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Méfiez-vous des enfants sages · Cécile Coulon

Autour des années 1970, dans une petite ville du sud des États-Unis, «le genre d’endroit où les filles étaient mères avant d’avoir leur permis de conduire». Ça commence avec Elle. Elle qui n’a jamais découvert sa voie. Mais elle n’était pas la seule, loin de là. «Entre les céréales, les gosses et le bowling, chacun cherchait sa voie, peu la trouvaient réellement, beaucoup faisaient semblant.» L’enfance se déroule entre ennui et débrouille. À vingt-deux ans, avec trois cents dollars en poche, Elle prend un aller simple pour San Francisco, pensant ne plus jamais remettre les pieds dans son patelin. Mais son rêve sera interrompu et Elle y reviendra, y possèdera même une maison, avec tout ce qui va avec. Ça se poursuit avec Il. À vingt et un ans, il quitte sa Suède natale pour s’exiler en Amérique et intégrer une faculté de sciences. Il croise Elle sur le parking d’une gare routière…

Et il y a Eddy, le voisin d’Elle et de Lui, avec sa casquette d’Alice Cooper vissée sur la tête. Ex-héroïnomane, il vit dans sa vieille bicoque délabrée. La petite voisine vient lui rendre visite, de plus en plus souvent. Elle passe des journées entières à boire du Cherry Coke avec lui. Ensemble, ils refont le monde, trouvent des combines pour faire la piastre. Pour Eddy, cette petite réussit à le rendre meilleur. Mais ça ne suffira pas à le maintenir en vie.    

Après cette première partie aux fils sinueux, arrive la deuxième, où Lua, la petite en question, prend toute la place. Si la première partie embrouillée et confuse prépare le terrain, les nuages se dissipent dans les deux dernières parties.

Lua vit dans cette «petite ville d’Amérique, avec ses poteaux électriques et ses routes noir et jaune, une petite ville gangrenée de maisons blanches et de jardins carrés où les gosses lancent des balles en plastique à leur labrador, une petite ville parmi les dix mille petites villes que compte le continent.» Lua a le même regard désabusé que celui que sa mère avait dans son enfance. Il, le père de Lua, est scientifique, «il aime gratouiller les bestioles et leur rendre la vie meilleure.» Elle, la mère, «travaille dans un centre médical, elle s’use les yeux devant un ordinateur neuf. Tous les jours, elle voit des femmes obèses qui lui demandent des rendez-vous pour des liposuccions.» Le temps a bien changé depuis cette époque où Elle déambulait dans les rues de San Francisco… À sept ans, la terre tremble pour Lua. Son père ramène du boulot à la maison: Popeye, une mygale. L’araignée s’échappe de sa boîte et ne sera jamais retrouvée. Pour Lua, son monde vient de basculer. À partir de ce moment, elle aura l’impression d’avoir une araignée dans son plafond.

Le temps passe. On ignore combien. Assez pour que Lua aille à l’école et rencontre James Freak, un prof désenchanté. Beau à faire fondre le cœur, Freak est devenu prof par dépit. Son rêve à lui, c’était de devenir un grand pianiste. Pas de chance, il s’est fait bouffer un doigt par un sanglier. Terminé le grand rêve. Eddy se suicide sans rien laisser à Lua, pas un mot, pas même un autocollant de Batman. Avait-elle si peu d’importance à ses yeux? Parce que la vie suit son cours et que la Terre n’arrête pas de tourner, les parents de Lua changent de cap, chacun dans sa direction. Lua, elle, continuera à faire du surplace. Parce que des rêves, elle n’en a plus. En a-t-elle d’ailleurs déjà eus?

Pour une première incursion dans l’univers de Cécile Coulon, ça commençait mal avec ce début labyrinthique. Heureusement que tout s’est éclaircit. Son style incisif, direct m’a retenue. Elle maîtrise l’art de la concision, arrivant à décrire en un paragraphe ce que d’autres mettent une page à développer.

