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Le K ne se prononce pas · Souvankham Thammavongsa

Quand mon père a reçu son premier chèque de paie, il a voulu acheter quelque chose qui n’était pas de première nécessité. Nous vivions dans un nouveau pays. Il nous était permis de rêver de posséder quelque chose de luxueux. Ma mère a suggéré une voiture pour qu’il n’ait pas à prendre le bus jusqu’au travail, mais c’était au-dessus de nos moyens. Ils ont pensé aller dans un restaurant chic comme ceux où leurs amis les emmenaient, mais ils n’aimaient pas la façon dont on cuisait les steaks, des tranches épaisses frites dans du beurre. Pas de sauce de poisson, d’herbes et de sauces piquantes sur la table. Ils ont évoqué l’idée de se procurer une base de lit en bois pour y poser leur matelas, mais les lits étaient faits pour y dormir, pas pour épater la galerie. Mon père aurait pu acheter bien des choses avec son premier chèque de paie, mais il a fini par arrêter son choix sur un tourne-disque. Au Laos, seuls les riches en avaient.

Chaque nouvelle (de six à dix pages chacune) est un petit monde en soi, un instant de vie volé. Ils sont nombreux, ces personnages impossibles à oublier: Red, la plumeuse de poulets, et son envie de se faire refaire le nez. Cette mère pâmée sur la musique de Randy Travis et son mari chaussé de bottes de cowboy. Raymond, l’ancien boxeur reconverti dans la manucure. L’arrière-grand-mère aux seins pendants. Des lieux, aussi: un abattoir de poulets, un salon de manucure, un petit 1 1/2 dans le sous-sol d’un bloc d’appartements.

Dans ces nouvelles, des femmes, des petites filles, quelques hommes aussi, ouvrent une porte sur le quotidien, le quotidien d’immigrants laotiens venus s’établir au Canada. Entre les lignes, ce sont les deuils à faire, le désir de se fondre dans le décor, d’être comme tout le monde, l’amour toujours aussi fort, l’amitié distendue, la nouvelle langue à apprendre, le X mis sur les rêves. L’écriture, magnifiquement bien traduite, est dense et imagée. À peine un personnage met-il les pieds dans la page qu’il prend vie. Souvankham a aussi le don de raconter l’enfance comme si elle n’en était jamais sortie. C’est d’une émotion vive, brûlante. Madeleine Thien, auteure de Nous qui n’étions rien, écrit:

Le k ne se prononce pas est un recueil fascinant et subversif qui entre en nous comme un choc. C’est miraculeux, libérateur et joyeux qu’une langue puisse être à la fois si radieusement précise, brute, effrontée. C’est une œuvre monumentale.

Le K ne se prononce pas, Souvankham Thammavongsa, trad. Véronique Lessard, Mémoire d’encrier, 2021, 136 p.

Rating: 5 out of 5.

20 comments

  1. Tu fais grandir mon impatience de le lire !
    (après avoir lu deux recueils de nouvelles, j’ai voulu lire un roman – je me remets aux nouvelles dans quelques jours !)

  2. Et voilà… un petit nouveau en commande! C’est le genre de découverte que j’adore lire sur ton blog : jamais entendu parlé et tac, il me le faut instantanément!
    Il sera disponible en Suisse uniquement à la rentrée de septembre. Une belle réjouissance en vue, j’ai d’ailleurs bien assez à lire d’ici-là… Merci

    1. Dispo en septembre chez le même éditeur?
      Si jamais tu ne peux pas attendre, fais-moi signe et je vais t’arranger ça!
      Une seule chose à ajouter, tu dois lire ce recueil!

      1. Et oui j’ai vérifié il sera bien dispo chez le même éditeur. Déjà précommandé!

  3. Mais oui, quelle entame ! Premier de tes billets, et déjà un ajout à ma liste de souhaites (et il faut bien refaire le plein de nouvelles après avoir vidé le stock !)

    1. Tu devras aussi ajouter le titre de mon prochain billet, tout aussi exceptionnel (le recueil, pas le billet!). Après, ce sera plus calme!

  4. Je me lance bientôt avec la chronique d’un premier titre. Le tien semble être une très bonne pioche !

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