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Little · David Treuer

Même une fois le trou comblé, la tombe que nous avions creusée pour mon frère Little est restée vide. Et personne ne voulait l’admettre. Tout le monde dans le lotissement qu’on appelait Pauvreté évitait la vérité nue, la tombe vide. À pauvreté, enfouie au fond des bois, il n’y avait personne qui puisse surveiller ce qui se passait et, puisque nous n’étions que sept à habiter dans les deux seules maisons qui n’aient pas été éventrées ou démolies, nous n’avions d’explications à donner à personne. Personne à qui exposer les faits. Donc, même si le corps n’était pas là, ça ne changeait rien. 

D’entrée de jeu, la table est mise. Le cercueil de Little restera vide. Reste à savoir pourquoi. Et d’abord, comment est-il mort? C’est sur cette assise que s’échafaude l’intrigue du roman de David Treuer.

Aux confins du Minnesota, dans une petite réserve, une poignée d’Indiens Chippewas s’accrochent à la vie. Parce qu’elle est d’une rudesse impitoyable, cette vie: poussiéreuse, intransigeante, sans pitié. Cette poignée de gens qui vit à Pauvreté est soudée serrée, solidaire, résistante face à l’adversité. Il y a les vieux: Jeannette, évadée de sa maison de retraite; les jumeaux septuagénaires Duke et Ellis, qui vivent dans leur vieille Pontiac Catalina; il y a les adultes, dont Stan, un vétéran du Vietnam et sa sœur Violet. Et il y a les jeunes: la petite Jackie qui n’a pas froid aux yeux; Little, le gamin aux doigts comme des pinces, qui refuse de parler sinon pour assener des «Toi» à tous vents. Et il y a Donovan, recueilli par Duke et Ellis dans une voiture accidentée pendant une journée de tempête. Une belle brochette de personnages, riche, étoffée, auquel je me suis très vite attachée.

Dans ce roman choral, chaque personnage prend la parole à tour de rôle, déroulant le fil de son histoire, mettant ainsi à nu des secrets de famille profondément enfouis. Comme souvent chez Treuer, la chronologie est disloquée, les décennies sont brassées et l’arbre généalogique secoué. La tension est forte. D’autant plus que ce n’est qu’à la toute fin que les circonstances de la mort de Little sont révélées. Comme dans Comme un frère, les liens et ramifications ne sont pas des plus limpides, ne coulant pas de source. Il faut faire un petit effort pour ne pas se perdre. David Treuer suture les mots, coud ensemble les vies de ses personnages, prend soin d’eux. Ici, jamais il n’y a lieu de pleurnicher ou de s’appesantir. La nature, malgré sa rudesse et sa sauvagerie, est toujours magnifiée. Un petit bémol: un personnage, celui d’un prêtre tourmenté, m’a semble hors de propos. Quelques chapitres que j’ai eu envie d’enjamber. Pour tout le reste, je reste sous un charme hypnotique.

Little, David Treuer, trad. Marie-Claire Pasquier, « Terres d’Amérique », Albin Michel, 1998, 336 p.

Rating: 4 out of 5.

© unsplash | Bannon Morrissy

10 comments

  1. du coup je ne te lis qu'en diagonale car je dois le lire (et dans l'ordre !) je reviendrai bien évidemment dès que je l'ai lu (et le suivant)

  2. Très tentant! En plus j'aime beaucoup les romans chorale. Pour le moment, tu as un préféré chez Treuer?

  3. Comme toi, j'adore les les romans chorale (en passant, je n'ai jamais su comment accorder «choral» accolé à roman!).Ma préférence, pour le moment, va à \»Comme un frère\». Le début m'a coupé le souffle (une image magnifique)… Ça commençais bien!

  4. Et bien je prends cette chronique comme une piqûre de rappel… Je dois dire que celui-ci a un titre qui me parle beaucoup : tant de poids dans un mot si simple. J'ai hâte de découvrir ce qui s'y cache.

  5. J'espère que cette «piqûre de rappel» n'a pas été trop douloureuse! Je t'encourage plus que vivement à te découvrir l'univers de David Treuer. Si, comme moi, tu accroches, ce sera le début d'une grande aventure!

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