Méfiez-vous des enfants sages est bourré de qualités, mais recèle aussi quelques défauts. J’ai eu l’impression de manger une entrée au goût douteux, puis au final délicieuse. Justement, c’était à ce point bon que j’aurais pris un repas principal, mais le repas était déjà terminé. J’ai lu des bribes de tranches de vie, des anecdotes. Si fil conducteur il y a, il est à ce point ténu que j’ai eu peine à le sentir. Hormis Lua, on reste au bord des personnages, à leur surface. Dommage, car j’aurais aimé en savoir beaucoup plus sur eux. Reste que ce panorama de vies ratées et de rêves avortés m’a retenu dans le bain jusqu’à la fin.

Roman du désenchantement et d’êtres éteints… J’en retiens qu’à trop attendre de la vie, on risque de frapper un mur. J’en retiens aussi que j’ai envie de lire Le roi n’a pas sommeil et Le coeur du pélican l’hiver prochain, dans un bain chaud. Et je me dis qu’il serait temps que je lise enfin Sa majesté des mouches. (Kerrie, la maman de Lua, le lit sans cesse depuis son adolescence.) Cécile Coulon a pas mal de chemin derrière la cravate. Cinq romans, un recueil de nouvelles et un essai, tout ça à pas encore trente ans. Ça en bouche un coin! 

Méfiez-vous des enfants sages,Cécile Coulon, Points Seuil, 2013, 120 p.

Rating: 2 out of 5.

© unsplash | Timothy Dykes

 

20 comments

  1. C'est un univers particulier que celui de cette auteure, que j'explore à petits pas, pour ne pas trop me mouiller … Pour ce titre, je trouve que, même si ça gratte un peu ( ce côté labyrinthe, que tu soulignes), finalement, on y trouve quelque chose à manger. Même si on ne sait pas trop quoi, un côté dérangé de l'enfance peut-être qui sonne juste ?

  2. Cécile Coulon a du génie oui, précipite toi sur ses autres titres dont Le cœur du pélican et Le rire du grand blessé, bluffants ! En ce qui me concerne, celui ci m'attend 😉

  3. J'ai lu le Coeur du Pélican, et je suis la seule (quand je lis l'avis de Noukette ici) à ne pas être tomber en pamoison – le personnage principal, monstre d'égocentrisme, m'a d'abord énervé puis encore pire, rendu indifférente .. donc à son sort et au reste de l'histoire !J'ai quand même retenu le style incisif de l'auteure que j'ai beaucoup aimé – mais parfois le style ne suffit pas. Ainsi, j'ai oublié rapidement l'histoire (je m'en souviens bien aujourd'hui car Eva et Kathell l'ont classé premier dans le cadre du prix du meilleur roman de Points) – sinon je note chez toi \ »Reste que ce panorama de vies ratées et de rêves avortés m'a retenu dans le bain jusqu'à la fin\ » : apparemment, cela semble être le moteur de chacun de ses romans….

  4. Je ne connaissais pas du tout l'auteure mais son univers à l'air intriguant.Je pense que je vais me lancer dans cette lecture qui m'attire malgré ces quelques défauts.Merci beaucoup de la découverte et de ton avis !!

  5. Pas très enthousiaste ton billet… J'ai lu il y a peu \ »Le cœur du pélican\ » que j'ai beaucoup aimé et je suis tentée par \ »Le rire du grand blessé\ » que conseille Noukette…

  6. Je n'ai lu d'elle que \ »Le roi n'a pas sommeil\ » et j'en garde un excellent souvenir. Me reste à découvrir ses autres romans.

  7. Les avis sont très partagés… J'ai acheté \ »Le roi n'a pas sommeil\ » et \ »Le coeur du pélican\ ». On verra bien!

  8. Remarque que ce n'est pas un \ »coup de dent\ », loin de là. Assez enthousiasmant pour que l'envie de poursuivre se fasse sentir.

  9. Le roi n'a pas sommeil m'attend aussi sagement, depuis que j'ai lu méfiez-vous des enfants sages.Ce que j'ai apprécié dans celui-là, c'est que plus je m'enfonçais dans l'histoire plus mon attention était captivée par cette araignée. Brrrr, cette bibitte toutes poilues, j'en ai encore des frissons.Un début qui laisse donc promettre un bon avenir. Va falloir que je m'y remettes

  10. C'est pareil. Du talent à revendre, mais un petit manque de quelque chose. J'ai commencé \ »Le roi n'a pas sommeil\ », mais je me suis arrêté. Elle s'éparpille trop à mon goût – se cherche?

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