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L’accident de chasse · Crime · Ice Haven

De L’accident de chasse en passant par Crime, j’ai tournicoté autour de l’affaire Leopold et Loeb. Tu la connais, cette affaire? Pour faire une histoire courte: Nathan Leopold et Richard Loeb sont les criminels les plus connus de l’histoire de Chicago. Ces jeunes hommes issus de familles riches à craquer, fraîchement sortis de l’adolescence, ont enlevé et sauvagement assassiné Bobby Franks, quatorze ans. Ils ont demandé une rançon de 10 000$. Pourquoi? Comme ça. Juste comme ça. Ils voulaient réaliser un crime parfait. Ils se voulaient des surhommes, au sens nietzschéen du terme. Au-dessus des lois. Mais le crime parfait, on sait que ça n’existe pas. Il y a eu une roche dans le moteur. A été pris, qui croyait prendre. Ils ont plaidé coupable. Le célèbre avocat Clemence Darrow a été mandaté pour défendre les deux étudiants. Il a réussi à convaincre le juge de les condamner à la prison à vie plutôt qu’à la peine de mort. Loeb a été tué en prison. Leopold, lui, a été libéré sur parole en 1958.

L’accident de chasse est inspiré de faits véridiques. Un livre imposant, sombre, tout en noir et blanc. En 1959, au coeur de Little Italy à Chicago, Charlie Rizzo débarque, après la mort de sa mère, chez son père Matt. Son père poète et aveugle. Père et fils se découvrent, s’apprivoisent. Avec trois poils de barbe au menton, Charlie commence à fréquenter des gens peu fréquentables. Le jour où la police toque à la porte de l’appartement, Matt décide de révéler à son fils la véritable raison de sa cécité. Comment? Il n’est pas devenu aveugle suite à un accident de chasse? Non. Il s’est retrouvé en prison à la suite d’un mauvais coup qui a mal tourné. Il est aveugle et il veut mourir. Avec qui Matt partage-t-il sa cellule? Nul autre que Nathan Leopold ! LE Nathan Leopold.  

Pas la peine de t’en dévoiler davantage. Je te dirais juste que c’est un roman graphique d’une force remarquable, exceptionnelle. C’est une ode à la rédemption, au pardon, à l’amitié et au pouvoir de la littérature. J’ai eu un peu de mal avec les doubles plages couvertes de caractères braille et reprenant des extraits des écrits de Matt. Mais ça pèse pas lourd dans ma balance. Ne te laisse pas rebuter par le dessin crayonné, hachuré. Il est en parfaite adéquation avec l’ambiance suffocante et anxiogène. C’est le premier roman graphique publié chez Sonatine. Il y a du talent, ici. Du grand talent. 

L’accident de chasse, David L. Carlson (scénario) et Landis Blair (dessins), trad. Julie Sibony, Sonatine, 2020, 472 p.

Rating: 4 out of 5.

Après L’accident de chasse, j’ai plongé dans Crime de Meyer Levin, publié en 1956.

En 1924, Meyer Levin fréquente l’Université de Chicago, celle-là même qui accueille sur ses bancs Leopold et Loeb. Pour payer ses études, il écrit des articles pour le Chicago Daily News. Il participe à l’enquête sur la disparition du jeune Paulie Kessler. Connaissant les deux accusés, il était bien placé pour écrire sur l’affaire. Ça, c’est dans la vraie vie. Trente ans après les faits, Meyer Levin s’est mis à écrire sur l’affaire Leopold et Loeb. Dans la fiction, Meyer devient Sid Silver, Nathan devient Judd Stener et Richard, Artie Straus. Sid écrit pour le Globe.

Crime est divisé en deux parties: « Le crime du siècle » d’abord, puis « Le procès du siècle », les deux parties étant aussi passionnantes l’une que l’autre. Ce procès a marqué l’Histoire: il a donné lieu à l’un des plus célèbres et vibrants plaidoyers contre la peine de mort et il est aussi l’un des premiers à recourir à la psychanalyse pour désosser la personnalité des accusés.

Tout est passionnant dans ce roman. Tout. C’est d’une grande finesse psychologique. Par la précision du détail et la simplicité du verbe, le style de Meyer Levin pose un regard dangereusement lucide sur la société américaine de l’époque. C’est le genre de roman qui agrippe son lecteur, qu’on lit en se rongeant les ongles. À ranger entre De sang-froid et Crime et châtiment. Rien de moins. Ça te donne une idée!

Pour des êtres de notre espèce, tu le sais, l’erreur est pire que le crime. Je vais donc faire un effort pour t’expliquer ma conception de la philosophie nietzschéenne en ce qui te concerne: le surhomme est exempté des lois ordinaires qui gouvernent le commun des hommes. Rien de ce qu’il peut faire ne l’engage, à l’exception cependant du seul crime qu’il peut commettre: faire une erreur.

Crime, Meyer Levin, trad. Magedelaine Paz, Libretto, 2011, 384 p.

Rating: 5 out of 5.

Daniel Clowes a évoqué l’affaire Leopold et Loeb sur une double page de Ice Haven.

Dans Ice Haven, on entre sur la pointe des pieds dans les intérieurs calfeutrés d’une Amérique qui ne parvient plus à cacher sa misère existentielle. La disparition d’un petit garçon sert de prétexte pour présenter des vies qui se frôlent sans jamais véritablement se toucher. Les petites séquences sans lien apparent défilent. Le malaise est omniprésent. On rit jaune. Armé d’une ironie grinçante et d’un cynisme terrifiant, Daniel Clowes décape le vernis de la société américaine. Le résultat est à la fois troublant et réjouissant.

