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Station Eleven · Emily St. John Mandel

Un soir, dans un théâtre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander tombe raide mort sur scène pendant une représentation du Roi Lear. Miranda, son ex, pleure. Jeevan, assis au premier rang, se précipite pour lui donner les premiers secours. Kristen, une toute jeune actrice, est témoin de la scène. Au même moment, ailleurs, une catastrophe est en cours: la grippe géorgienne se répand dans l’air, à la vitesse de l’éclair. Plus de téléphone. Plus d’Internet. Plus de télévision. Plus de voitures ni d’avions. Et ça fait de la fièvre, et ça tousse. En quelques semaines, 99% de la population mondiale est décimée. Vingt ans plus tard, le monde a bien changé. Les survivants se sont regroupés dans des colonies isolées, plusieurs naissances sont survenues. L’histoire suit son cours.

Bien que l’intrigue gambade dans le temps – avant, pendant et après la pandémie –, le fil conducteur de l’histoire se déroule vingt ans après. Kristen, maintenant adulte, fait partie de la troupe itinérante d’acteurs et de musiciens qui parcourt la région du lac Michigan. Elle joue du Shakespeare et du Beethoven devant des communautés de survivants. Un autre groupe vit dans un ancien aéroport, un autre encore dans un hôtel. Sans parler d’un prédicateur fou et de ses disciples…

Arthur Leander est le fil d’Ariane du roman. Les flashbacks intercalés dans le roman révèlent les hauts et les bas de ses trois mariages – dont celui avec Miranda – et de sa carrière d’acteur. Tous les personnages principaux du roman ont un lien avec lui. Jeevan et Kristin, comédiens dans la troupe. Mais aussi Clarke, un vieil ami d’Arthur, qui crée dans l’aéroport un Musée des civilisations, où les artefacts de l’ancien temps (téléphone portable, carte de crédit, talons aiguilles) sont exposés. Arthur donne à la jeune Kristen, la nuit où il meurt, une copie du roman graphique de science-fiction Station Eleven, crée par son ex, Miranda. Cette copie traverse le temps, devenant à la fois un vestige de l’ancien temps et un miroir déformé du nouveau monde.

Alors que la plupart des romans post-apocalyptiques baignent dans l’horreur, brossant le portrait d’une humanité livrée au chaos, le roman d’Emily St. John Mandel entremêle l’effondrement du monde et sa renaissance, en mettant l’accent sur la solidarité et le besoin de créer pour rendre la vie plus supportable. Ici, l’horreur de la fin est atténuée par son renouvellement. S’il y a bien quelques situations de crise et quelques mouvements de panique, ils sont dilués dans l’ensemble.

Ce qui distingue Station Eleven des autres romans du genre que j’aie lu, c’est la place que le passé occupe tout au long de l’intrigue et la touche d’espoir qui pointe. Car malgré la dureté du sujet, Station Eleven est un roman lumineux. Au-delà de l’inquiétude et de la peur, c’est l’amitié, la résilience, l’art et le devoir de mémoire qui dominent. Emily St. John Mandel joue avec la chronologie avec un immense doigté. Les scènes du quotidien alternent avec les réminiscences de la vie d’avant. J’ai aimé suivre l’évolution des personnages qui ont survécu à la fin d’un monde et au début d’un autre. De suivre des personnages nés après la fin du monde, ignorants de l’avant, comme cette adolescente née dans l’aéroport qui pense que les avions s’élèvent tout droit dans le ciel. L’écriture est fluide et puissante. Les descriptions des paysages urbains à l’abandon et celles de la nature qui reprend du terrain sont bien senties. Elle décrit les rapports humains, tant la solidarité que les tensions, avec une grande justesse. Un roman passionnant, sans grosses ficelles ni nostalgie. Un roman porté par l’espoir, parfaitement maîtrisé et redoutablement efficace.

