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Le pique-nique des orphelins · Louise Erdrich

Le pique-nique des orphelins: c’est ainsi que s’appelle la fête foraine organisée au profit des orphelins de Minneapolis. C’est là qu’échouent Adélaïde et sa marmaille: Mary, Karl et bébé Jude, à la rue après que le bourgeois qui les entretenait ait passé l’arme à gauche. Fini le gros train de vie. Histoire de mettre un peu de légèreté dans cette journée, Adélaïde s’offre un tour d’avion avec Omar, un pilote-acrobate. Les enfants, médusés, voient leur mère s’envoler. La dernière image qu’ils auront d’elle sera «la flamme de ses cheveux roux débordant du cockpit». Adélaïde et Omar ne reviendront pas.

Les enfants s’impatientent. Le nourrisson affamé s’époumone. Un homme se pointe devant eux, disant que sa femme restée à la maison peut nourrir le bébé. Il le prend en promettant de le ramener… Pour ce couple endeuillé par la mort de leur nouveau-né, une nouvelle vie de famille vient de commencer. Livrés à eux-mêmes, à moitié gelés et morts de faim, Mary et Karl grimpent à bord d’un train de marchandises, direction Angus, dans le Dakota du Nord. Ils espèrent trouver refuge chez tante Fritzie et son mari, propriétaires d’une boucherie. Si Mary arrive à bon port, Karl, lui, fera demi-tour, abandonnant sa sœur à son sort. Mary tirera son épingle du jeu et se fera une belle place chez les Fritzie. Pour ce qui est de Karl…

La table est mise pour cette chronique familiale qui débute en 1932, lors d’une fête foraine, et se termine quarante ans plus tard, lors du couronnement de la reine des betteraves, une nouvelle et étrange fête agricole. Le destin des enfants Adare est raconté tour à tour. Les trois orphelins vont faire leur vie à distance les uns des autres, ils prendront de l’âge et se recroiseront ici et là.

Le pique-nique des orphelins déborde de personnages. Aussi, l’arbre généalogique en début de roman est d’un précieux secours. Trois générations se croisent au fil des pages. Certains portraits sont saisissants: Russell, l’Indien revenu amoché de la guerre de Corée, cloué à son fauteuil roulant à la suite d’un AVC; Sita, la fidèle amie qui, en s’embourgeoisant, sombre dans la folie. D’autres, par contre, tombent à plat, comme Karl, le courailleux représentant de commerce, ou Dot, née de l’union de Karl et de Celestine, une «grande perche chippewa» qui donnera du fil à retordre à sa mère. Ici, les vies tourmentées des uns déteignent sur celles des autres. Beaucoup d’ambitions déçues, de jalousie mal placée, de tendresse vite rabrouée, de relations amoureuses qui tournent dans le beurre, d’abandons sans remord. Beaucoup de solitude aussi.

Je ne choisis pas la solitude. Qui donc la choisirait? Elle me vint comme une sorte de vocation, exigeant un effort que les femmes mariées ne peuvent imaginer. Parfois, même maintenant, je les regarde comme un chien sauvage regarderait par la fenêtre ses congénères domestiqués, enviant la régularité de leur existence tout en méprisant le plaisir vil qu’ils ressentent sous la main du maître.

L’écriture de Louise Erdrich est d’une grande sobriété, sans fausse note. Dommage que la construction du roman fasse l’impasse sur de longues périodes de temps. Certains épisodes auraient eu avantage à être approfondis. J’avoue être restée perplexe devant quelques situations pour le moins improbables: la fuite de la mère qui abandonne ses enfants sur un coup de tête, le nourrisson qui se fait kidnapper sans que son frère et sa sœur ne partent à sa recherche, ou encore le fait qu’à la descente du train, le grand frère abandonne sa soeur à son sort. Reste cette impression que Louise Erdrich s’est attachée à plusieurs de ses personnages, mais en a négligé d’autres, préférant les laisser dans les limbes.

