
Une ferme laitière ancrée dans le rang d’un village des Cantons-de-l’Est. Autour, en plus des granges et silos à grains, les maisons où la famille élargie est éparpillée. Tous travaillent sur le plancher des vaches : faire le train, nourrir les bêtes, nettoyer, faire les foins. Une vie de routine. Une vie harassante à répéter les mêmes gestes, jour après jour après jour. De génération en génération. Il y a, quand l’occasion ou la saison le permet, les sorties de pêche, une virée à la cabane à sucre, l’encan.
Trouvé gelé dans le bois, le narrateur de Lait cru se retrouve à l’hôpital, sauvé de justesse d’hypothermie. Il passe le temps du roman dans l’aile psychiatrique d’un hôpital. Il pense. Se remémore. Tente de se comprendre.
Les courts chapitres défilent, alternant présent et passé. Quoique même dans le présent, le passé refait surface. Difficile de ne pas se perdre. Il n’y a pas de liants entre les chapitres. Pas de liants non plus au cœur même d’un chapitre. Le roman est constitué de bribes décousues. J’ai effleuré un père, un oncle, une tante, un frère, une grand-mère. J’ai bien saisi la dureté et la lourdeur de la vie d’agriculteur, les difficultés auxquelles ils font face. J’ai appris des choses. J’ai aussi senti beaucoup de détresse.
Je me faisais une joie de lire le premier roman de Steve Poutré. Je voulais tellement l’aimer, ce roman. Une fois tournée la dernière page, j’ai eu l’impression d’avoir lu un premier jet plein de promesses. Pas un roman abouti. À force de partir de toué bords toué côtés, je me suis retrouvée étourdie ben raide.
L’écriture de Steve Poutré n’est pas dénuée de qualités. Bien au contraire. Ce sont les mots qui m’ont retenue, les images fulgurantes – un chat à l’œil pendant, une chute dans un silo à grains. Je garderai des images en mémoire. Et, en travers de la gorge, la déception de n’avoir pris qu’une minuscule bouchée d’un plat que j’espérais gargantuesque.
Ne pas communiquer ses souffrances, accepter, refouler, on enseigne le réflexe très tôt sur une ferme. Regarde ailleurs quand le vétérinaire pique la vache. Pense pas au lapin vivant quand tu manges le lapin mort.
Il fut une époque où les gens étaient simplement fous. Maintenant, les étiquettes sont si variées et confuses que bientôt chaque idiot du village aura sa maladie orpheline. On me sort depuis quelques années ce terme à la mode, qui me donne parfois envie de rire, souvent de hurler. Bipolaire. S’il n’en tenait qu’à moi, je ne choisirais qu’un seul pôle, le plus vivifiant, mais le monde n’accepte que la portion fade de mon être.
Lait cru, Steve Poutré, Alto, 2024, 260 p.
© unsplash | Suvrajit
oh les extraits étaient en effet prometteurs ! mais tu me l’avais dit, qu’il lui manquait une ossature – du coup, tu n’as eu la sensation qu’effleurer – dommage ! ton billet lui rend quand même un bel hommage.
On referme certains romans en se disant «Tant pis». On en referme d’autres en se disant «Dommage»; on aurait vraiment souhaité les avoir appréciés. C’est ce qui m’arrive avec ce roman!
C’est d’actualité après une semaine où les fermiers ont bloqué les autoroutes en Belgique (et en France)… mais ça n’a pas l’air bien passionnant comme roman.
C’est bien vrai que le sujet est dans l’air du temps. De toute façon, ce roman n’est pas pour te plaire. Et tu ne manques pas de lecture… loin de là.
Dommage (mais ça m’intrigue tout de même) …
Et cela fait une participation à l’activité sur le monde du travail (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-le-monde-ouvrier-les-mondes-du.html) alors je pique ton lien !
Génial, ce billet sur le monde du travail. J’ai même noté quelques titres!
Et hop Ingannmic qui ne perd pas le nord… et hop j’oublie très vite ce titre… C’est parfait tout ça, continue sur cette lancée, j’ai effectivement plein de choses à lire.
Ingannmic est toujours bien à son affaire et c’est tout à son honneur.
Par ailleurs, je vais continuer encore un peu sur cette lancée. Mais… tu ne perds rien pour attendre!
Les extraits que tu as sélectionnés font pourtant envie…
Est-ce que cette structure « sans liant » n’est justement pas sensée traduire le flot de pensée, plus ou moins désordonné et confus, du narrateur bipolaire ?
Si jamais le livre croise mon chemin, je pense que je tenterais tout de même ma chance.
Ton hypothèse est intéressante. J’ai l’habitude des fictions qui partent dans tous les sens, présentant un flot désordonné de pensées. Je n’ai pas eu cette impression ici. Et, si tel est le cas, je n’ai pas vu cette évidence.
Reste que je t’encourage à croiser le chemin de ce roman. Tant pour le monde décrit que pour la voix qui émerge, ça vaut le détour. Je vais tenter le coup, lorsqu’il arrivera par ici, avec Corps de ferme d’Agnès de Clairville.