Ice Haven, Daniel Clowes, Cornélius, 2006, 96 p.

Rating: 3 out of 5.

30 comments

  1. Trois lecture fascinantes!!!
    Je ne connaissais pas du tout cette histoire et tu me rends curieuse. j’ai déjà croisé L’accident de chasse et elle me fait de l’oeil, Moka en parle justement sur son blog aujourd’hui! Les grands esprits se rencontrent on dirait!

    1. Comme quoi, de fil en aiguille, je me suis délectée trois fois plutôt qu’une. Au final, un crime aussi gratuit est effarant.

      Je file de ce pas lire le billet de Moka.

  2. Je ne connaissais pas du tout l’histoire de Leopold et Loeb, merci d’avoir éclairé ma lanterne avec cet article passionnant!
    Je craquerais bien pour Ice Haven, bien que tu lui donnes moins d’étoiles qu’aux autres il semble original.

    1. Moins d’étoiles pour Ice Haven, certes. Parce que plus disparate dans la forme. Mais pour le contenu et le malaise qu’il génère, c’est top! Reste que ça m’a donné envie de découvrir encore plus Daniel Clowes. J’ai commande Ghost World, son roman graphique iconique. À suivre…

  3. C’est toujours très intéressant de confronter plusieurs lectures sur le même thème, d’autant plus quand elles sont aussi différentes que les tiennes! J’avais déjà noté L’accident de chasse et tu confirmes que j’ai bien fait. Il ne me reste plus qu’à le trouver à la BM…

    1. J’ai adoré l’expérience de confronter les lectures et le cas Leopold et Loeb s’y prêtait bien.

      L’accident de chasse est sublime et d’un richesse impressionnante. Je te souhaite cette lecture, BM ou pas.

  4. Très bonne idée ce billet! J’ignorais tout de cette affaire mais cela semble passionnant à découvrir. L’accident de chasse me tente énormément depuis sa parution et je retiens Crime au vu de ton enthousiasme.

    1. J’ai trouvé que de poursuivre ma découverte du cas Leopold et Loeb, après le sublime Accident de chasse, était une excellente idée. J’ai adoré ces lectures! Je te les recommande évidemment!

  5. Je note de suite « Crime » (avec une conclusion pareil, comment faire autrement ?!). « L’accident de chasse » est sur mes étagères. je lis rarement des romans graphiques, mais depuis quelques mois, je m’aventure un peu dans le genre (mais sans faire de billet, je ne me sens pas vraiment inspirée, et puis cela me fait des « lectures repos », sans aucune contrainte !)..

    1. Crime est tout simplement exceptionnel. Un classique (ce n’est pas moi qui le dit) mal connu.

      Tu veux bien me dire comment L’accident de chasse s’est retrouvé sur tes étagères?

            1. Oh! Tu ne lésines pas avec la puck!
              Moi qui n’aime pas les polars (d’ailleurs, je ne serais pas prête à dire que c’en est un), je l’ai lu sur le bout de ma chaise, haletante et totalement en apnée. C’est passionnant!

  6. J’ai commencé L’accident de chasse ce matin, et je suis déjà sous le charme du dessin, et du traitement de l’histoire… Je t’ai lu en diagonale. En revanche, je t’ai lu plus sérieusement sur Crime et je regrette… j’ai fait une commande de livres avant d’aller sur ton blog. Erreur fatale !

    1. Je me réponds… J’ai fini L’accident de chasse et j’ai adoré, même si je n’ai pas tout compris, c’est un roman graphique extrêmement dense, je n’en parlerai probablement pas sur mon blog tellement j’en serai incapable… Mais je suis admirative…

      1. Je te rassure, je n’ai pas tout compris, moi non plus, de L’accident de chasse. Oui, c’est extrêmement dense.

        J’ai eu ben de la misère à en parler! Je n’ai à peu près rien écrit, d’ailleurs. Résumer le tout se réveille un défi trop ambitieux et, quant à moi, inutile. C’est le genre d’oeuvre qui passe ou qui casse. Il faut se laisser imprégner!

    2. Il n’est heureusement jamais trop tard pour réparer ses erreurs!
      J’espère que tu continues de te plaire dans L’accident de chasse…

  7. Je ne connaissais pas non plus l’affaire et je note tout de suite les deux premiers titres (le troisième me dit moins, je ne sais pas trop pourquoi …) N’ayant de baguette magique comme Ingannmic, je vais devoir attendre un passage en librairie pour qu’ils arrivent sur mes étagères ! Et comme je suis en train de faire la tournée des blogs, le panier se remplit vite ce matin.

    1. Tu fais bien de les noter! Les deux premiers sont les meilleurs.

      Attention au débordement du panier! C’est dangereux!

      Je l’envie, moi, la baguette d’Ingannmic!

  8. J’ai prévu de lire l’accident de chasse, je le remets en haut de mes futurs achats, ton avis est très persuasif.

    Et quelle découverte que ce roman, « Crime » ! Je le note immédiatement pour une future lecture.

    Merci pour ce billet de lectures croisées sur un même thème, c’est vraiment très intéressant et inspirant.

    1. Ce n’est pas fréquent, dans mes lectures habituelles, de pouvoir faire un billet de lectures croisées. Mais là, l’occasion s’y prêtait et elle était trop belle (et passionnante, surtout)!

  9. J’ai découvert cette histoire avec la BD que j’ai trouvée vraiment brillante. Une très belle lecture qui m’a séduite du texte au trait. J’aime quand le 9e Art me touche comme ça !

    1. Comme toi, j’ai découvert cette histoire avec la BD. J’ai été épaté par la densité et la richesse de l’oeuvre, tant au niveau du trait que des mots. C’est du grand art.

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