trouver une famille d’accueil aimante. Elle trouvera en Laura sa nouvelle maman.

Il est difficile de ne pas tomber en amour avec Ellen. Cette gamine fait tout son possible pour que son âme ne rétrécisse pas et que sa joie de vivre ne s’éteigne pas. L’évolution de son amitié avec Starletta, l’amie noire, rend bien compte à quel point le racisme ambiant est dur à décrasser. Kaye Gibbons a su éviter les complaisances de la noirceur. Le ton tragicomique et souvent désopilant m’a enchantée. Il y a quelque chose de magnifique dans sa plume, qui, par la simplicité du verbe, vient poser un regard d’une dangereuse lucidité sur une société sclérosée.

Ellen Foster, Kaye Gibbons, trad. Marie-Claire Pasquier, Bourgois, 2006 [1987], 183 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Ozgu Ozden

15 comments

  1. J’ai acheté Ellen Foster et je te l’ai montré lors de mon immense tri, c’est à que tu as trouvé le nom ? voleuse LOL Bon ravie que tu aies aimé du coup et puis dès que je vois le nom de Kent Haruf, mon petit coeur bat la chamade !
    Contente que tu sois revenue dans un rythme normal après ton pavé ! Va falloir se faire une séance, je ne vois plus ce que tu lis en ce moment !

    1. Ça doit être ça, pour Ellen Foster. Mais je me demande aussi si je n’ai pas vu passer ce titre dans les fameuses Lionnes. Enfin, l’important, c’est que c’était savoureux!

      Oui, il faut se faire une séance ce week-end. Celui-qui vient de passer, j’ai eu l’entrepreneur et sa craque de fesse sous les yeux samedi et dimanche. Enfin, j’ai une cuisine, une vraie de vraie! Ne manque que quelques bricoles et je pourrais finalement jouer les cheffe!

  2. Je ne suis pas amatrice des histoires d’amour mais si des bouffées de tendresse te sortent par les oreilles et qu’en plus tu mentionnes Kent Haruf, je vais y réfléchir à deux fois…

    En fait, c’est déjà tout réfléchi: j’ai noté les deux.

    1. J’ai plutôt tendant à fuir les histoires d’amour. Il m’en faut beaucoup pour être épatée et ne pas tourner les yeux au ciel. Ici, le ton était juste et j’ai été emportée.

      Au final, j’ai tendance à dire que c’est une auteure à découvrir. D’en lire un des deux, ça donne une bonne idée de l’ensemble! J’ai appris, entre les branches, que l’histoire d’Ellen Foster était en partie inspirée de sa vie. Ça donne un brin froid dans le dos…

  3. Kent Haruf, oui, mais je l’ai préféré dans Le chant des plaines que dans Nos âmes, la nuit (cette histoire d’amour m’avait un poil agacée)… alors du coup, ben, j’hésite, est-ce que ça me plairait ? Je ne connais pas du tout l’auteure. En revanche l’incipit du second me fait bien sourire !

    1. Je te l’accorde: il n’y a aucune mesure entre Le chant des plaines (ainsi que Les Gens de Holt County) et Nos âmes, la nuit. Ce dernier étant un brin plus «mièvre». N’empêche, ça restait du Haruf et, n’est pas Haruf qui veut!

      Pour Kate Gibbons, j’ai été soufflé, même si ce n’est pas un total coup de coeur. La femme vertueuse est plus près, à mon sens, du Chant des plaines que de Nos âmes, la nuit. Aucune mièvrerie, ici! Pour le reste, à toi de voir et de juger.

  4. Pour Kent, je te recommande sans hésiter Le chant des plaines. Après, si tu t’y sens bien, sa suite: Les Gens de Holt County.

    Pour Kay Gibbons, à toi de voir. Les deux romans nous plongent dans des univers tellement différents… mais tous les deux ont des personnages féminins très beaux et très forts.

    Oui, un classique américain. Un vrai de vrai! Plus de 700 pages. Je le dévore! Indice: un garçon orphelin…

    1. Merci beaucoup pour la recommandation, je viens d’aller lire la quatrième et j’aime beaucoup. Je le note dans mon pense-bête !

      Le premier Kay Gibbons dont tu as parlé m’a séduit. Je l’ai noté.

      Mmmmmh. Tu me dis garçon orphelin et classique américain, j’ai pensé direct à Huckleberry Finn et à L’oeuvre de dieu la part du diable de John Irving (qui doit sans doute être devenu un classique, namého), mais ils ne doivent pas être aussi gros. Un Steinbeck ?
      Bonne lecture en tous cas ! 🙂

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