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American Rust · Philipp Meyer

American Rust annonce la mort d’un pays par la mort de ses âmes, le déclin d’une civilisation par la perte de toutes ses illusions.

Buell, petite ville industrielle de Pennsylvanie. Dans cette région productrice d’acier, les usines, les gares ont fermé. Des milliers d’emplois ont disparu. La misère règne sur la ville agonisante. Isaac English, vingt ans, frêle, brillant. Il se voyait aller à l’université et devenir astrophysicien; Billy Poe, vingt-et-un ans, grand et large d’épaules. Lui, il se voyait en vedette de football. Mais leur avenir s’est rouillé. Ils ont choisi de rester à Buell. Isaac pour s’occuper de son père invalide et méprisant; Poe, par une certaine propension à la procrastination, parce qu’il est finalement plus simple de rester aux crochets de sa mère, Grace, que de partir et risquer de ne pas être à la hauteur.

Les première pages s’ouvrent sur Isaac, qui n’en peut plus de cette vie. Il « emprunte » quelques milliers de dollars à son père et décide de partir en Californie. Pour économiser, il projette de dormir dans des hangars désaffectés et de voyager en sautant dans des trains de marchandises. Certes, l’entreprise comporte sa part de risques. Heureusement qu’il y a Poe, le baraqué, l’ami de toujours, l’ange gardien qui décide de l’accompagner pour un bout de chemin. Les embrouilles ne vont pas tarder à arriver; de celles qui amènent à poser des gestes irréparables, du genre tuer plutôt qu’être tué. Dans ce roman choral éblouissant, Philipp Meyer dresse le portrait d’une Amérique rustre et sauvage, en plein déclin économique. Par ses personnages riches et complexes, il aborde les questions de loyauté et de rédemption sans jamais prendre parti. J’ai été embarqué dès les premières pages, captivée par ce huis-clos à ciel ouvert. Un grand roman, sans un mot de trop.

Et ce cousin de Virgil, neuf ans et demi d’ancienneté dans l’usine et gros crédit sur le dos pour sa belle maison avec piscine, qui avait perdu la maison, sa femme et sa fille le même jour. La banque avait fait changer les serrures, sa femme était partie à Houston avec sa fille, et lui était rentré par effraction dans sa maison, direction la cuisine, pour se tirer une balle dans la tête. Tout le monde dans la vallée avait vécu ce genre d’histoire – une vraie galerie des horreurs.

Rien de ce dont l’humanité était capable, même dans ce que la nature humaine avait de pire, rien ne durerait assez pour que ça compte, c’est ce qu’enseignait la moindre rivière, la moindre montagne – on avait beau polluer, on avait beau déforester, la nature se réparait, les arbres vivaient plus longtemps que nous et certaines pierres survivraient même à la fin du monde. Tu l’oublies, des fois – tu commences à te laisser affecter par la laideur des hommes. Peu importe, ça aussi c’était éphémère, comme le reste.

American Rust, Philipp Meyer, trad. Sarah Gurcel, « Terres d’Amérique », Albin Michel, 2021, 496 p.

Rating: 3 out of 5.

16 comments

  1. J’ai découvert cet auteur avec Un fils que j’ai adoré car j’ai aimé la manière qu’il a de mêler son regard sur son pays et son histoire en la tissant dans une histoire familiale avec de multiples rebondissements (pour celui-là en tout cas). Alors inutile de te dire que si ce roman figure à la bibliothèque (mais il faudra attendre un peu car les nouveautés arrivent très lentement ici) ou si je ne résiste pas à une envie d’achats il passera entre mes mains 🙂

    1. Le fils est grandiose, je trouve. J’ai adoré aussi. L’histoire familiale sur trois générations, l’Histoire bien documentée… Un vrai régal de lecture.

      Sois prévenue, toutefois, qu’American Rust est son premier roman, réédité chez Albin Michel. Je l’avais lu chez Folio sous le titre Un arrière-goût de rouille. J’avais aussi beaucoup aimé, mais ce roman surprend moins que Le fils. Il a, si je puis dire, moins d’envergure. Reste que je te le recommande fortement.

  2. Philipp Meyer fait beaucoup parlé de lui et pourtant je ne l’ai jamais lu. Peut-être le ferais-je un jour, mais pas pour l’instant.
    Le dernier passage est magnifique.

    1. Et tu n’as pas à le lire. Je n’ai pas l’impression que tu puisses avoir des affinités avec Philipp. Je peux me tromper, mais mon petit doigt a parlé!

  3. Il m’attend sur une étagère… J’avais bien aimé Un fils… celui-ci a été écrit avant mais il avait déjà une belle plume, d’après ce que tu dis…

    1. Pour ma part, Le fils avait été mon premier coup de coeur de 2017. Je l’avais dévoré pendant les vacances de Noël. Mais c’était mon deuxième Meyer. Parce qu’avant, j’avais adoré Un arrière-goût de rouille, lu chez Folio. Cet Arrière-goût de rouille est, aujourd’hui, chez Albin Michel, American Rust. C’était donc une relecture! Et une bonne, qui plus est.

      Tu verras, American Rust est très différent du Fils. Il n’a pas la même envergure ni le même souffle. En revanche, ils se ressemblent dans leur construction (différentes voix prennent le devant) et leur style.

      Je continuerai de suivre de près Meyer. Hâte de voir quel chemin il prendra…

    1. Bravo! Je me demande toutefois si tu es dans un bon timing pour le lire. Il me semble un peu éloigné de ton mood de lectures du moment.

  4. « American Rust annonce la mort d’un pays par la mort de ses âmes, le déclin d’une civilisation par la perte de toutes ses illusions. » Waaaaah, la beauté de ta première phrase !!!

    Les extraits que tu partages sont splendides et percutants, et ton billet accroche l’envie ! J’irai feuilleter Le fils à la bibli pour voir si ça matche, c’est décidé !

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