Il n’en reste pas moins qu’un moins bon roman de Louise Erdrich demeure un très bon roman! Et Le pique-nique des orphelins n’est que son deuxième roman. Il a été publié pour la première fois en français en 1988, sous le titre La branche cassée. Albin Michel le réédite aujourd’hui avec une nouvelle traduction, signée Isabelle Reinharez.

Le pique-nique des orphelins, Louise Erdrich, « Terres d’Amérique », Albin Michel, 2016, 480 p.

Rating: 3 out of 5.

© unsplash | Amy Luschen

24 comments

  1. Oh dommage ! C'est vrai que ce n'est pas son meilleur (c'était son deuxième dans l'ordre de publication aux USA) mais j'ai adoré ^^

  2. Je savais qu'il s'agissait d'une réédition, comme pour Ron Rash et le chant de la Tamasseee .. et donc de leurs premiers romans, donc on peut excuser quelques \ »erreurs\ » de jeunesse ! Les avis étaient plutôt mitigés mais toi tu me rassures en disant qu'il s'agit quand même d'un grand roman ! Bon, je l'ai pas dans ma pàl donc il attendra quelque temps !

  3. je n'ai encore jamais lu cette auteur, mais ce roman est dans ma PAL et va en sortir très bientôt…Dommage que tu sois un peu mitigée, vu que ce sera ma découverte de Louise Erdrich…

  4. Roman très particulier (pour tout ce que tu évoques) et aussi pour le côté \ »dérangé\ » de certains personnages ! C'était ma première lecture de cet auteur et je n'ai pas le même recul que toi !

  5. Comme je l'écrivais, même un moins bon roman de Louise Erdrich demeure un très bon roman! Il me reste plusieurs romans d'elle à lire. Je prévois donc quelques coups de coeur.

  6. Il me tarde de découvrir le reste de son oeuvre. À ce jour, je n'avais lu (et adoré) que \ »Dans le silence du vent\ ». Ça promet pour la suite!

  7. Oui, comme avec \ »Le chant de la Tamassee\ » de Rash, il s'agit d'un roman de jeunesse. On doit être plus indulgent, connaissant la suite!Tu peux attendre une belle version poche!En passant, qu'as-tu lu de Louise Erdrich?

  8. Des destins passionnants. Au final, malgré mes bémols, c'est un très bon roman familial rural! Plusieurs personnages me suivront encore longtemps.

  9. Je ne suis pas ben ben plus avancée que toi, n'ayant lu qu'un seul de ses autres romans. Mais je compte bien lire toute son oeuvre. Au final, tu as aimé?

  10. Tu as raison de préciser que ce n'était que son second roman. Ce qui m'a le plus gêné, c'est que finalement tous les personnages sont antipathiques, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.

  11. Une auteure à la plume étonnante, rebelle, simple et compliquée parfois. J'aie vraiment lire ses mots. Celui-ci est à venir dans mes prochaines lectures.

  12. J'aime beaucoup, beaucoup Louise Erdrich et ce livre ne fait pas exception. Je l'ai lu avec toute la tendresse qu'on accorde au débutant et à ses quelques fausses notes. La prestation reste tout de même très intéressante et préfigure ce qui, à mon sens, sera son chef-d'oeuvre: \ »La chorale des Maîtres bouchers\ ». On y retrouve déjà cette patte unique, cette voix, ce magnétisme. Célestine

  13. J'avoue qu'après deux romans lus, j'ai plus qu'envie de poursuivre la découverte de son oeuvre. Une grande auteure américaine, parmi mes incontournables.

  14. J'ai appris un peu tard qu'il s'agissait de son deuxième roman. Maintenant, je ne passerai pas outre \ »La chorale des Maîtres bouchers\ » et \ »Love medicine\ ». À suivre…

  15. Je n'ai pas encore lu Louise Erdrich mais un jour j'irai certainement à sa rencontre pour un pique-nique ou pour chanter avec des bouchers. Parce qu'au-delà de sa plume, elle explore des contrées profondes où je me verrais bien paresser…

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