Il en a fallu du temps et des livres pour que je retrouve la Lionel Shriver qui m’avait laissé sans mots avec son Il faut qu’on parle de Kevin. Son Big Brother était franchement bien, mais son Tout ça pour quoi et sa Famille Mandible ne m’ont laissé aucun souvenir durable. Mauvais signe! Avec son dernier roman, je la retrouve en grande forme, prête à mordre.
Dans mon coin, les coureurs du dimanche pullulent comme des maringouins au mois d’août. Je les regarde passer, le pied rebondissant, le lycra bien galbant, le corps en sueur, les écouteurs vissés aux oreilles, et je ne comprends pas. Je ne comprends pas l’entichement pour ce sport maganeux de genoux. Je ne comprend pas cette mode (il y a dix ans, les coureurs étaient plus rares et moins voyants) et toutes ses bébelles (p’tit kit en tissu aéré, montre intelligente, etc). En fait, j’ai horreur des modes.

Lionel Shriver a toujours aimé observer, avec son regard affuté, le monde qui l’entoure. Je me doutais bien que si elle s’attaquait au culte du sport et de la santé physique, de l’exercice comme nouvelle religion, ce n’était pas pour en faire l’éloge et flatter ses émules dans le sens du poil.
La soixantaine entamée, Serenata et Remmington Alabaster se sont retirés dans la petite ville tranquille où ce dernier a grandi. Leurs enfants sont maintenant loin, et c’est tant mieux, parce qu’ils ne sont pas un cadeau! Serenata fait de l’exercice depuis qu’elle est jeune. Rattrapée par l’âge et des douleurs lancinantes aux genoux, elle doit mettre la pédale douce. Remmington, ingénieur en génie civil, a beaucoup trop de temps libre depuis son départ forcé à la retraite. Un matin, au petite déjeuner, il annonce à sa femme son intention de courir un marathon. L’étonnant, là-dedans, c’est que le monsieur n’a jamais fait de sport de sa vie. On s’occupe comme on peut ! Serenata n’a rien contre les marathons. Ce qu’elle haït pour mourir, ce sont les modes que tous s’empressent de suivre. Les marathons en sont une bonne illustration. Serenata n’aime pas les moutons. Encore moins lorsqu’ils se regroupent en troupeaux et deviennent des « clones décérébrés ». Ce qu’elle valorise, c’est l’esprit d’indépendance.
Le fait d’utiliser une expression à la mode était l’illustration même de ce manque d’originalité, de ce comportement moutonnier qui la mettait en rage. (Et ce n’était vraiment pas rendre justice aux moutons. Comment ces pauvres bêtes étaient-elles devenues la métaphore du conformisme ?)
Autrefois, si on voulait attirer les touristes, on créait un Salon du livre. Aujourd’hui, il n’y a pas une ville qui ne parraine un marathon, ça attire beaucoup plus de monde.
Le roman déroule la vie de ce couple de plus en plus divisé et des gens qui gravite autour. Toujours aussi incisive, Lionel Shriver s’attaque aux travers de notre époque et dresse un portrait cinglant de notre société obsédée par la santé, la beauté du corps et la peur de vieillir. Elle passe au scalpel aiguisé les dérives politiques, l’embrigadement religieux, l’égocentrisme exacerbé… C’est d’une férocité délectable, c’est cynique et acerbe. À mille lieues des bons sentiments sirupeux et du politiquement correct. Ses réflexions sur les normes sociales et le conformisme, le couple et la famille, sont stimulantes. Je me suis laissée prendre par son style vif, ironique, par ses dialogues sanglants. J’ai trouvé que, par moment, elle beurrait épais. Tellement épais que la caricature n’était pas loin. Mais j’ai voulu n’y voir que du feu, parce que j’apprécie quand elle se lâche et ne fait pas dans la demi-mesure. Un roman lucide, d’un comique féroce.
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, Lionel Shriver, trad. Catherine Gibert, Belfond, 2021, 384 p.
© unsplash | Oktay Yildiz
Il me plairait, assurément mais je veux la découvrir avec son Il faut qu’on parle de Kevin que j’ai acheté il y a deux ans et que je n’ai toujours pas lu (j’ai vu la fantastique adaptation cinématographique avec Tilda Swinton)
Tu fais bien de commencer avec Il faut qu’on parle de Kevin. Roman insurpassable! C’est dommage pour les suivants, qui souffrent d’un peu de pâleur.