Station Eleven, Emily St. John Mandel, trad. Gérard de Chergé, Alto, 2016, 432 p.

Rating: 3 out of 5.

26 comments

  1. Tu vois c'est clairement le genre de romans qui à la base ne m'attire pas du tout, mais que ton billet me fait voir sous un autre angle…du coup je suis tentée!

  2. Je dis OUI ! Pas une habituée du post-apocalyptique mais présenté de cette façon, je ne résiste pas. Bravo pour ton billet, j' avais hâte de le lire

  3. À chaque fois que je lis tes billets, je n'ai qu'une envie ; c'est de noter et lire à mon tour. Dis, tu aurais quelques synonymes du mot tentatrice? 😉

  4. bon je ne lis pas ce billet et tu sais pourquoi !! ma chronique devrait suivre (enfin début septembre car mes billets sont déjà tous programmés) … mais encore merci pour le livre ma belle !

  5. Je ne suis pas attirée par les romans post-apocalyptiques ordinairement mais celui-ci doit être l'exception qui confirme la règle j'imagine. Déjà tentée avant ton billet et encore plus après !

  6. Je peux comprendre que le genre soit «repoussoir». Je fais partie du club de lecture d'un magazine très connu par ici. Il est composé de dix lecteurs aux goûts TRÈS différents. Avec ce roman, c'est la première fois que les avis sont quasi unanimes. Pas une note en bas de 8 (sur 10). C'est une première! Bon signe, non? Va jeter un oeil pour voir!http://fr.chatelaine.com/art-de-vivre/culture-art-de-vivre/livre-du-mois-station-eleven/Si après ça tu as encore des doutes…!

  7. Comme je l'écrivais à Eva, tous les membres du club de lecture dont je fais partie sont unanimes: ils ont beaucoup apprécié. Même ceux qui n'ont pas l'habitude ou n'aime pas le genre ont été conquis. Une lecture qui change et donne espoir dans le genre humain! La C4 met trop l'accent sur la troupe de théâtre. Toutefois, ça ne pend pas tant de place que ça dans le roman. Plusieurs autres aspects sont développés, dont la C4 fait l'impasse. Vraiment à découvrir!

  8. Mais de rien! J'ai hâte de savoir si tu as aimé ou non. Ou pire, si ça fait comme au chalet à l'Islet avec une certaine Elena…

  9. Je pourrais te lancer la balle, ma chère! Je note 3 romans sur 5 à chaque fois que tu publies.Je conserve tentatrice, mais j'y ajoute vilaine devant!

  10. Pour en avoir lu plusieurs (tant pour adultes que pour ados), celui-ci fait exception, de par son côté lumineux. Et aussi par le fait que trois périodes se côtoient (avant – pendant – après). Un roman riche riche riche!

  11. Je suis comme Marguerite, ce n'est pas mon truc ce genre de roman. Et contrairement à elle, celui-là ne fera pas exception à la règle 😉

  12. Oh là là… comme disent les Français, ton billet est vachement mieux!:) J'ai oublié de parler de Clarke, c'est vrai qu'il est important dans ce roman…

  13. Très envie de le lire, et tu confirmes cette envie. Je me rends compte qu'à chaque fois que je lis un roman de ce genre, j'adore. Je voulais aussi lire Vongozero, mais je l'avais oublié; alors merci, je le renote, ainsi que l'Homme vertical 😉

  14. J'aime ce genre qui, en projetant dans le futur, donne un nouvel éclairage au présent. \»Station Eleven\» est surtout remarquable, à mon avis, de par son jeu sur la temporalité (passé/présent/futur) et son absence de violence. \»Vongozero\», dont je vais lire le 2e tome bientôt, pour sa lenteur et son côté hyper-réaliste. \»L'Homme vertical\», passé injustement inaperçu, est plus classique dans son développement, mais marque par les images fortes qu'il génère et son personnage principal émouvant. Hâte de te lire sur ces romans!

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