J’avais tenté de lire, lors de sa parution en 2011, Le harpon du chasseur, œuvre publiée en 1969. Je n’avais pas dépassé la vingtaine de pages. Quelque chose dans le style, comme une écharde dans le doigt, m’agaçait. Aujourd’hui paraît Chasseur au harpon. Cette fois, aucune écharde.
Chasseur au harpon est le premier roman inuit publié au Canada. C’est la première fois que le roman est traduit directement de l’inuktitut au français. Avant, le roman a été traduit de l’anglais au français. Il est bon de savoir, par exemple, qu’en inuktitut, les figures de style n’existent pas. De plus, cette langue abuse des répétitions. Dans la traduction de Catherine Ego, on brode, on prend ses aises et on poétise. Catherine Ego a traduit la version anglaise que Markoosie Patsauq à lui-même traduit à partir de son texte en inuktitut. Il avait adapté son texte en anglais pour de jeunes lecteurs. Aussi, Catherine Ego a restitué le caractère plus poétique de la version qu’elle a traduite. La traduction de l’inuktitut, réalisée par Marc-Antoine Mahieu et Valerie Henitiuk, est plus succincte, va droit au but. Comme le font les personnages. Pas le temps de s’enfarger dans les flocons de neige quand tu as un ours à tes trousses. Pas le temps de poétiser quand la nourriture se fait rare et que le ventre crie.
Kamik apprenait l’art de la chasse. Son père lui avait enseigné toutes les techniques qu’un bon chasseur doit connaître. Kamik s’entraînait à lancer son harpon pour frapper plus juste. Maintenant âgé de seize ans, il visait déjà presque aussi bien qu’un homme adulte. Il se sentait prêt à participer pleinement aux expéditions de chasse! Kamik avait souvent entendu raconter ce jour où son père avait tué un ours d’une seule main. Suluk avait eu de la chance. L’ours l’avait jeté par terre mais il avait réussi à lui enfoncer son harpon dans le cœur. Pendant de longues aurores et d’innombrables crépuscules, Sulik n’avait pas pu remarcher. Aujourd’hui encore, il boitait. Pour Kamik, il restait néanmoins le meilleur chasseur du Nord.
Le harpon du chasseur, trad. Catherine Ego
Kamik est heureux d’apprendre à chasser de mieux en mieux. C’est son père qui lui enseigne. Kamik s’entraîne chaque jour à utiliser son harpon. Il a maintenant seize ans et il sait chasser.
Souvent, Kamik entend son père raconté qu’il a tué seul un ours blanc. Celui-ci l’avait presque achevé d’un seul coup de patte. Alors que l’ours revenait à la charge, Salluq l’avait tué avec son harpon. Pendant des jours et des jours, il avait souffert sans pouvoir bouger. Aujourd’hui encore, une de ses jambes fonctionnait mal. Même ainsi, Kamik sait qu’à la chasse son père est le plus habile de tous les hommes.
Chasseur au harpon, trad. Marc-Antoine Mahieu et Valerie Henitiuk
Le récit commence sur les chapeaux de roues. En pleine tempête de neige, un ours blanc, malade, attaque les chiens de traîneau près du campement. Il n’est pas question que la bête folle nuise à nouveau. Dès le lendemain, plusieurs hommes, accompagnés des chiens vivants, s’élancent sur les traces de l’ours. L’expédition tourne vite au cauchemar… Chasseur au harpon raconte la survie dans des conditions extrêmes (les récits d’escalade en montagne sont de la petite bière en comparaison), la solidarité, la transmission du savoir, le sens de l’honneur et de la loyauté. Le récit est raconté à partir de quatre points de vue, dont celui d’un ours blanc. Entre roman d’aventures et roman d’apprentissage, Chasseur au harpon a des allures de conte mythique. C’est épique, enlevant, d’une violence inouïe, mais jamais gratuite. C’est d’une noirceur indicible, c’est tragique, éprouvant. La fin m’a laissé sans mots. Du grand art.
Chasseur au harpon, Markoosie Patsauq, trad. Marc-Antoine Mahieu et Valerie Henitiuk, Boréal, 2021, 128 p.
Disponible en France et en Belgique aux éditions Dépaysage.
© unsplash | Annie Spratt-
Intéressant, ces traductions comparées… je crois qu’on en mesure pas assez l’importance de la traduction, et la manière dont elle peut parfois « trahir » le texte original. En tous cas, me voilà fort tentée, et je vois que sa « bonne » traduction est disponible dans ma librairie !
Les traducteurs sont trop souvent mis de côté. Ils font un travail pointu et ce n’est pas donné à tous de bien rendre la moelle d’une oeuvre.
Elle semble très belle, la couverture de «votre» édition.
J’espère que tu sauteras le pas!
Tu as bien fait de retenter cette lecture! Et c’est marrant ces traductions comparées, merci 🙂
Je suis enchantée par cette traduction. C’était une excellente lecture, fort dépaysante et… glaciale!
C’est marrant, je viens de le déballer à l’instant, passé un mois que je l’avais commandé! Encore plus pressée de le commencer après avoir lu ton billet.
Incroyable les différences entre les traductions! D’où l’importance de mettre le travail des traducteurs en avant…
Les grands esprits se rencontrent!
Tu as l’édition publiée chez Dépaysage? Elle semble très belle.
Les traducteurs font un travail inestimable, trop souvent passé sous silence…
Ahah !
Oui la très belle édition Dépaysage. Il faut de la patience pour l’obtenir en Suisse (ou peut-être lié à la situation actuelle) mais ça en vaut la peine!
Je n’en doute pas que ça vaille la peine. Et dire que les édition Dépaysage ne se rendent même pas ici!
Ah comme tu as bien fait de mettre en parallèle les deux traductions ! « Pas le temps de s’enfarger »… j’en apprends tous les jours avec toi !
Tu te fais un lexique québécois?!
non, mais je devrais… 😉
j’aime toujours autant vous lire et j’apprends de nouveaux mots (le flafla) – oui les romans sont souvent poétiques comme si le blanc recouvrait toute la noirceur, les dangers .. mais quand j’avais lu (le titre m’échappe) un autre livre je me souviens du fait que certaines fois ils restaient sans manger fort longtemps, leur vie était presque de la survie.
Une vie entière basée sur la survie. À notre époque douillette, c’est presque surréaliste. Totalement dépaysant, en tout cas.
C’est là qu’on voit que le travail des traducteurs est très important et a un impact considérable sur le texte. J’avais déjà noté ce titre (Kamik) avec les éditions Dépaysage, maison que j’ai découvert avec le sublime Kukum, tu l’as lu?
Je n’ai pas encore lu Kukum. Mais ça va venir. Je suis ravie du bruit qu’il fait par chez vous. Ici aussi, maintenant.
Votre édition est plus belle que la nôtre. Les éditions Dépaysage font une magnifique et essentiel travail.
Je comprends avec le contexte !!! Non mais…
N’empêche, je pourrais sortir mes gros mots, et alors là: défi!
Chiche ! 😉
Merci pour ce que tu nous livres de la véritable épopée de cette traduction, c’est passionnant. Dans l’extrait que tu partages, la différence est édifiante et effectivement, la deuxième version contient en elle-même sa propre beauté, très rude et pure. J’ai vu passer ce roman sur insta dans son autre édition que l’on trouve en France, je l’avais noté, tu me fais le remonter dans ma liste de futures lectures !
Un petit souffle d’air glacée, ça ne se refuse pas souvent!