Je te rejoins: l’adaptation cinématographique était exceptionnelle. C’est l’un des seuls films que j’ai aimé tout autant que le roman.
Comme Fanny, Il faut qu’on parle de Kévin prend la poussière dans ma PAL. Je le sortirai d’abord avant de me pencher sur celui-ci.
Comme je l’écrivais à Fanny, je persiste à dire que s’il faut découvrir l’auteure, Il faut qu’on parle de Kevin est la meilleure porte d’entrée. Ses autres romans n’ont pas la même puissance, malheureusement.
Il faut qu’on parle de Kevin est sur ma liste d’envies depuis……. Celui-ci je viens de le recommander à mon fils (un fou de running)….. 🙂
Je serais très curieuse d’entendre un passionné du running parler de ce livre. Tu pourras me revenir avec ses impressions?!
Quant à toi, si tu ne cours pas (et même si tu cours), je te conseille d’abord et avant tout Il faut qu’on parle de Kevin, la meilleure entrée dans son oeuvre.
J’ai fait une ou deux tentatives complètement ratées avec Lionel Shriver, et je vais donc en rester là, ce n’est pas pour moi !
Mais j’ai aimé le film sur Kevin !
Je peux comprendre. Pas une auteure pour toi. On passe au suivant.
(Ma poche est pleine d’auteur(e)s pas pour moi.)
Je n’ai lu que Il faut qu’on parle de Kevin (en VO, et je n’ai jamais lu aussi vite en anglais !) Complètement soufflée, j’étais !
Là, je suis bien tentée, même si la caricature pointe son nez…
Je persiste à penser que Il faut qu’on parle de Kevin demeure son meilleur roman. C’était passionnant, troublant et… soufflant. Elle n’a jamais, depuis, atteint une telle puissance. N’empêche, pour la verdeur de son propos et ses prises de position tranchées et assumées, c’est une auteure à lire.
Hâte de te lire. Très curieuse, aussi.
Pour la première fois, écris-tu. Quel autre titre as-tu lu dont tu n’avais pas aimé le style?
C’est un style assez sec et un brin «didactique». Ses mots servent son propos, son à son service. Disons qu’on ne la lit pas pour les atmosphères!
Je me suis mal exprimée, excuse-moi, il s’agit de la première fois que je lis cette auteure, pas la première fois que j’aime son style. J’en lirai assurément d’autres!
Tu te doutes bien quel titre il te faudra impérativement lire pour la suite?!
Je vois <que notre expérience avec cette auteure est un peu similaire : "Kevin" est l'un des romans qui m'a le plus marquée, le plus bousculée. J'ai détesté "Double faute" (au point de ma demander si j'avais VRAIMENT affaire au même écrivain !), et quant à "Big Brother", j'ai aimé le début, mais j'ai trouvé qu'ensuite, ça se gâtait…
Depuis je n'au relu Shriver, ayant lu des avis plus que mitigés sur ses autres titres, et je ne suis pas sûre d'avoir envie de tenter celui-là, malgré ton avis positif… je verrai avec la sortie poche, peut-être..
C’est triste, quand même, de se dire que malgré qu’elle écrit pas mal, aucun titre ne surpassera Il faut qu’on parle de Kevin. Ses autres romans, quoique plutôt percutants aussi, mais à un moindre niveau, et assez inégaux, n’ont pas la puissance de Kevin! Et dire que je n’ai jamais été tentée par ses premiers romans, dont Double faute. C’est mauvais signe…
Je n’ai lu qu’un livre de cette auteure, c’était un recueil de nouvelles et il m’a laissée de marbre ! Je sais qu’il faut que je découvre Kevin…
Tu as lu le recueil sur la propriété?! J’étais réticente à le lire… Je vois que mon instinct était bon!
Ah oui c’était ça, sur la propriété… bah j’ai vraiment pas aimé…
Tu confirmes mon intuition de ne pas sauter le pas! J’avais lu quelques extraits; le ton et le caractère des personnages ne me parlaient pas!
Ah là là… Bien joué, miss.
Ce roman… J’en tremble encore!