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Le chardonneret · Donna Tartt

Mission accomplie! Ça m’en a pris, du temps. J’ai perdu l’habitude de lire des pavés de 800 pages. J’aurais peut-être eu un coup de coeur pour Le chardonneret si le roman avait compté 450-500 pages. À deux reprises, je me suis dit: «J’arrête? Et puis non, je poursuis encore un peu, et un peu.» Je suis finalement arrivée au bout! J’ai eu envie à quelques reprises de sortir les ciseaux dans les longs passages sur l’art, les nuits de défonce et le travail d’antiquaire. Mais comme l’objet livre est sacré, pas de mutilation de papier!

J’en viens au fait. De quoi il en retourne? En gros, d’une longue parcelle de la vie de Theo, de ses treize ans jusqu’à ses vingt-sept ans. Ça commençait si bien, pourtant…

Theo Decker vit avec sa mère, alors que son père a mis les voiles. Un matin de printemps, sa vie bascule. En visitant le Metropolitan Museum avec sa mère, survient un attentat qui le laisse orphelin. Blessé, perdu, Theo s’extrait avec peine des décombres. Sur son chemin, un homme mourant lui confie un tableau: Le chardonneret, peint par le Néerlandais Fabritius en 1654. Il quitte les lieux avec la chevalière de l’homme et le tableau sous le manteau. Il quitte le musée avec une mission dont il va s’acquitter. Comment Theo va t-il grandir, évoluer? C’est ce que déroulera le fil du roman, avec de formidables passages et… d’interminables digressions. Le chardonneret, c’est à la fois un roman d’apprentissage, un drame psychologique, un thriller plein de rebondissements, un bon roman policier et… au risque de me répéter, d’interminables digressions!

L’atmosphère de New York et de Las Vegas est décrite avec une précision sociologique. Ces deux villes forment le cœur du roman: New York, entre les lumières des enseignes et la crasse du métro, Las Vegas entre la poussière du désert et les éclairages des néons. L’écriture de Donna Tartt est épurée, d’une belle simplicité. Le rythme des phrases est lancinant, les dialogues cisaillés. Les personnages sont consistants. Certaines personnages secondaires donnent du souffle au roman. Je pense à Boris le meilleur ami, à Hobie le vieil antiquaire ou à Pippa la femme espérée.

Le chardonneret m’a déçu. J’espérais en sortir essoufflée, éblouie. Rien de tout ça. Entre les errances de Theo et les rencontres providentielles qu’il fait, mon intérêt était en montagnes russes. Donna Tartt écrit lentement. Trois romans en vingt ans, c’est bien peu. Le petit copain a été un gros coup de cœur pour moi. Le maître des illusions, une déception. Le chardonneret une lecture divertissante.

Pourquoi étais-je obsédé par les gens, comme ça? Est-ce que c’était normal de s’obnubiler sur des inconnus d’une façon aussi pénétrante et enfiévrée? Il me semblait que non. Impossible d’imaginer un passant pris au hasard des rues et qui cultiverait un intérêt pour moi. Pourtant, c’était la raison essentielle qui m’avait poussé à pénétrer dans ces maisons avec Tom: j’étais fasciné par les inconnus, je voulais savoir ce qu’ils mangeaient et dans quelles assiettes, quels films ils regardaient et quelles musiques ils écoutaient, je voulais inspecter le dessous de leurs lits, leurs tiroirs secrets, leurs tables de chevet et les poches de leurs manteaux. Souvent, je croisais dans la rue des gens qui avaient l’air intéressant, puis, des journées entières, je ne cessais de penser à eux, imaginant leurs vies, inventant des histoires à leur sujet dans le métro ou le bus est-ouest.

New York regorgeait de toutes sortes d’horreurs quotidiennes cachées dans le métro et les foules; la soudaineté de l’explosion ne m’avait jamais quitté, je m’attendais toujours à ce qu’il se passe quelque chose, je guettais en permanence, du coin de l’oeil, certaines configurations de gens dans des endroits publics […] quelqu’un qui me coupait la route dans le mauvais sens ou qui marchait trop vite à un angle particulier suffisait à déclencher de la tachycardie et une panique de type marteau à bascule, le genre qui me faisait trébucher jusqu’au banc du parc le plus proche.

Mais dépression n’était pas le mot juste. Il s’agissait d’un plongeon dans le chagrin et le dégoût, ça allait bien au-delà de la sphère personnelle, une nausée écoeurante en réaction à l’humanité et à toute entreprise humaine depuis la nuit des temps, et qui me lessivait. Les convulsions répugnantes de l’ordre biologique. La vieillesse, la maladie, la mort. Pas d’échappatoire. Pour personne. Même ceux qui étaient beaux étaient comme des fruits ramollis sur le point de pourrir. Et pourtant, tant bien que mal, les gens continuaient de baiser, de se reproduire et d’affourager la tombe, produisant de plus en plus de nouveaux êtres qui souffriront comme si c’était chose rédemptrice ou bonne, ou même, en un sens, moralement admirable: entraînant d’autres créatures innocentes dans le jeu perdant-perdant.

Le chardonneret, Donna Tartt, trad. Édith Soonckindt, Plon, 2014, 800 p.

Rating: 2 out of 5.

© unsplash | Luciani K

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